LIVRES À VENDRE

31 décembre 2019

Domaine public 2020

Deux autrices et un auteur entrent dans le domaine public demain, le 1 janvier 2020. Il s’agit de Virginie Dussault, Nellie Maillard et  Marius Barbeau. Pour tout savoir sur ces trois artistes (et beaucoup d’autres personnalités de différents domaines), voyez l’excellent « Calendrier de l'avent du domaine public 📚 Édition québécoise ».

Virginie Dussault n’a publié qu’un roman que je n’ai jamais vu : Amour vainqueur.  De Nellie Maillard (pseudonyme : Anne-Marie), j’ai blogué L’aube de la joie. Enfin j’ai presenté trois œuvres de Marius Barbeau : Les rêves des chasseursL’arbre des rêves et l’injustement oublié : Le rêve de Kamalmouk.






20 décembre 2019

Contes de Noël (O'Neil)


Louis C. O'Neil, Contes de Noël, Sherbrooke, Apostolat de la Presse, 1959, 171 p. (1ère édition : 2 vol., 1951)

Le recueil contient 13 contes qui ont peu à voir avec ce qu’on présente traditionnellement comme des « contes de Noël », c’est-à-dire des histoires où priment de bons sentiments qui font appel à l’émotivité du lecteur. Vous savez un « cœur dur » qui se laisse attendrir ou un pauvret qui est secouru par une âme charitable. Les contes d’O’Neil ne s’adressent pas aux enfants… peut-être aux adolescents… d’autrefois. Plus souvent qu’autrement, ils font appel à l’imaginaire religieux des gens d’une autre époque : le ciel, les anges, les moines, les servants de messe, Bethléem…

Ce sont des récits dans lesquels l’intrigue est réduite au minimum.  L’auteur a plutôt opté pour la fantaisie dans le choix de ses personnages : des loufoques, des mystérieux, des animaux, des fleurs, des astres…  On observe aussi une recherche au niveau du langage, d’ordre poétique, parfois sur-écrit, ce qui peut gêner un jeune lecteur.

Quatre contes sont construits sur le même modèle : tour à tour, ce sont les oiseaux (La volière est « aux oiseaux »), les animaux (Noé prépare Noël), les fleurs (Marie parle aux fleurs) et les astres (Les astres à la crèche) qui se regroupent pour rendre hommage à l’enfant Jésus. Par exemple, dans La volière est « aux oiseaux », l’auteur offre un court rôle à une multitude d’oiseaux qu’il se plaît à énumérer.  Même Noël dans la vitrine est un peu conçu de la même façon : les jouets s’animent à savoir qui aura droit à la grande vitrine du magasin.

D’autres contes mettent en scène des personnages un peu facétieux, par exemple un moine qui finit par abimer toutes les statues tant il est maladroit (Paphnuce dans le plâtre), ou un sacristain qui joue un mauvais tour aux enfants de chœur (Les démons de sacristie). Pour continuer dans la veine des contes qui font sourire plutôt qu’émouvoir, citons Quasimodo (une chatte donne naissance à ses chatons dans la crèche) et Entretien avec Saint-Nicolas (une jeune fille espiègle bombarde Saint-Nicholas de questions pendant qu’il répare sa poupée). « Ieschou » (La naissance de Jésus), Noël dans le clocher (Les cloches morigènent la dernière venue qui n’arrive pas à donner un do), La crèche de neige (Un homme crée les personnages de la crèche avec de la neige), et Le boeuf de la crèche raconte ses randonnées (Le bœuf regrette que le mercantilisme contemporain ait remplacé la magie d’autrefois) viennent compléter le tableau.

Ce recueil a connu deux éditions, signe qu’il a eu un certain succès. Quant à moi, les contes de Fréchette, Joséphine Marchand et Louis Dantin lui sont supérieurs.  Louis O’Neil l’a dédié à sa femme et à ses six enfants. Il y a beaucoup d’illustrations, mais l’artiste n’est pas nommé.





