Paul-Marie Lapointe, Choix de poèmes Arbres, Montréal, L’Hexagone, 1960, non paginé (coll. Les matinaux)
Le recueil, qui compte à peine 30 pages, se présente en trois parties. La première ne contient qu’un long poème, « Arbres », l’un des plus célèbres de la littérature québécoise.
ARBRES
Lapointe a raconté que ce poème lui avait été inspiré par sa lecture d’un traité de botanique : Arbres indigènes du Canada de R. C. Hosie. Il semble qu’il aurait aussi utilisé La Flore laurentienne de Marie-Victorin. La première version du poème date de 1956. Il est publié d’abord en 1959 dans Liberté, avant d’être repris en recueil.
Lapointe a également révélé qu’il s’inspirait de certaines techniques de composition du jazz. La chose semble assez évidente dans Arbres. Le thème principal est repris, développé, modulé sur tous les tons. Même si l’ensemble obéit à une structure, la composition de chacune des parties me semble assez libre. Le poète procède par association : les répétitions, les anaphores, les associations verbales permettant au poème de se développer. Les phrases nominales, ponctuées de blancs, sans liens logiques (de coordination ou de subordination) nous font penser à des listes, à des nomenclatures. La disposition des vers, la typographie permettent au poème de respirer. Le ton incantatoire et les vers aux allures de versets ont fait dire à certains critiques que le poème ressemblait à une litanie.
Toujours à propos de la composition, on pourrait associer l’exubérance verbale du poème à la luxuriance de la nature. La forme épouse le sujet, le texte foisonne comme une forêt.
« j'écris arbre / arbre pour l'arbre » : n’a-t-on pas l’impression que le poète veut abolir la distance entre le mot et l’objet représenté comme si la poésie devait coller de plus près au réel? Lapointe commence par les conifères : les pins, les cèdres, le genévrier, les épinettes, les sapins; suivent les feuillus : le bouleau, le peuplier, le noyer, le saule, le caryer, l’aulne, le chêne, le hêtre, le cerisier, le vinaigrier, l’orme, le cerisier, le sorbier, le pommetier, l’érable… Le plus souvent, il va nommer aussi les sous-espèces. Chaque arbre suscite des associations, souvent liées à son utilisation (comme dans le traité de Hosie). Ainsi le pin est lié aux utilisations qu’on en fait : « pins des calmes armoires et des maisons pauvres / bois de table et de lit / bois d’avirons de dormants et de poutres ». Comme on le voit, l’association va au-delà des états utilitaires. Le domaine des sensations, certaines pratiques anciennes, la guerre, le lien au passé, l’amour seront aussi évoqués par le biais de l’arbre : « j’écris arbre / arbre pour le thorax et ses feuilles / arbre pour la fougère d’un soldat mort sa mémoire calcaire et l’oiseau qui s’en échappe avec un cri ». Les associations deviennent parfois beaucoup plus « poétiques », comme dans cette strophe qui clôt la partie sur les conifères : « conifères d'abondance espèces hérissées crêtes vertes des matinaux scaphandriers du vent conifères dons quichottes sans monture sinon la montagne clairons droits foudroyant le ciel conifères flammes pétrifiées vertes brûlantes gelées de feu conifères / arêtes de poissons verticaux dévorés par l'oiseau »
L’érable lui inspire la chasse, mais aussi les filles et le bonheur : « érables à épis parachuteurs d'ailes et samares / érable barré bois d'orignal nourriture d'été fidèle au gibier traqué dans les murs et la fougère / érable à feu érable argenté veines bleues dans le front des filles / érables à feuilles de frêne aunes-buis qui poussent comme rire et naissent à la course / érable à sucre érable source »
Et dans une très belle finale, Lapointe a recours au ton fraternel si cher aux poètes de l’Hexagone : « les arbres sont couronnés d'enfants / tiennent chauds leurs nids / sont chargés de farine // dans leur ombre la faim sommeille / et le sourire multiplie ses feuilles »
SOLSTICE D’ÉTÉ
En employant des images de la nature, Lapointe célèbre l’amour. Les images sont très sensuelles : « corps tendre et blond / corps de velours / corps lumineux corps mouillé / herbe sous le vent des îles / corps chaleureux éclair allongé / plumage de mon sang / corps paupières tendues les mains crispées à l'épaule / cri torride des cuivres horizontaux ». Ou encore : « Vit-on autrement que la nuit dans tes caresses mauves dans le fruit melon rosé de tes lèvres et de ton sexe? / par la chaleur agitée de ton sang? » (Lire aussi l’extrait)
QUEL AMOUR?
Ironiquement, les trois poèmes qui composent cette partie ne parlent pas d’amour. On peut y voir une critique sociale, le rejet d’un certain ordre économique : « nous sommes installés sous le tonnerre / planète désolée / en dépit des fleuves et des caps / en dépit des forêts permanentes / les capitales piétinent leur peuple » Dans le poème intitulé « Soyez tristes », on pourrait penser que le thème nationaliste affleure; on peut sans doute y lire aussi l’indignation du poète devant la déshumanisation de la société : « soyez tristes // pleurez dans la hutte et le vison / dans le chevreuil et le cierge / pleurez dans les chaînes et le château // soyez tristes // pleurez sur la ville et la toundra / pleurez sur la mine et le maïs / pleurez ce peuple est inutile ». Le recueil se termine par un poème d’espoir très « hexagonien », ouverture sur l’esprit de la Révolution tranquille : « hommes je vous le prédis / les fleurs seront permises / les arbres paumes innombrables ouverte à la caresse / les oiseaux nicheront dans les yeux des filles ».
Si court soit-il, Choix de poèmes Arbres est un grand recueil, peut-être le plus grand qu’ait publié l’Hexagone. La poésie est très accessible, lumineuse. Disons-le : il y a chez Lapointe une beauté des images et un élan de vie qui font du bien. Cette poésie me semble assez universelle pour traverser le temps.
AMOUREUSE
amoureuse
thé des bois
par touffes répondant au soleil
amoureuse
salubrité conquise au-delà des murs et telle qu’une savane progresse vers le centre de mon cœur habitée de ta seule chair violette ô ouverte
amoureuse
thé des bois.
Voir le catalogue de l’exposition L’archipel poétique de Paul-Marie Lapointe, présentée à la
Grande Bibliothèque du 21 octobre 2008 au 24 mai 2009.
Pour en savoir plus, lire l’article de Cécile Pélosse.
Voir aussi le livre d'artiste Paul-Marie Lapointe-Roland Giguère : http://bit.ly/BAnQ_Arbres
Voir aussi le livre d'artiste Paul-Marie Lapointe-Roland Giguère : http://bit.ly/BAnQ_Arbres
Aucun commentaire:
Publier un commentaire