18 mai 2018

À la pointe des yeux


Alain Marceau, À la pointe des yeux, Montréal, L’Hexagone, 1958, 30 p. (Coll. Les matinaux, no 9) (Couverture rempliée illustrée par Gilles Carle.)

En épilogue, le poète écrit : « Il y a tant et tant / de noir / à voir / à percer / pour trouver ceux qu’on aime. » La poésie de Marceau, c’est celle d’une quête. Quête de l’autre mais peut-être  plus encore, quête de soi.

Au départ, le sujet aux prises avec ses fantômes semble avoir de la difficulté à sortir de la « nuit noire » pour s’élancer dans le jour naissant : « Je regarde mes doigts / tracer des lignes / de destin / sur l’horizon penché du matin ». Il y a ce désir de se régénérer : « je vais laver mon corps / dans l’eau gardée au creux des feuilles / comme en des mains / et tous les miroirs / et tous les ruisseaux vont me trouver beau ».

Sa quête ne saurait se contenter de faux fuyants. « Chacun habite mon visage / et je me perds dans ma maison ». Il tente d’atteindre l’autre, mais ses tentatives semblent peu fructueuses : « Je saisis ton visage / mirage taché de sommeil // Tu n’es plus // … / Je n’ai que moi / avec mes mains qui sculptent le soleil / ma tête centrifuge / et vidé de moi-même ». Pourtant l’autre semble la voix royale pour retrouver l’harmonie : « Je ne demande rien / que la joie d’être près de toi / et ta main / refermée sur ma voix ». 

La route qui mène à l’apaisement semble faite de courtes victoires et de cruelles rechutes. « Oh ma tête éclatée / Quels marteaux me sculptent le crâne / et me décervellent ». Dans le poème, peut-être le plus marquant du recueil, le sujet se décrit comme un noyé toujours au bord du gouffre : « À quoi rêvent les noyés / leurs grands yeux bien ouverts / sur la nuit verte et verticale / de toutes les mers ». La réponse se trouve dans les deux derniers vers : « … ils se retrouvent sur eux-mêmes / toujours seuls et pareils ». On pourrait penser que la quête s’avère inutile, mais c’est sans compter sur le court poème en épilogue : « J’ouvre mon œil / plus grand que les croisées / et j’avale d’un coup / tout l’air frais / qui me croise le cœur / Et mes bras se débranchent / du chambranle des portes. »

Cette poésie, encore une fois, appartient de plain-pied aux années 50 : la solitude, le repli sur soi,  l'incommunicabilité des êtres, la difficulté d'exister, les interrogations existentielles. 

Voir Les matinaux

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