14 décembre 2019

Avec toi (Miron)



Gaston Miron est décédé le 14 décembre 1996, il y a 23 ans. Ce poème est extrait de « La marche à l'amour ».  Dans cette suite, Miron décrit à la fois la grandeur de l'amour, sans laquelle aucune vie n'est possible, mais aussi la difficulté d'aimer, en ces temps troublés où l'existence collective est sans cesse menacée.


                                                                    AVEC TOI

I

Je voudrais t'aimer comme tu m'aimes, d'une
seule coulée d'être ainsi qu'il serait beau
dans cet univers à la grande promesse de Sphinx
mais voici la poésie, les camarades, la lutte
voici le système précis qui écrase les nôtres
et je ne sais plus, je ne sais plus t'aimer
comme il le faudrait ainsi qu'il serait bon
ce que je veux te dire, je dis que je t'aime

l'effroi s'emmêle à l'eau qui ourle tes yeux
le dernier cri de ta détresse vrille à ma tempe
(nous vivons loin l'un de l'autre à cause de moi
plus démuni que pauvreté d'antan) (et militant)
ceux qui s'aimeront agrandis hors de nos limites
qu'ils pensent à nous, à ceux d'avant et d'après
(mais pas de remerciements, pas de pitié, par
amour), pour l'amour, seulement de temps en temps
à l'amour et aux hommes qui en furent éloignés

ce que je veux te dire, nous sommes ensemble
la flûte de tes passages, le son de ton être
ton être ainsi que frisson d'air dans l'hiver
il est ensemble au mien comme désir et chaleur


II
Je suis un homme simple avec des mots qui peinent
et je ne sais pas écrire en poète éblouissant
je suis tué (cent fois je fus tué), un tué rebelle
et j'ahane à me traîner pour aller plus loin
déchéance est ma parabole depuis des suites de pères
je tombe et tombe et m'agrippe encore
je me relève et je sais que je t'aime

je sais que d'autres hommes forceront un peu plus
la transgression, des hommes qui nous ressemblent
qui vivront dans la vigilance notre dignité réalisée
c'est en eux dans l'avenir que je m'attends
que je me dresse sans qu'ils le sachent, avec toi

13 décembre 2019

La première Canadienne dans le Nord-Ouest

 Georges Dugas, La première Canadienne dans le Nord-Ouest, Montréal, Cadieux et Derome, 1883, 112 pages et Un voyageur des pays d’en-haut, Montréal, Beauchemin, 1890, 142 p.

Cette semaine, je fais exception; je présente deux livres dont j’ai corrigé la version texte sur Wikisource. Il s’agit de La première Canadienne dans le Nord-Ouest (1883) et Un voyageur des pays d’en-haut (1890) de Georges Dugas. Ce ne sont pas des écrits littéraires, loin de là, mais plutôt des biographies assez sommaires sur deux pionniers de l’Ouest. Dans le premier, l’abbé Dugas (il signe Dugast) raconte l’histoire de « Marie-Anne Gaboury, arrivée au Nord-Ouest en 1806, et décédée à Saint-Boniface à l’âge de 96 ans ». Cette femme, qui travaillait auparavant dans un presbytère, épouse Jean-Baptiste Lajimonière, un voyageur du Nord-Ouest, et le suit dans ses nombreuses pérégrinations au Manitoba et en Saskatchewan. Dans le second volume, Dugas raconte la vie de Jean-Baptiste Charbonneau, un maçon né à Boucherville en 1795, et parti vers l’Ouest pour le compte de la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1815. Ce sera l’occasion de raconter la vie des « voyageurs », depuis leur départ de Lachine jusqu’au nord des provinces de l’Ouest, leur quotidien souvent difficile, leurs exploits et leurs déconvenues.

