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28 octobre 2010

Du centre de l’eau

Jean-Paul Filion, Du centre de l’eau, Montréal, L’Hexagone, 1955, n.p. (Coll. Les Matinaux)

Jean-Paul Filion, dont c’est le premier recueil, est aussi connu comme chansonnier, romancier, essayiste, dramaturge. Il a écrit entre autres « La parenté », chanson à saveur folklorique reprise par Jacques Labrecque. Il a fréquenté, comme Miron, l’Ordre de bon temps. Sa démarche, dans Du centre de l’eau, est très hexagonienne : l'aliénation se résorbe dans l'amour et l'engagement. La thématique de l’eau est un peu surprenante et mériterait une analyse approfondie.

« Vapeurs des journées amoindries par un écran de ciment » : c’est le premier vers du recueil de Filion. De l’autre côté de l’écran de ciment, il y a la mer, symbole de tous les possibles : « la mer vit sa vie / elle souffle comme elle veut / sans grand éclat de rire / mais elle souffle comme elle veut / ses passions ses délires / puis elle montre les seins / en attendant ses amis »

L’usage de la liberté, le contentement du désir semblent inaccessibles au poète, idées reprises dans « Le rire cassé » : « il y avait tant de soleil à voir / sur l'épaisseur des feuilles / tant de lumière à boire / dans la coupe des grands tournesols / tant de tiges à l'amour / comme des pollens d'avenir » Un peu comme Anne Hébert l’a si bien fait dans « Il y a certainement quelqu’un », Filion décrit un personnage en marge d’un monde qu’il doit observer sans y goûter : « moi / je reste / à l'intérieur de ma porte de verre / seul / avec les quelques bouchées de nacre chaude / laissées au hasard / sur la grève mouvante »

Cet homme est pour ainsi dire cloué sur place par la peur, incapable du moindre devenir : « la peur de parler trop ou trop fort / la peur de mettre le vent dans les dernières feuilles de ma tête / peur de cette joie immense que je sens défiler à mes côtés / peur de ne plus voir dans une vraie lumière le long sillage qui coule au bout de ton doigt ». Ou encore : « notre démarche léthargique crissait les sables de l’inutile / pendant que nos souliers se gommaient de sable et de pluie »

La fin du recueil est davantage placée sous le signe de l’accomplissement, le poète ayant réussi à secouer le joug qui l’aliène : « un jour l’on a brisé l’œuf puant de l’amertume / ce fut le commencement du règne de la main ouverte ». On peut sans doute lire dans les vers suivants le désir de s’engager de la génération de l’Hexagone : « c'était au temps des neiges primitives / au temps lointain de la vie sans racines / les enfants prenaient peu à peu la garde du monde / sans le dire à personne » Dans le dernier poème du recueil, le poète en marche se sent capable de dompter mer et terre, bref il renoue avec sa vie, avec la vie :

POUR LA PREMIÈRE FOIS

pareils aux fibres de la pluie
c'était la grande tombée de tes cheveux
entre les feuilles ruisselantes de ma main
tes longs cheveux de plomb fluide
éternellement posés comme des ailes à ton sourire

il a fallu ta seule présence pour replier la mer
ta seule image pour enchaîner ma chair
au germe du matin
et depuis je n'ai cessé de mordre
à pleines dents
à pleines mains
la terre le vent les champs-soleil
et l'envol éperdu de ton regard d'enfant

le chant de la lumière
a balayé un à un les murs de ma douleur
et je suis sorti au grand air
portant ma tête à la surface de l'eau
pour la première fois
debout sur la blanche humidité de mes nuits
j'ai salué le sang
aux veines de chaque chose

25 octobre 2010

Séquences de l’aile

Fernand Ouellette, Séquences de l’aile, Montréal, L’Hexagone, 1958, 53 pages.

Dans Séquences de l’aile, on retrouve la tension entre le matériel et l’immatériel déjà présente dans Ces anges de sang. L’ange tente par tous les moyens d’échapper aux contingences terrestres. À cet égard, quelques titres sont assez parlants : « Audience au plein de l’espace », « Langue de l’aile », « Cinéma cosmique », « Doigts fusées », « Pelure de ciel », « Passeport des étoiles ». Les mots « élévation », « ascension », « envol », « altitude », « cosmique », « ciel » me viennent à l’esprit pour décrire sommairement le recueil. Un poème est dédié à Marc Chagall : on se rappelle comment ses personnages, humains et animaux, font peu de cas de l’attraction terrestre. Il en est ainsi chez Ouellette.

Presque tous les poèmes de la première partie se présentent comme une recherche de la transcendance. On serait peut-être tenté d’y voir la volonté de fuir la réalité pour s’exiler dans le rêve ou dans une spiritualité désincarnée. En fait c’est beaucoup plus complexe que cela. Je ne pense pas qu’on puisse y lire un refus du monde; je dirais même que le poète tente de raccrocher cette transcendance au réel. Voyons quelques passages qui illustrent un peu tout cela. Souvent il y a donc ce mouvement d’élévation : « Nos alphabets mûrissent sur des toits qui montent »; ou encore : « Comme un barrage ma poitrine monta le long du monde ». Ou encore : « Tout le délire d’un regard, la gravitation d’un oiseau déliant les édifices ». La femme est aussi promesse de voyage cosmique : « Femme au sang obscur qu’un germe habite comme une élégie de laine : // Ta pure extase est passeport des étoiles ». Parfois, ce sont de purs déplacements dans l’espace : « Épopées de haut vertige! // Quand les poitrines bolides de l’espace relient cent villes d’étoile » Parfois, on a plutôt l’impression d’un double mouvement : « Car l’atterrissage d’un ciel à nos lèvres se prépare. // Et sur terre, par un air de guitare, nos artères prolongent les gratte-ciel ». Parfois le matériel s’abreuve de l’immatériel : « Voici le frais manège-à-planètes! Torse, musique et plante respirent de l’étoile. » On trouve aussi d’autres types de déplacement, d’échange. Par exemple, n’a-t-on pas l’impression que le réel valse dans cette strophe : « Aucun sanglot ne crépite dans ma gorge. C’est le signal pour de longues migrations d’immeuble au pays, de lointaines migrations de seins dans ma tête. » D’autres échanges intersidéraux ont lieu et cette fois au cœur même de l’humain : « Vers la paix des cuisses et de l’aine aquatique, douloureux piéton, vers le chaste organe qui se charge de nébuleuses. »

