Françoise Gaudet-Smet, Racines, Montréal, Beauchemin, 1950, 174 pages. (Illustrations de Rodolphe Duguay)
Toute personne d’un certain âge se souvient de Françoise Gaudet-Smet, cette grand-mère à la bonne bouille qui apparaissait dans des émissions dédiées aux femmes d’une autre époque. Je pense que la plupart ignorent qu’elle avait entretenu quelques ambitions littéraires. Elle a fait partie de la Société des écrivains de l'Est, conduite par Alfred Desrochers, que fréquentaient les Jovette Bernier, Éva Senécal, Simone Routier, Alice Lemieux, Cécile Chabot… Elle a aussi fondé et dirigé la revue Paysana, célèbre pour avoir accueilli les premiers écrits de Germaine Guèvremont. Les huit nouvelles de Racines s’inspirent toutes du terroir, sauf une.
La planche du bord
Un jeune prêtre, de retour dans son village natal après de longues études en sociologie, veut mettre en œuvre ses idées nouvelles, entre autres en créant un centre de loisirs. Les paroissiens font la sourde oreille. Appelé à donner la communion à un vieux paysan, avec lequel il discute longuement, il comprend qu'il ne sert à rien de brusquer des choses qui se sont mises en place à la force des bras depuis des générations. Il comprend qu'il faut commencer par la planche du bord, celle que le laboureur entame en premier, celle qui décide de toutes les autres.
Une femme de saisonLa tante Adéline est morte subitement dans sa lointaine campagne. Et c’est Gilberte, une universitaire, qui a été désignée pour représenter la famille lors des funérailles. À travers les innombrables témoignages de tout un chacun, Gilberte va découvrir l’immense mérite de cette tante paysanne qu’elle ne connaissait pas. (Lire l’extrait)
Le coup de main
Amandine a aimé Georges, le coq du village, parti chercher l’aventure à la guerre. Poussée par ses parents, elle s’est lassée de l’attendre et a épousé Louis. Une dizaine d’années passent et l’amour entre Georges et Amandine est toujours vivant. Une amie délurée leur organise un rendez-vous clandestin à Montréal. Une autre amie, consciente du danger qui guette son amie, s’organise pour faire échouer le projet.
La succession
Le père Lapierre était un maître cordonnier et un homme très considéré dans sa communauté. Il ne se passe pas un jour sans que quelqu’un ne le rappelle à son fils Zéphirin qui est loin d’avoir les talents de son défunt père. Le père Lapierre, si généreux pour son prochain, a négligé son fils.
L’inventaire
Les temps changent chez Tancrède Desharnais et fils, magasin général. Le père ne s’est jamais considéré comme un vendeur mais plutôt comme un citoyen qui offre des services à ses concitoyens. Il s’oppose aux méthodes modernes défendues (mollement) par son fils, entre autres à la nécessité de forcer les gens à consommer au moyen de la publicité.
Vengeance
Nérée, un homme dur, a épousé Joséphine, une jeune fille fragile. La mère de celle-ci, qui vit dans le voisinage, doit continuellement l’aider, car elle n’arrive pas à accomplir toutes les tâches que requiert le rôle de paysanne. Bientôt Joséphine tombe gravement malade et meurt sous l’œil indifférent du mari. Sa belle-mère lui apprend brutalement qu’il n’a pas seulement perdu une épouse mais aussi une belle-mère serviable.
Le Joint
Le patron d’une brasserie fête les quarante ans de service d’un employé qu’il n’a jamais cessé d’admirer pour son bon jugement.
Reconnaissance
La narratrice raconte l’immense influence qu’a exercée sur elle une famille avec laquelle elle s’est liée d’amitié.
Gaudet-Smet écrit bien. Ce recueil est sans doute aussi bon que ceux des Marie-Victorin et Lionel Groulx. Son seul défaut, c’est de venir 30 ans trop tard. L’auteure, conscientisée, insiste beaucoup sur l’importance de la solidarité communautaire. En même temps, il y a un net parti pris pour le passé, un passé trop idéalisé, comme le démontrent les deux premières nouvelles. Comme on est en droit de s’y attendre, les intérêts féminins (de l’époque) sont très présents : on y parle de couture, de tissage, de tricotage, etc.