L’auteur s’interroge sur ce qui poussait tant des jeunes hommes à tout abandonner pour cette vie difficile, semée d’embûches, parfois mortelles. : « La seule explication possible de ce goût étrange qui faisait abandonner si gaiement la vie civilisée pour la vie sauvage, était l’amour d’une liberté sans contrôle. Il est bien vrai que le serviteur engagé aux compagnies marchandes n’était pas complètement libre de ses mouvements : il devait à ses maîtres un rude travail pendant plusieurs années ; mais les courses qu’il faisait à travers les immenses plaines ; les horizons sans bornes qui se déroulaient devant lui ; le ciel pur dont on jouit presque continuellement au Nord-Ouest ; tout cela lui faisait oublier les liens de servitude qui le retenaient captif ; il se croyait libre du moment qu’il était hors de la vue de ses maîtres, et cela lui suffisait. »

Pour ce qui est des femmes, elles étaient beaucoup plus rares, en fait Marie-Anne Gaboury était une exception. Elle fut longtemps la seule blanche dans ces contrées, si bien que les Autochtones faisaient des détours pour venir la voir. Il lui arriva plus d’une fois de se retrouver seule, son mari étant parti en expédition de chasse, et même d’enfanter, au milieu de nulle part, dans une tente.

L’auteur ne s’en cache pas, la biographie de ces deux personnages lui sert de prétexte pour raconter l’histoire de l’Ouest entre 1800 et 1880.  Ce qui ressort, ce sont les luttes impitoyables que la compagnie d’Hudson et la compagnie du Nord-Ouest se faisaient pour obtenir le monopole des fourrures jusqu’à ce qu’elles décident de fusionner en 1821. 

Ce qu’on comprend aussi, ce sont les relations souvent difficiles entre les Canadiens et les « natifs ». Même si Dugas n’a pas toujours une haute opinion des autochtones, du moins essaie-t-il à l’occasion de mettre en relief la légitimité de leurs frustrations : 

« La manière perfide et malhonnête dont les traités furent observés par les agents des sauvages, fut la première cause des mécontentements qui amenèrent le massacre de la rivière Saint-Pierre en 1862.
Tous les employés des différents offices s’entendaient entre eux pour exploiter les Sioux et les irriter. Les spéculations les plus véreuses étaient faites, par les agents, sur les terrains et sur les objets destinés aux sauvages. Les spéculateurs ne s’inquiétaient nullement des mécontentements qu’ils soulevaient, et continuaient leurs exactions. Les pauvres sauvages qui voulaient formuler leurs plaintes, étaient traités avec hauteur et rudesse ; on refusait d’entendre leurs demandes les plus légitimes, et de redresser les abus les plus criants. Au vol les officiers du gouvernement joignaient les scandales de l’immoralité la plus dégradante. Les femmes et les filles des sauvages étaient violées sous les yeux de leurs maris et de leurs parents. 
En 1862, un agent ayant reçu $400,000, qui devaient être payés aux sauvages, en vertu du traité, donna toute cette somme à différents traiteurs, qui prétendaient avoir des créances contre les sauvages. Un autre agent garda pour lui $55,000, en compensation de quelques déboursés qu’il avait été obligé de faire pour obtenir l’assentiment d’un chef, lors d’un traité. Enfin la destitution du chef sioux par les agents, sans l’assentiment de la tribu, acheva d’exaspérer les esprits ; on n’attendait plus pour agir qu’une occasion favorable, qui ne tarda pas à se présenter. »

Ce sont deux livres très faciles qui nous aident à comprendre les romans qui ont comme trame narrative l’histoire des pays d’en haut.

Lire les livres sur Wikisource

Sur Laurentiana, d’autres livres sur le Nord-Ouest
Le grand silence blanc de Louis Frédéric Rouquette
La bête errante de Louis-Frédéric Rouquette
Légendes du Nord-Ouest de Georges Dugas
Les engagés de Grand-Portage de Léo-Paul Desrosiers
Nipsya de Georges Brunet
La forêt de Georges Bugnet
Vers l’Ouest de Constantin-Weyer
Manitoba de Constantin-Weyer
Clairière de Constantin-Weyer
La montagne secrète de Gabrielle Roy

6 décembre 2019

Les aventures de Perrine et de Charlot

Marie-Claire Daveluy, Les aventures de Perrine et de Charlot, Montréal, Bibliothèque de l'Action française, 1923, 310 p.