Le recueil compte deux autres parties. « Radiographie d’un jour » est une suite de quatre poèmes qui prolongent la partie antérieure. On peut y lire une critique de la vision immanente du monde: « Les voici leurs dieux gantés de dividendes, leurs bras de soie battant des boulons, battant des mesures de corbeau au blanc des tempes hautes. // Dernière édition de l’homme! Le miracle s’amincit aux rouleaux des rotatives. » Le poète-philosophe se sent étouffé dans ce monde rétréci : « De l’Orient à l’Occident les climats délirent. O Verbe! Où neige-t-il de l’air? »

« Quatuor climatisé », la partie qui vient clore le recueil, dédié « à l’esprit d’Ionisation d’Edgar Varèse », est aussi une suite de quatre poèmes. En voici le début : « Ici s’ébranle le panorama des klaxons. Ah réveillez les courbes de mousse au large des buildings. // Il y a croissance de corps nickels à travers le temps ». On dirait que les limites du monde tangible s’estompent, que le temps, la matière et l’humain procèdent à des échanges d’énergie pour recréer un maelstrom de début du monde : « Café moka! La Presse! Rue Sainte-Catherine! L’odeur des banques se mêle aux brises de l’enfance. Au long des devantures, les passants surchauffent un ciel éteint. » Ou encore : « Le choc des os calfeutre le frais champagne. Bulles de lune. Bulles de chair. Ventilateurs aspirent la vie mécanique! ». Pour mieux illustrer cette cosmogonie, je vous livre en entier le dernier poème du recueil. Remarquez les synesthésies, les mouvements de contraction et d’expansion et tous ces échanges temps-espace.

Les pas pierreux du pouls battant mes tempes. Mon cœur propage aux veines des télégrammes de glace. Sons de sève. Ciel d'horloge. Oxygène!

A l'horizon de l'outil s'engourdit la lumière. Tempo de bielles. Vibrations de rails. Sur le dur de l'échine bondissent les électrons de l'envol.

Un paysage se condense, se condense. Mes mains téléguident des aubes. Le temps s'élargit, la tête s'élargit. Mon œil propulse des aigles!
Poésie difficile, très intellectuelle, certes! Les lecteurs pressés que nous sommes n’y trouvent pas l’accroche facile qui permet de classer un recueil et de passer au suivant. Malgré la difficulté de lecture, on ne peut qu’admirer cette démarche d’une profondeur peu commune et ce feu d’artifices verbal que nous offre Fernand Ouellette.

22 octobre 2010

Ces Anges de sang

Fernand Ouellette, Ces Anges de sang, Montréal, L’Hexagone, 1955, 30 pages. (Les Matinaux)

« À cette époque, j'avais besoin de me regarder, de m'accepter brutalement dans ma condition charnelle. J'aspirais à devenir un humain entier. C'est ainsi que naîtront les premiers poèmes de celui que j'ai appelé l'ange de sang. »

« Le tragique, à vrai dire, c’est de ne pouvoir entrer de plain-pied dans l’éternité, dans la plénitude lumineuse. C’est d’avoir une conscience des limites, des jours, des espoirs et des amours. C’est de se rendre compte de notre situation réelle dans un corps et dans un temps donné, par rapport à l’être que nous voudrions devenir. Voilà pour moi le tragique. » (Itinérances spirituelles)

La poésie de Fernand Ouellette est peu circonstancielle, presque conceptuelle. Plus encore que Grandbois, Ouellette se tient loin de toute représentation du réel, de tous développements anecdotiques. Le poète utilise un réseau complexe de symboles qu’il nous faut interpréter, ce qui fait que le sens est toujours fuyant.

Déjà dans le titre se télescopent matériel et immatériel. L’imaginaire poétique du poète s’alimente de cette tension, pour ne pas dire de cette dualité. Il désire rompre avec un état aliénant pour accéder à un nouvel espace de liberté dans lequel il pourra s’exprimer : « Près de l’abime / on pleure ses yeux sans nid / et déjà! / à travers le déluge des nuées / un chant ténu escalade les instants ». Le motif des « yeux » est primordial dans le recueil, car le monde est appréhendé par le regard : « Nos yeux nomades au dos des vents traqués / comme de lourds baluchons gorgés de violence / vrillant des chemins vierges ». La contemplation du monde n’est pas passive. Par le regard, le poète espère rejoindre le monde de l’esprit : « Aux lents pendules des ombres / comme des faucons / ses yeux s’agriffaient ». Il ne faudrait pas penser que cette poésie est une fuite; au contraire, Ouellette semble dire que l’unité de cet « ange de sang » dépend de ce lien entre le tangible et l’intangible, comme on le perçoit dans le poème « Échec de geste » : « Quel ange me rendra / le haut sentier d’un geste plein / l’ardent pays d’un corps en marche? » Paradoxalement, l’ange se pose comme l’intermédiaire, le passeur pour accéder au réel. « Il est venu / cet ange des faims limpides / offrir son feu au chant des mains / aux yeux des plaies semer ses aubes ».

Georges Rouault ; Horses think
Les quatre derniers poèmes du recueil, regroupés sous le titre « Visages de l’exil », proposent non pas une solution, mais une avancée : dans le poème « Naissance », dédié à Lisette, l’amour offre le moyen de neutraliser la vieille tension contemplation-action : « et l’odeur infinie de ta présence / endort mes plaies, convie mes aigles / à l’intense élévation d’un chant / de feu ». Même chose pour « Le Christ galérien », dédié à Miron, dans lequel la religion ouvre la voie au cheminement du poète. Enfin, le dernier poème du recueil, tout à fait dans l’esprit de l’Hexagone, trace l’avenir prometteur d’un être réconcilié : « Et naîtra d’un monde vierge la blonde chaleur / le rivage du soleil dans l’enceinte des mains, / pour les mers blanches des yeux survivants / des visages accordés au libre univers / de leur élan ». On pourrait peut-être résumer en disant que cette poésie interroge la part de l’invisible dans nos vies.