Extrait
— Une bonne femme, oui, vous pouvez le dire ! Une bonne femme, oui, c'est vrai, mais, surtout, une femme de saison. Prenez l'hiver : les boucheries, c'est bien du berdas. Le boudin. La saucisse de trois ou quatre gros lards, les têtes en fromage, les créions, les pâtés à la viande. Ça fait bien du graissage. Partager la viande avant de la mettre geler. L'envelopper morceau par morceau, avant de la cacher dans les carrés d'avoine. Et c'était pas aisé de mêler les palerons avec les jambons. Elle avait les yeux pointus. Toujours attentive à prévenir les mauvais coups. Faire semblant de rien, puis nous forcer à faire attention à tout.
Il coula un regard du côté des garçons, puis il demanda :
— Hein ? les enfants, vous lui passiez pas du bouleau pour du merisier ?
— Ni du bois vert pour du bois sec, finit André, ce cousin qui avait accueilli Gilberte à son arrivée.
Le père continua :
— Préparer tout le manger des fêtes, pour une vieille maison qui reçoit les enfants et les petits-enfants, c'est du trémoussage. Les viandes, la pâtisserie, les beignes, les tartes, elle avait toujours peur d'en manquer. Et la cachette de noix longues pour retrousser le goût du sucre à la crème... Vous vous souvenez, les petits gars ? Vous l'êtes-vous assez fait chanter que les écureux vous portaient opposition ?
Les fêtes passées, c'était le cardage de la laine. Le filage ensuite. Puis le métier à monter. Avec les couvre-pieds à piquer, on s'en allait sur le printemps qu'on n'avait pas le temps de s'ennuyer des jours gras.
Le temps du sucre ! Elle savait faire bouillir et surveiller le réduit aussi bien que nous autres. Aujourd'hui, il y a des thermomètres. Mais dans le temps que le sirop se finissait à l'œil, fallait regarder comme il faut. À l'étable, les petits veaux arrivaient drus. Puis les petits cochons. Sans oublier les poulets qui demandaient du dorlotage.
Il allait s'arrêter... lorsque, comme pour lui aider à reprendre haleine, une femme continua :
— Faut pas oublier sa collection de plants. Je me disais toujours qu'elle en avait pour toute la paroisse.
Et c'est à peu près toujours ce qui arrivait. Si une femme manquait son céleri ou bien ses choux, recours à Adéline qui en avait toujours à donner !
Narcisse secoua sa pipe sur son talon de bottine, la mit dans sa poche et reprit, comprenant que c'était d'abord à lui à parler le plus :
— Entre les semences et les récoltes, elle vous prenait l'été sur l'air du grand'ménage. Frotte, puis brosse, puis frotte encore. Et après, cours aux fraises, pour changer d'air. À travers toute la besogne, toujours deux tricotages de montés, à portée de sa main, pour ne pas rester inactive, s'il arrivait de la visite, ou qu'on recevait des veilleux : la laine pâle pour le soir, la foncée pour le jour.
Et ses poulets. Ses abeilles. Les couches-chaudes. Le savon. Quand je pense qu'elle est venue à bout de me gagner au contrôle laitier. C'est elle qui tenait les livres, avec les feuilles d'enregistrement des lards.
Pour le lin, c'avait été toute une discussion. Le lin, c'est bien court, ça mange une terre ! Elle a encore eu le dessus. Elle insistait : « Tu y penses pas ? Neuf filles, puis six brus. Va en falloir de la toile, pour tous les trousseaux. Vite, vite, si tu veux que je t'éjetonne ton tabac. »
Et puis, l'estèque, c'était le ménage de la grange pour recevoir la récolte fraîche : « Chez un bon habitant — c'était son dire — faut pas que le grain nouveau porte la poussière du vieux. »
Orise Béliveau leva la main, comme pour demander la parole.
— Moi, Narcisse, c'était les fleurs dans le jardin qui me surprenaient toujours. Des belles fleurs, à travers les oignons, et les navets. Ça prenait elle pour penser à ça ! C'était quasiment aussi beau qu'un beau parterre de ville ! Tard l'automne, il y avait les giroflées en fleurs quasiment jusqu'aux neiges.
