Roch Carrier, Cherche tes mots, cherche tes pas, Montréal, Éditions Nocturne, 1958,
n.p.
Cherche tes mots, cherche tes pas est le deuxième recueil de Carrier. Il avait déjà publié aux éditions Nocturne Les Jeux incompris en 1956. Le recueil compte 14 poèmes : six dans « Cherche tes
mots », sept dans « Cherche
tes pas » et un qui sert de préface.
Comment
lire le titre? Est-ce que le poète s’adresse à lui-même, à son lecteur ou reprend-il de façon ironique un « conseil » qu’on lui a donné? Est-ce une invitation, un appel au
dépassement ou une rebuffade?
Dans
le poème-préface, toujours en mode impératif, le sujet se compare à un corps violé,
à un ballon que des figures bibliques négatives (Hérode, Ponce Pilate)
malmènent. Il y parle de la solitude
humaine.
Cherche tes mots
Il y
a dans ce recueil un mélange entre le thème de l’absurde et celui du pays. On
rencontre des personnages (il y en a beaucoup) qui ne savent pas trop ce qu’ils
font et qui semblent peu s’en soucier. « Prosternons-nous devant
l’humanité / A quatre pattes / Une
clouée sur chaque point cardinal. » Ces êtres vides s’activent dans un monde
mou, sans consistance : « Ce pays ressemble à un jeu de blocs effondré ou
que l’on va construire / C’est un pays
où l’on prie le bon Dieu pour le soleil et les oiseaux pour les têtes ». Non
seulement les humains n’ont pas de prise sur leur réel, mais ils sont entraînés
dans un engrenage qui broie leur singularité : « Il y a des vieux il
y a leurs fils / Leurs fils ont la même peau que l’univers / Ils sèment les
villes comme ils ont vu semer le blé / Pendant que leurs frères pétris par la
machine aux longs / doigts deviennent des pains savoureux. »
La
seconde partie reprend où la première nous a laissés : « Tant
d’hommes et moi dans un pays si lointain qu’on n’y a jamais habité / Tant
d’hommes et moi plantés dans leur mission de tenir une planche de la
baraque ». Le ton devient plus cassant, le sujet se projette dans un avenir
problématique : « Le feu bientôt recouvrera la chaleur cordiale /
Envenimée dans les orgies la haine ». Le pays devient plus concret, la
critique politique affleure : « Les chefs de gouvernements font des
mots croisés sur la planète / Sans jamais trouver le mot qui va / verticalement
et horizontalement ». La révolte a de la difficulté à s’exprimer :
« Si t’as envie de mordre / Gruge ta niche / Ou tâche d’avaler tes
canines, ma chienne ma vie ». Le titre des deux derniers poèmes
(« Les conquérants » et « Le beau voyage ») donne aussi dans
l’ironie : conquérants, l’avons-nous jamais été? « Le chemin aux
cercles du rouet se dévidait / Les mères ne se rappelaient jamais si l’armoire
/ Était du passé ou de la laine ». Je cite aussi les deux derniers vers du
recueil : « Je ne pourrai jamais me tailler des semelles dans ce mauvais
cuir. / Des souvenirs. » Vous l’aurez compris, le « beau voyage »
n’aura pas lieu.
Dans
Cherche tes mots cherche tes pas,
Carrier reprend un peu les thèmes en vigueur à son époque, mais il me semble
qu’il nous emmène plus loin même si, ironiquement, le dernier poème du recueil
nous dit le contraire.
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