Recueil difficile qui demanderait une longue étude, ce qui n’est pas l’objet de ce blogue. En essayant de donner une certaine logique à mon résumé, du même coup, j’oblitère assurément la densité du recueil. Cette œuvre traduit bien l’aliénation de l’écrivain des années 1950, partagé entre une recherche d’absolu très judéo-chrétienne et son désir de communier aux réalités de la « vraie vie ».


NOS YEUX DANS LE VENT
Nos yeux vigies au bout des vents
cinglant les phares raillant les escales
oh!
ces récifs de rêves
     au creux des auges assoupis.
Nos yeux nomades au dos des vents traqués
comme de lourds baluchons gorgés de violence
vrillant des chemins vierges
dans les filets d'espaces crevassés.

Nos yeux soleils qui envahissent le vent
     comme une marée dévorante de blé.
Nos yeux rivières glissant dans la brise
Confiant les urnes des mains broyées.
Voir ce texte de Paul Chanel Malenfant

19 octobre 2010

Les Cloîtres de l’été

Jean-Guy Pilon, Les Cloîtres de l’été, Montréal, L’Hexagone, 1954, 30 p. (Avant-propos de René Char; couverture typographique de Gilles Carle)

Deuxième recueil de la collection « Les Matinaux » et deuxième recueil de Jean-Guy Pilon, Les Cloîtres de l’été ne contient que 19 poèmes. René Char, à qui le titre est emprunté, a écrit l’avant-propos. Il développe une courte réflexion sur le pouvoir de la poésie : « elle rapproche et confond, fait mûrir autour du même noyau ce qui vraisemblablement se cherche sans se voir à travers un océan de séparation. »

Dès le poème éponyme, le premier du recueil, s’esquisse une thématique, qui sera reprise avec beaucoup de constance dans le reste de l’œuvre. Loin d’être un lieu où l’on trouve la sérénité, le cloître est plutôt un « refuge de brulant silence », un lieu où l’on est enfermé. Autour, tout appelle la vie : « L’été / partout sur le corps de la bien-aimée », le cœur « écrasé sous la charité de la dernière justice », « le seul désir de [s]es bras impatients ». Ce poème, comme beaucoup d’autres, se termine par une projection dans un futur libéré : « Je passerai ce seuil interdit / Pour dresser contre le ciel reconquis / L’acte nu de ma persistance. » Le vocabulaire religieux est abondant et souvent associé à l’enfermement : « cloître, prière, charité, foi, espérance, ciel, offrande, pèlerin, sanctuaire ».

La nature, par sa sensualité et sa beauté, n’a de cesse de lui rappeler qu’il faut museler « tous les assassins des songes », les « monstres de l’attentif silence » : « Couleurs et fruits au fond de nos mains / Et sur les arbres très hauts très lourds / Les jeux infinis de la lumière nue / Comme une accusation ». Il vaut mieux rompre avec un passé asphyxiant : « Les visages enfouis dans les saisons mortes / N’entendent plus mon cri vers la terre des hommes ». Et encore l’interrogation à saveur religieuse : « Sous l’œil de Dieu / Les fruits tomberont-ils avant que de murir? »

Bien que peu ancré dans le réel, je pense qu’il est possible d’attribuer à cette poésie – qui rappelle à bien des égards celles d’Anne Hébert et d’Alain Grandbois – une portée sociale : « Nos regards écrasés par un silence amer / Il faut chercher une parole nouvelle / Pour une autre lumière pour un autre langage. » La liberté de parole doit se conjuguer avec celle des corps : « Va nue sur la pierre et le sable sur l’été / Donne à la mer un baiser de tout ton corps. » L’immobilisme devient une maladie dont il faut guérir : « Je sais les plaies béantes de l’immobilité indécise »; « Serais-je toujours la proie repentante / De ce vertige dévorant et toujours renaissant de sa défaite »; « Corps broyés il ne reste que des os cassés au fond de nos yeux ».

Dans le poème le plus connu du recueil, « Accord sans passé… », très hexagonien, Pilon décrit la reprise en main d’un peuple :

II n'a fallu qu'un peu de pain sur nos langues sèches
II n'a fallu qu'un soupir vers le lendemain fertile
Pour comprendre la fin et le risque fragile
Pour comprendre les cendres amassées de la nuit
II n'a fallu que ton regard triste sur mon corps déchiré
II n'a fallu qu'une main levée accueillant ma douleur
Pour retrouver les routes difficiles très longues
Où veille la Beauté sans voile ni remords
Je te le dis pour l'avenir entre nous
Je te le dis pour le cœur battant du printemps
La lourde mémoire nous poursuit au delà de nous-mêmes
II faut réapprendre les espoirs nécessaires
Tout le reste du recueil parle de libération, exercice qui passe par l’intime comme ce sera souvent le cas chez les poètes de l’Hexagone : « O baisers sur la gorge / Profonde comme un miroir / Ouvert sur le début du monde ». « O chant de vie libéré / O fantaisie illimitée de nos corps / O toi ma frémissante ». Le dernier poème, « Promesse indéfinie », évoque une renaissance, un recommencement : « Ce sera le commencement de ce qui n’en a pas / Ce sera la main de Dieu ».

Il faut bien réaliser que Les Cloîtres de l’été est l’un des premiers recueils de l’Hexagone. À mon sens, et c’est son grand mérite, Pilon emploie une thématique qui deviendra la marque de commerce de la célèbre maison d’édition. Miron est déjà en grande partie dans Les Cloîtres de l’été : le passé aliénant, le présent agonique, le « nous » fédérateur, l’engagement, le passage obligé de l’amour, l'avenir prometteur. En même temps, Pilon est encore chez Hébert et Grandbois, du moins par le langage. En témoignent ces trois vers, très hébertiens : « Eaux bruissantes à la descente du jour / Vers une fontaine de grande lumière / Ou l’atroce ronce d’un torrent ».