Gilberte avait le cœur serré. Son oncle avait dit : « une femme de saison ». Avec des mots drus, des phrases courtes, il prolongeait sa pensée. Elle ne fournissait pas à le suivre. (p. 46-48)
Toute personne d’un certain âge se souvient de Françoise Gaudet-Smet, cette grand-mère à la bonne bouille qui apparaissait dans des émissions dédiées aux femmes d’une autre époque. Je pense que la plupart ignorent qu’elle avait entretenu quelques ambitions littéraires. Elle a fait partie de la Société des écrivains de l'Est, conduite par Alfred Desrochers, que fréquentaient les Jovette Bernier, Éva Senécal, Simone Routier, Alice Lemieux, Cécile Chabot… Elle a aussi fondé et dirigé la revue Paysana, célèbre pour avoir accueilli les premiers écrits de Germaine Guèvremont. Les huit nouvelles de Racines s’inspirent toutes du terroir, sauf une.
La planche du bord
Un jeune prêtre, de retour dans son village natal après de longues études en sociologie, veut mettre en œuvre ses idées nouvelles, entre autres en créant un centre de loisirs. Les paroissiens font la sourde oreille. Appelé à donner la communion à un vieux paysan, avec lequel il discute longuement, il comprend qu'il ne sert à rien de brusquer des choses qui se sont mises en place à la force des bras depuis des générations. Il comprend qu'il faut commencer par la planche du bord, celle que le laboureur entame en premier, celle qui décide de toutes les autres.
Une femme de saisonLa tante Adéline est morte subitement dans sa lointaine campagne. Et c’est Gilberte, une universitaire, qui a été désignée pour représenter la famille lors des funérailles. À travers les innombrables témoignages de tout un chacun, Gilberte va découvrir l’immense mérite de cette tante paysanne qu’elle ne connaissait pas. (Lire l’extrait)
Le coup de main
Amandine a aimé Georges, le coq du village, parti chercher l’aventure à la guerre. Poussée par ses parents, elle s’est lassée de l’attendre et a épousé Louis. Une dizaine d’années passent et l’amour entre Georges et Amandine est toujours vivant. Une amie délurée leur organise un rendez-vous clandestin à Montréal. Une autre amie, consciente du danger qui guette son amie, s’organise pour faire échouer le projet.
La succession
Le père Lapierre était un maître cordonnier et un homme très considéré dans sa communauté. Il ne se passe pas un jour sans que quelqu’un ne le rappelle à son fils Zéphirin qui est loin d’avoir les talents de son défunt père. Le père Lapierre, si généreux pour son prochain, a négligé son fils.
L’inventaire
Les temps changent chez Tancrède Desharnais et fils, magasin général. Le père ne s’est jamais considéré comme un vendeur mais plutôt comme un citoyen qui offre des services à ses concitoyens. Il s’oppose aux méthodes modernes défendues (mollement) par son fils, entre autres à la nécessité de forcer les gens à consommer au moyen de la publicité.
Vengeance
Nérée, un homme dur, a épousé Joséphine, une jeune fille fragile. La mère de celle-ci, qui vit dans le voisinage, doit continuellement l’aider, car elle n’arrive pas à accomplir toutes les tâches que requiert le rôle de paysanne. Bientôt Joséphine tombe gravement malade et meurt sous l’œil indifférent du mari. Sa belle-mère lui apprend brutalement qu’il n’a pas seulement perdu une épouse mais aussi une belle-mère serviable.
Le Joint
Le patron d’une brasserie fête les quarante ans de service d’un employé qu’il n’a jamais cessé d’admirer pour son bon jugement.
Reconnaissance
La narratrice raconte l’immense influence qu’a exercée sur elle une famille avec laquelle elle s’est liée d’amitié.
Gaudet-Smet écrit bien. Ce recueil est sans doute aussi bon que ceux des Marie-Victorin et Lionel Groulx. Son seul défaut, c’est de venir 30 ans trop tard. L’auteure, conscientisée, insiste beaucoup sur l’importance de la solidarité communautaire. En même temps, il y a un net parti pris pour le passé, un passé trop idéalisé, comme le démontrent les deux premières nouvelles. Comme on est en droit de s’y attendre, les intérêts féminins (de l’époque) sont très présents : on y parle de couture, de tissage, de tricotage, etc.