15 octobre 2010

Des jours et des jours

Luc Perrier, Des jours et des jours, Montréal, L’Hexagone, 1954, 30 p. (Coll. Les Matinaux)

Des jours et des jours inaugure la collection « Les Matinaux » à l’Hexagone. Déjà le titre nous donne une bonne indication de ce qui sera traité dans les 14 poèmes du recueil. Perrier n’aborde pas de thématique précise, il y a même quelque chose de très indéfini dans le contenu comme en témoignent d’autres titres : « Beau temps mauvais temps », « Trois oiseaux », « Toi n’importe qui », « L’ordre du jour », « La force des événements ». On dirait le carnet le plus plat qui soit de la vie quotidienne. Ce recueil, tout simple, est assez loin de la thématique de l’Hexagone.

De quoi parle Perrier ? Des tensions dont est tissée la vie de tous les jours, des hauts et des bas, des avancées et des replis, de l’attente et de la rencontre, de réussites et d’échecs, de la vie et de la mort. « Des jours et des jours / sur les doigts de la main / sur nos signes de croix / sur nos signes d'adieu et de retour / sur les ailes de l'oiseau / sur nos cerceaux sur nos trottoirs / des jours sans pareil / des jours sans lendemain / des jours qui s'érigent / au seuil de nos joies / et qui s'achèvent sans nous »

Face aux vicissitudes de la vie, le poète adopte l'attitude courageuse de l'existentialiste : « Même si nos solitudes / n'ont pas eu / la place d'un rire / même si la vie / n'a pas encore été / la prière d'hier soir / […] / ce n'est pas une raison / de rebrousser chemin / sur son cheval d'épouvanté / et même si nous perdons jour / en face d'un mur / à pétrir un pain de malchance / il n'est pas question / de laisser tomber nos armes ».

Ce recueil, selon moi, appartient encore aux années cinquante. On y retrouve une certaine conception de la vie typique de la grande noirceur. C’est toujours le même va-et-vient, une conception plutôt fermée de la vie, celle d’une boucle, celle de l'absurde : « Coincé dans l'éternité de moi-même / je m'attends / à plus que ce qui arrive / toutes les heures / toutes les rues / tous les hommes / je creuse le temps / jusqu'à la moelle des os » On a l’impression que la vie s’échappe sans qu’on ne puisse la retenir, que toute intervention, même courageuse, est un peu inutile.

Perrier utilise à profusion l’anaphore et toutes les figures de répétition. Sa poésie tient souvent du chant. (Lire l’hommage de Jean Royer lors de son décès)


LA FORCE DES ÉVÈNEMENTS

Ce qui arrivera de plus
au macadam de nos pas
aux saisons de nos visages
au bout de ton corps
que la nuit déroule
dans les parcs

ce qui n'occupe aucune place
dans l'espace
et qui ne tient pas
dans le creux de la main
ce que nous posséderons
de nous-mêmes
ce que nous aurons de moins
à nos épaules

ce qui arrivera de plus
au lendemain de tout

une étoile qui danse
sur l'eau striée de nos étangs

l'étoile la source enchaînée
aux barrages de nos bras 

13 octobre 2010

Les Matinaux

Après la seconde Guerre mondiale, l’édition est en crise. La plupart des poètes sont publiés à compte d’auteur. C’est dans ce contexte qu’apparaît le phénomène de l’éditeur artisan. Éloi de Grandmont et Gilles Hénault ouvrent le bal en 1946 avec Les Cahiers de la file indienne. Roland Giguère prend la suite avec les éditions Erta en 1949. Suivront les Éditions d'Orphée (André Goulet) en 1951, l’Hexagone en 1953 et plusieurs autres.

L’Hexagone va devenir un carrefour de la poésie québécoise jusqu’aux années 1970, surtout à cause de la prestance et de la générosité de Gaston Miron. L'histoire de l'Hexagone commence avec la parution de Deux Sangs en 1953. Dès 1954, on crée une collection, « Les matinaux », dans laquelle on publie beaucoup de poètes qui en sont à leurs premières armes. Le titre de la collection est emprunté au poète René Char : « Je continuais à écrire, à déchirer, à recommencer. J'eus alors un coup de foudre : la découverte de l'œuvre de René Char. LES MATINAUX, entre autres, fut un livre important dans ma vie. Gaston Miron cherchait un titre de collection pour L'HEXAGONE : je lui proposai LES MATINAUX et lui dis en même temps que je lui soumettrais un manuscrit. Luc Perrier avait déjà terminé le sien : nous allions, tous deux, inaugurer la collection. René Char accepta d'écrire une préface aux CLOÎTRES DE L'ÉTÉ, et ce petit livre parut donc en 1955, précédé de cette prestigieuse recommandation amicale. » (Jean-Guy Pilon)

Cette collection durera jusqu’en 1972 et proposera 16 recueils

1. PERRIER (Luc) Des jours et des jours
2. PILON (Jean-Guy) Les cloîtres de l'été
3. OUELLETTE (Fernand) Ces anges de sang
4. FILION (Jean-Paul) Du centre de l'eau
5. FOURNIER (Claude) Le ciel fermé
6. POULIOT (Louise) Portes sur la mer
7. TROTTIER (Pierre) Poèmes de Russie
8. MARCHAND (Olivier) Crier que je vis
9. MARCEAU (Alain) A la pointe des yeux
10. SCHENDEL (Michel van) Poèmes de l'Amérique étrangère
11. CONSTANTINEAU (Gilles) Simples poèmes et ballades
12. LAPOINTE (Paul-Marie) Choix de poèmes /arbres
13. HORIC (Alain) Blessure au flanc du ciel
14. LEMOYNE (Gertrude) Factures acquittées
15. GARCIA (Juan) Alchimie du corps
16. SOUDEYNS (Maurice) L'orée de l'éternité


René Char et Les Matinaux
Poète auréolé de sa participation à l’aventure surréaliste et à la Résistance, René Char (1907-1988) s’est fait connaître par une poésie engagée qui tient souvent de l’aphorisme. Les Matinaux, publié en 1950, est une de ses œuvres maîtresses. (Les « matinaux » étaient des vagabonds qui parcouraient la contrée.) Il me semble que le style pratiqué par les poètes de l’Hexagone doit bien peu à Char. Sa poésie obéit à une esthétique très épurée, sans lyrisme ni romantisme, souvent ascétique. Le poème intitulé « Rougeur des matinaux », constitué de 27 parties, peut vous en donner une idée.

Voici les trois premiers segments :


I

L'état d'esprit du soleil levant est allégresse malgré le jour cruel et le souvenir de la nuit. La teinte du caillot devient la rougeur de l'aurore.

II
Quand on a mission d'éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisissement sont pour soi.

III
Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront.






Toujours dans Les Matinaux, on trouve ce beau poème, qui aborde le thème du pays, poème que la plupart des poètes de L'hexagone auraient signé volontiers.

QU'IL VIVE!

Ce pays n'est qu'un vœu de l'esprit, un contre-sépulcre.

Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.

La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme ému.

Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée.

Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.
On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.
Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie.
(René Char, Les Matinaux suivi de La Parole en archipel, Poésie Gallimard, 1969, p. 41-42)

L'Hexagone sur Laurentiana

11 octobre 2010

Deux sangs

Gaston Miron et Olivier Marchand, Deux sangs, Montréal, L’Hexagone, 1953, 67 pages. (Illustrations de Mathilde Ganzini, Jean-Claude Rinfret et Gilles Carle)

Deux sangs inaugure les désormais mythiques éditions de l’Hexagone. Désireux de donner des assisses à leurs rencontres, les fondateurs (Olivier Marchand, Gilles Carle, Louis Portugais, Mathilde Ganzini et Jean-Claude Rinfret) décident de publier un recueil. Comme personne n’a assez de matériel, ils s’y mettent à deux, Gaston Miron et Olivier Marchand, d’où le titre. Pour financer l'entreprise, le groupe lance une souscription auprès d'amis et fabrique de façon artisanale le livre (dans le sous-sol de Louis Portugais), tiré à 500 exemplaires, dont 200 « autographiés par les auteurs, [et] spécialement destinés à ceux dont la confiance et le soutien [ont permis] la présente édition ». Il est dédié « aux fraternels ». La partie de Marchand (27 poèmes) est plus longue que celle de Miron (17 poèmes).

Les poèmes d’Olivier Marchand
« je vous offre / mes frissons d’extase / l’espoir de mes yeux / le serrement absolu de mes poings / un pêle-mêle d’aspirations / l’herculéenne chaleur de mon corps dompté / l’humble création de mon esprit jaseur ». Marchand, dans ces quelques vers, décrit assez bien sa démarche poétique. Il me semble que cette poésie court un peu partout : on y parle beaucoup d’un passé douloureux et d’un espoir en la vie future, souvent d’amour, un peu de religion, à peine du pays. Tantôt les poèmes sont de mouture classique (vers de même longueur et rimes), tantôt très populaires, parfois surréalistes. L’auteur présente sa poésie comme une « tentative de communion ».



Les poèmes de Gaston Miron
On le sait, l’écriture d’un poème, pour Miron, était longue et ardue. Une fois le « bois mort » enlevé, parfois d’un poème naissait un autre poème. Et même les poèmes déjà publiés n’étaient jamais totalement fixés, si bien qu’à sa mort certains vers sont restés « en souffrance » pour l’éternité. Douze des dix-sept poèmes de Deux sangs seront intégrés, parfois transformés, à la partie « Influences » dans L’Homme rapaillé (ma version de référence, c’est la dernière, celle chez Gallimard/NRF). Les cinq autres ne seront repris que dans Poèmes épars : ce sont « Oh secourez-moi », « Le laid », « Les bras solitaires », « Dix-neuf ans » et « Potence » : la charge émotive et un certain apitoiement un peu trop appuyés ont probablement poussé Miron à les rejeter de son œuvre maîtresse.

Qu’en est-il des modifications? Certains poèmes ont changé de titre : « Semaines », « Berceuse d'horizons » et « Ma ravie » sont devenus « Chanson », « Cantique des horizons » et « Je t’écris ». Parfois un vers a été rayé, par exemple dans « Mon bel amour », celui-ci : « A tous ces matins j’irai prier ». Dans « Ce corps noueux », ce sont une dizaine de vers qui sont supprimés. Le plus souvent les coupures consistent à enlever quelques mots (souvent peu porteurs de sens comme les conjonctions, les adverbes…) et ainsi à rendre le texte plus fluide. Tous ces remaniements, même s’ils déplacent peu le sens, me semblent heureux. Par exemple, « Mais au bout de la nuit navrée / À l’orée du jour / Qu’y a-t-il / Qui se tient là » est devenu « « mais à l’orée de la nuit navrée / comme à l’orée du jour / qu’y a-t-il / qui quoi se tient là ». Les coupures et petits changements dans le poème « Ma ravie » (voir l’extrait) sont tous très heureux.

Le contenu de Deux sangs est plus sombre que celui de L’Homme rapaillé : « Tu auscultes toujours / D’une sonde à l’étoile / Ta longue désespérance »; ou encore : « Et le temps c’est une ligne droite et mourante / De mon œil à l’inespéré ». On ne retrouve le Miron des « sillages d’hirondelles » et on n’entrevoit celui de la « marche à l’amour » que dans les derniers poèmes du recueil: « C’est avec toi que je veux chanter / Sur le seuil des mémoires les morts d’aujourd’hui » Ou encore : « Tu renaîtras toi petite / Parmi les cendres / Dans notre petit destin. »

Comme Miron l’a souvent répété, il lui a fallu beaucoup de temps avant de se libérer de ses influences et de trouver sa voix. « Longtemps empêtré dans le livresque d'une part, et d'autre part dans l'imitation, notamment des poètes du terroir, d'ici et de France, mais aussi de Nelligan, DesRochers, Baudelaire, Verlaine, Péguy, Claudel, ce n'est qu'en 1952 que j'ai commencé timidement à parler moi-même. Dans les poèmes retenus de «Deux sangs», à côté de poèmes plus personnels, des poèmes à la recherche de ma voix, et à travers eux des saluts à Char, Saint-Denys-Garneau, Valéry, Mallarmé, de la Tour du Pin, Cadou. »

Si son oeuvre ne tenait qu'à Deux sangs, il est bien évident que Miron ne serait pas devenu le « monument » qu’il est. Ceci étant dit, il me semble que cette voix inoubliable est déjà là, un peu à l’étroit, un peu enchevêtrée dans des formes contraignantes, sans le grand souffle et le grand rire, moins libres pour tout dire, mais déjà là quand même. Je pense surtout aux poèmes « Pour retrouver le monde et l'amour » et « Ma ravie ».