Extrait
— Une bonne femme, oui, vous pouvez le dire ! Une bonne femme, oui, c'est vrai, mais, surtout, une femme de saison. Prenez l'hiver : les boucheries, c'est bien du berdas. Le boudin. La saucisse de trois ou quatre gros lards, les têtes en fromage, les créions, les pâtés à la viande. Ça fait bien du graissage. Partager la viande avant de la mettre geler. L'envelopper morceau par morceau, avant de la cacher dans les carrés d'avoine. Et c'était pas aisé de mêler les palerons avec les jambons. Elle avait les yeux pointus. Toujours attentive à prévenir les mauvais coups. Faire semblant de rien, puis nous forcer à faire attention à tout.
Il coula un regard du côté des garçons, puis il demanda :
— Hein ? les enfants, vous lui passiez pas du bouleau pour du merisier ?
— Ni du bois vert pour du bois sec, finit André, ce cousin qui avait accueilli Gilberte à son arrivée.
Le père continua :
— Préparer tout le manger des fêtes, pour une vieille maison qui reçoit les enfants et les petits-enfants, c'est du trémoussage. Les viandes, la pâtisserie, les beignes, les tartes, elle avait toujours peur d'en manquer. Et la cachette de noix longues pour retrousser le goût du sucre à la crème... Vous vous souvenez, les petits gars ? Vous l'êtes-vous assez fait chanter que les écureux vous portaient opposition ?
Les fêtes passées, c'était le cardage de la laine. Le filage ensuite. Puis le métier à monter. Avec les couvre-pieds à piquer, on s'en allait sur le printemps qu'on n'avait pas le temps de s'ennuyer des jours gras.
Le temps du sucre ! Elle savait faire bouillir et surveiller le réduit aussi bien que nous autres. Aujourd'hui, il y a des thermomètres. Mais dans le temps que le sirop se finissait à l'œil, fallait regarder comme il faut. À l'étable, les petits veaux arrivaient drus. Puis les petits cochons. Sans oublier les poulets qui demandaient du dorlotage.
Il allait s'arrêter... lorsque, comme pour lui aider à reprendre haleine, une femme continua :
— Faut pas oublier sa collection de plants. Je me disais toujours qu'elle en avait pour toute la paroisse.
Et c'est à peu près toujours ce qui arrivait. Si une femme manquait son céleri ou bien ses choux, recours à Adéline qui en avait toujours à donner !
Narcisse secoua sa pipe sur son talon de bottine, la mit dans sa poche et reprit, comprenant que c'était d'abord à lui à parler le plus :
— Entre les semences et les récoltes, elle vous prenait l'été sur l'air du grand'ménage. Frotte, puis brosse, puis frotte encore. Et après, cours aux fraises, pour changer d'air. À travers toute la besogne, toujours deux tricotages de montés, à portée de sa main, pour ne pas rester inactive, s'il arrivait de la visite, ou qu'on recevait des veilleux : la laine pâle pour le soir, la foncée pour le jour.
Et ses poulets. Ses abeilles. Les couches-chaudes. Le savon. Quand je pense qu'elle est venue à bout de me gagner au contrôle laitier. C'est elle qui tenait les livres, avec les feuilles d'enregistrement des lards.
Pour le lin, c'avait été toute une discussion. Le lin, c'est bien court, ça mange une terre ! Elle a encore eu le dessus. Elle insistait : « Tu y penses pas ? Neuf filles, puis six brus. Va en falloir de la toile, pour tous les trousseaux. Vite, vite, si tu veux que je t'éjetonne ton tabac. »
Et puis, l'estèque, c'était le ménage de la grange pour recevoir la récolte fraîche : « Chez un bon habitant — c'était son dire — faut pas que le grain nouveau porte la poussière du vieux. »
Orise Béliveau leva la main, comme pour demander la parole.
— Moi, Narcisse, c'était les fleurs dans le jardin qui me surprenaient toujours. Des belles fleurs, à travers les oignons, et les navets. Ça prenait elle pour penser à ça ! C'était quasiment aussi beau qu'un beau parterre de ville ! Tard l'automne, il y avait les giroflées en fleurs quasiment jusqu'aux neiges.
Gilberte avait le cœur serré. Son oncle avait dit : « une femme de saison ». Avec des mots drus, des phrases courtes, il prolongeait sa pensée. Elle ne fournissait pas à le suivre. (p. 46-48)
une travailleuse infatigable et une grande voyageuse les bermudes le japon la france la suede . et plus .
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