MA RAVIE (extrait)
J'écris pour te dire que je t'aime
Que mon coeur qui voyage tous les jours
-- Le coeur parti dans la dernière neige
Le coeur parti dans les yeux qui passent
Le coeur parti dans le vent des cordages
Le coeur parti dans les ciels d'hypnose —
Revient le soir comme une bête atteinte

Qu'es-tu devenue mon amour comme hier
Moi j'ai noir dans la tête j'ai froid dans la main
J'ai l'ennui comme un disque rengaine
J'ai peur d'aller seul peur de disparaître demain
Sans ta vague à mon corps sans ta voix de mousse humide
C'est ma vie que j'ai mal et ton absence

Le temps saigne. Quand donc aurai-je de tes nouvelles
J'écris pour te dire que je t'aime
Que tout finira dans tes bras amarré
Que je t'attends dans la saison de nous deux.
Qu'un jour mon cœur s'est perdu dans sa peine
Que sans toi il ne reviendra plus

Gaston Miron sur Laurentiana

7 octobre 2010

Trois femmes

Alphonse Loiselle, Trois femmes, Montréal, Fernand Pilon, 1933, coll. « Le livre d’aujourd’hui », 184 pages. (Préface de Jean Béraud)

Une jeune maîtresse d’école esseulée, Micheline Vaubert, rêve du grand amour. Son nouveau poste, près du lac des Ombres (au nord de Montréal), l’amène à rencontrer deux hommes. Le premier, Maurice Vadeboncoeur, est un jeune terrien sérieux; l’autre, Pierre D’Aragon, est un étudiant en médecine, victime d’un léger accident d’auto dans son village. Son cœur bat pour le citadin qui l’a courtisée, puis est reparti. Dans le but de le rejoindre, elle abandonne son poste et Maurice, et décide de devenir infirmière. Elle revoit Pierre, ils se fréquentent, mais bientôt elle apprend qu’il est fiancé et qu’il va se marier à une riche héritière. Il semble qu’à cette époque la médecine payait bien peu son homme. Deux années passent. Micheline est retournée dans son village et a repris ses amours avec Maurice. Pendant ce temps, le couple de Pierre D’Aragon bat de l’aile. Et de façon subite, sa femme décède, laissant un orphelin.

Pierre D’Aragon renoue avec la jeune maîtresse d’école, mais décide d’aller se spécialiser à New York. Il lui confie son fils avec la promesse de revenir dans un an et de l’épouser. Mais il rencontre une Irlandaise et ne peut résister. Il revient à Montréal avec elle en attendant de l’épouser. Il retrouve son fils. Micheline, abandonnée une deuxième fois, retourne dans son village. Quelque temps passe. Dans une scène finale dramatique et invraisemblable, le docteur D’Aragon, à la chasse au lac de l’Ombre, tue par accident son ancien rival. Par la force des choses, il renoue encore une fois avec Micheline. Il lui avoue que son fils est atteint de paralysie infantile. Quand sa belle Irlandaise l’abandonne, il revient encore vers Micheline et, cette fois, c’est la bonne, il l’épouse.

Le résumé doit parler de lui-même. Va encore pour le mélo, mais Trois femmes ne respecte pas l’intelligence du lecteur. La scène de chasse à la fin, dans laquelle le docteur tue Maurice, dépasse toutes les limites de l’acceptable. En outre, l’auteur n’a aucune notion de psychologie. Après une première rencontre, les personnages se font des déclarations amoureuses dans des dialogues amoureux risibles (voir l’extrait). S’il fallait trouver un certain mérite à ce roman, on pourrait retenir un certain effort de rendre la description poétique.

Deux extraits de la préface de Béraud :
« M. Alphonse Loiselle est journaliste. Je ne le dis pas pour l'excuser de ne pas oublier qu'il fut reporter avant de devenir romancier. La plupart des bons romanciers ont commencé ainsi. Je ne le dis pas davantage pour tenter de justifier la précipitation avec laquelle certaines pages semblent écrites. »

« La partie descriptive du roman n'est pas la moins intéressante, même si elle fait parfois hors-d’œuvre, n'influençant pas autant qu'on l'eut souhaité la vie intérieure des personnages. »

Extrait
II y avait fête ce soir-là chez les Vadboncoeur. L'ainée des filles avait épousé, la semaine précédente, Jean Gervais, marchand du village. Aussi les nouveaux mariés, de retour de leur voyage de noces, étaient l'objet d'une réception extraordinaire. Micheline était au nombre des invités. Maurice Vadboncoeur avait profité de la circonstance, pour demander à la petite maîtresse d'école de l'accompagner. Celle-ci en fut tout heureuse. Elle aimait le plaisir, la vie en société, la conversation, la danse, les jeux. Elle s'amusait des réparties de celui-ci et des galanteries de celui-là.
— Ils semblent heureux, les nouveaux mariés, remarqua Maurice.
— En effet, répondit Micheline, nous pouvons facilement imaginer que leur vie s'écoulera dans l'entente parfaite et l'union de leurs cœurs, de leurs volontés et de leurs intelligences.
— Voilà qu'elle dit de belles phrases, souligna un loustic.
— Je suppose que vous enviez leur sort, souffla Maurice à Micheline.
— Quand l'amour est bien compris, le mariage doit être agréable, répondit Micheline.
Cette remarque se perdit dans le brouhaha général. Au salon, les jeunes gens dansaient au son de la radio. C'était le moment des déclarations amoureuses, des petites rivalités, des conquêtes pacifiques. Les "beaux" et les "belles" s'acquittaient de leur tâche à qui mieux mieux. Micheline au bras de Maurice, participait à la danse, tout en riant de toute sa petite physionomie épanouie. Un de ses mille rêves s'accomplissait-il, à l'instant ?
— Vous savez, Micheline, l'intérêt que je vous porte? dit Maurice.
— Je suppose, mon ami, que c'est réciproque.
— C'est-à-dire que j'espère en l'avenir et que j'y songe de plus en plus.
— Vous avez raison de préparer cet avenir.
— Micheline, ajouta Maurice, une seule jeune fille m'intéresse ici.
— Et c'est...?
— Voyons, pourquoi exiger encore ce soir une déclaration?
— Parce que j'aime les déclarations, j'aime à vous entendre me répéter à l'oreille ce que vous pensez de l'institutrice.
— Et moi, Micheline, j'aime vous dire que j'ai confiance en vous, que j'espère conquérir tôt ou tard celle que je désire.
— Alors, est-ce une demande en mariage, demanda Micheline, avec un grand éclat de rire?
— Pas encore,... Plus tard,... peut-être.
— Maurice, je vous estime, parce que vous êtes bon, honnête, loyal et travailleur.
— Je fais plus que vous estimer,... je vous aime Micheline, finit Maurice, en appuyant fortement sur cette dernière phrase.
La jeune fille regarda son compagnon de danse d'un air surpris. (Pages 35-36)

3 octobre 2010

Les statistiques de Blogger

Depuis juin, Blogger fournit à ses membres des informations quant à la fréquentation de leur blogue sur des bases quotidienne, hebdomadaire et mensuelle. On nous précise le nombre de visiteurs, leurs origines, le moyen qu’ils ont utilisés pour nous atteindre (Google, Wikipedia, Bing, Littérature québécoise, etc.).

Les statistiques du mois de septembre (2 sept. 2010 – 1 oct. 2010)

Selon Blogger, 6343 pages (un visiteur peut voir plus d’une page) ont été vues. Voici la liste des 10 pages les plus fréquentées (environ le tiers des visiteurs) :
1. Maria Chapdelaine (2008-07-02) = 674 Pages vues
2. Trente arpents (2009-09-23) = 373 Pages vues
3. Marie Calumet (2007-02-07) = 319 Pages vues
4. Le Survenant (2008-04-04) = 276 Pages vues
5. Un homme et son péché (2009-04-02) = 147 Pages vues
6. Bonheur d'occasion (2009-02-07) = 128 Pages vues
7. La Scouine (2010-08-26) = 108 Pages vues
8. Les Demi-Civilisés (2009-03-01) = 89 Pages vues
9. La Terre paternelle (2007-04-12) = 57 Pages vues
10. Menaud maitre-draveur (2008-10-24) = 53 Pages vues

Blogger fournit aussi l’origine du visiteur :
1. Canada = 5 239 visiteurs
2. France = 358 visiteurs
3. États-Unis = 199 visiteurs
4. Corée du Sud = 63 visiteurs
5. Brésil = 48 visiteurs
6. Belgique = 37 visiteurs
7. Russie = 36 visiteurs
8. République tchèque visiteurs = 30
9. Égypte = 30 visiteurs
10. Suisse = 21 visiteurs

On fournit aussi les mots-clés de recherche :
Maria Chapdelaine résumé = 250
Trente arpents = 94
Trente arpents De Ringuet = 62
Marie Calumet = 53
Le Survenant = 32
La Terre paternelle = 31
Bonheur d'occasion = 29
La Scouine = 23
Les Demi-civilisés = 20
Résumé Maria Chapdelaine = 12

Réflexions que j’en tire
Je suis étonné (et flatté) du nombre de visiteurs étrangers sur mon site. Quant ils viennent des pays francophones, je peux toujours comprendre (je n’en suis pas moins flatté). Je peux même comprendre les États-Unis. Mais la Corée du sud? Le Brésil? L’Égypte? (vous venez de ces pays ? Est-ce Maria Chapdelaine qui vous amène sur mon site? Si le cœur vous en dit, écrivez-moi un « petit mot » pour me l’expliquer.)

Je suis étonné de la popularité de Maria Chapdelaine (10% des visites). J’en tire comme conclusion (peut-être à tort) que le roman continue sa carrière internationale. Est-il étudié en traduction? Dans un même souffle, vous aurez constaté la popularité des romans du terroir. Il faut dire qu’ils sont très lus dans les cégeps québécois. Ce qui m’inquiète, c’est que je retrouve souvent dans les mots-clés de recherche « Maria Chapdelaine résumé » : cela sent le cancre qui ne veut pas lire son livre. J’espère que mon site ne contribue pas à la bêtise.

Des statistiques quotidiennes m’apprennent aussi que la page d’œuvres très mineures est consultée de temps à autre.

Dernières conclusions
Un blogue n’existe pas sans lecteurs. Je comprends que mon propos est assez pointu et que, très souvent, je parle d’œuvres que très peu de personnes ont lues. Même si j’ai peu de commentaires, les lecteurs sont importants pour moi. Qui sont ces lecteurs? Un étudiant qui a besoin d’une vue rapide d’une œuvre littéraire? Un chercheur? Un collectionneur bibliophile? Simplement un curieux?

Voilà il m’a semblé que ces statistiques pourraient vous intéresser. Je pense qu’elles nous apprennent certaines choses sur la vigueur de la littérature québécoise.

1 octobre 2010

André Laurence

Pierre Dupuy, André Laurence, Canadien français, Paris, Plon, 1930, 246 pages.

Le roman est préfacé par l’auteur et divisé en trois parties.

1919-1920. André Laurence en est à sa dernière année d’études au Noviciat des Jésuites à Montréal. Contrairement à ses collègues qui aspirent aux professions traditionnelles, il rêve de devenir écrivain. Il rencontre une jeune fille, tout aussi idéaliste que lui, Jacqueline Lambert : elle est la fille d’un riche commerçant et d’une mère délicate et raffinée. Les deux sont très amoureux. Pour réaliser ses ambitions littéraires, soit de conquérir tous les marchés francophones, le jeune Laurence pense aller en France, rêve que partage Jacqueline. Quand le père de celle-ci découvre leur projet, il s’y oppose, exigeant de Laurence qu’il se trouve une « situation », s’il veut la main de sa fille. Laurence se plie au diktat de son futur beau-père. Avec l’aide de ce dernier, il se lance dans le milieu des affaires, quitte à satisfaire ses ambitions littéraires autrement : « il suivrait le conseil de M. Lambert, en consacrant ses loisirs à la littérature. Après tout, de nombreux auteurs canadiens avaient été dans ce cas, obligés la plus grande partie de la journée à un travail rémunérateur pour assurer leur vie et celle de leur famille. Ils étaient parvenus à une respectable notoriété. André ne rappelait Crémazie, Fréchette et tant d'autres. Pourquoi ne ferait-il pas comme eux? » Jacqueline l’encourage à écrire et lui suggère même certains thèmes. André commence un long poème épique sur le fleuve Saint-Laurent.

Il s’intègre plutôt bien à son nouveau milieu, celui des banques. Il réussit à se faire quelques bons amis et à se faire apprécier du patron. Le soir, et parfois tard dans la nuit, il travaille à l’avancement de son poème. À ce rythme, il s’épuise. Il en vient à douter de ses aptitudes littéraires et son travail à la banque lui apparaît terne.

Jacqueline s’aperçoit de son état et l’encourage à remettre en selle son rêve de partir pour Paris, seul s’il le faut. À peu près au même moment, le père de Jacqueline, ayant entendu des éloges sur le travail d’André à la banque, lui consent la main de sa fille et lui offre même une position beaucoup plus avantageuse. André se retrouve devant un dilemme : rester et faire carrière (tout le monde et même Jacqueline, maintenant, tentent de l’en convaincre) ou réaliser ses rêves et partir. Il décide de partir.

Vous l’aurez compris, la grande opposition qui dynamise ce roman, c’est celle entre le matériel et l’intellectuel. Dans André Laurence, même si le jeune héros est plutôt admiratif devant le côté très structuré des banques, il a tôt fait de découvrir que les gens d’affaires sont froids, peu intéressants, des pions dans un système qui les exploite.

Dans la foulée de ce thème, il faudrait parler de l’image de Montréal que nous laisse ce roman, une image très négative. Commençons par les Montréalais : « Mais une fois au bas de la côte, il suivit la rue Craig et tourna dans le boulevard Saint-Laurent. Il se sentait un peu libéré de son obsession. Un air froid et vivifiant descendait dans sa poitrine. Les étalages éclataient de lumière : lampes à arc, tubes de mercure bourdonnants, qui éclairaient au passer une juiverie récemment arrivée des ghettos d'Europe centrale. Figures aux barbes hirsutes et jaunies près des lèvres par l'éternel mégot, faces rondes et bouffies qu'entourait un châle noir serré par la main sous le menton, grands yeux voluptueux des jeunes Orientales jetant une œillade oblique vers les hommes. Des nègres aussi, des Italiens, des Nordiques et quelques rares Canadiens. Toutes les langues, toutes les races, tous les vices, toutes les misères. »

Poursuivons avec l’image physique de la ville : « Le navire avait pris sa marche régulière dans le chenal, au milieu du Fleuve. De là, on voyait Montréal dans toute la difformité de sa laideur et de sa beauté modernes. Au premier plan, d'immenses réservoirs à blé, très hauts, formidables, tels des pans de remparts cyclopéens, restés debout depuis des temps immémoriaux. Et à leurs pieds, des mâts, des cordages, des grues, des passerelles métalliques, de vastes entrepôts, tout un appareil compliqué, précis, dressé devant la ville, dont on apercevait les constructions sans art et les toits inégaux. Ville de commerce, d'industrie, de finance, de prospérité matérielle. Jusqu'aux pentes sombres du Mont-Royal, là-bas, ce devait être presque partout la même indifférence à l'harmonie des lignes architecturales, le même unique souci de commodité. Mais, surtout cela, tombait le soleil d'avril. Des vapeurs matinales, adoucissant la dureté des contours, égayant les surfaces noires des murs, idéalisant la forme des clochers, semblaient sortir de cette immense agglomération en travail, avec son incessante rumeur. On avait l'impression d'un monde lier de sa puissance neuve et qui la déploie en des activités innombrables. »

Un dernier aspect qui me semble intéressant, c’est la perception du rôle de l’écrivain. « Vous ne concevez jamais […] que l’on puisse se contenter d’une vie modeste pour se consacrer à l'art, aux lettres, à la science: Cela existe aussi, mais sur un plan supérieur à celui des écus, des grosses réalités matérielles, et quand un des nôtres veut s'y élever, c'est ce que vous faites, vous levez les épaules comme en ce moment. Ah! vous pouvez en parler de l'avenir du Canada français... Vous êtes patriotes, vous ne voulez pas passer pour des sauvages? Mais vous ne serez guère mieux. Vous nous préparez une belle civilisation de parvenus qui se glorifieront du nombre de leurs salles de bain, des marques de leurs autos et de leur chauffage central ! » André Laurence pense qu’il n’y a que Paris qui puisse faire de lui un véritable écrivain. Abandonner l’idée d’aller parfaire son éducation à Paris, c'est accepter de n’être au plus qu’un Crémazie ou un Fréchette.  Paris apparaît comme un lieu mythique, un lieu rêvé : « Aller à Paris!... Qu'est ce que cela représentait pour eux ! Tous, ils avaient entendu quelque compatriote qui en revenait, faire le récit de son voyage avec des airs d'extase et de supériorité. Les termes usuels au Canada ne suffisaient plus : c'était épatant, effarant, inouï, formidable, absolu, définitif. Et les réticences combien plus significatives encore !... Tous, ils avaient assez lu de romans, feuilleté de revues, admiré de cartes postales et de reproductions, étudié d'histoire de France, pour connaître Paris comme la ville par excellence; et chacun, suivant son tempérament, s'arrêtait à penser une minute aux chefs-d'œuvre de l'art, aux palais et aux jardins, à une vie libre et facile, relevée par l'esprit raffiné des hommes et l'élégance voluptueuse des femmes. »

Ce n’est certes pas le plus mauvais roman de cette époque. Le déroulement de l’histoire n'est jamais factice, le ton me semble très juste. La description du milieu bancaire et celle de Montréal annoncent Alexandre Chenevert (publié en 1954) de Gabrielle Roy. Le style est très fluide.