Les aventures de Perrine et Charlot, deux jeunes orphelins, débutent en France. Perrine, la grande sœur de huit ans, décide de fuir une vieille tante acariâtre et d’émigrer en  Nouvelle-France avec son jeune frère.  Grâce à un marin un peu niais, ils réussissent à embarquer clandestinement sur un bateau en partance de Dieppe. Ils sont découverts, mais quelques nobles personnages, aussi de la traversée, les prennent sous leurs ailes. Madame Le Gardeur décide même de les adopter. En Nouvelle-France, peu de choses se passent durant la première année. Un drame survient lorsque Charlot est enlevé par deux Iroquois qui l’amènent dans leur clan. Perrine est inconsolable d’autant plus qu’elle avait promis à sa mère de veiller sur son jeune frère. Charlot passe une année difficile chez les Iroquois. Lors d’une attaque des Hurons, il est de nouveau enlevé. Le capitaine des Hurons compte bien monnayer sa proie. Ces mêmes Hurons sont invités à rencontrer le grand « sagamo » français, Louis XIII. Compte tenu de sa connaissance de la langue française, on décide d’amener Charlot en France, en le faisant passer pour un jeune Huron. Là-bas, une logeuse le prend en amitié. Charlot fuit les ravisseurs, et se réfugie chez elle.  Le voilà de nouveau libre! Et mieux encore, sa vieille tante acariâtre rend son dernier souffle. Il est riche et il décide de revenir en Nouvelle-France. Le roman se termine par ses retrouvailles avec Perrine.

Les aventures de Perrine et de Charlot est le premier récit jeunesse publié en livre au Québec. Je ne reprendrai pas l’histoire de ce livre, bien documentée par la BAnQ.  (Lire)

Pour moi, ce genre de roman fait remontrer d’innombrables souvenirs de jeunesse.  C’est à cela que ressemblaient la plupart des romans jeunesse de mon époque : on fabriquait des héros avec les personnages connus de la Nouvelle-France et, à l’occasion, avec des Autochtones, et on les opposait aux Iroquois et aux Anglais. Bien entendu le bien était toujours du côté des Français ou des Autochtones alliés.  C’est exactement la recette de Marie-Claire Daveluy : il faut croire que sa manière a été largement suivie. 

Une fois pris en compte sa valeur historique et son caractère original pour son époque, on est obligé de dire que ce roman est loin d’être parfait. Il y a un « gros trou » au milieu où l’auteure perd de vue ses deux héros, l’histoire prenant le pas sur le récit. On est en 1636, on craint les Iroquois. Pourtant il n’arrive pour ainsi rien à nos deux jeunes héros : seul un voyage aux Trois-Rivières vient égayer leur vie. On a organisé une course entre un Français et un autochtone. Un grand rassemblement de Blancs et d’Autochtones assistent à la course gagnée par le Français, bien entendu. 

Aujourd’hui on aurait tendance à resserrer l’action et les dialogues, à limiter le nombre de personnages. Autre temps, autre rythme, sans doute. Ajoutons autre temps, autre sensibilité : il est bien évident qu’un lecteur autochtone serait scandalisé par la manière dont on traite les siens. Tous les clichés contre ces « pauvres sauvages » y passent. 

Extrait :

« CHARLOT
Alors, M. l’abbé, pourquoi les sauvages ne voulaient-ils pas qu’on frappât le petit tambour qui avait été méchant ? Pourquoi ils disaient qu’il n’était qu’un enfant et sans esprit ? Pourquoi, aussi, ils demandaient des cadeaux pour le guérir ?

L’ABBÉ DE SAINT-SAUVEUR
Pourquoi tout cela, Charlot ? Parce que ce sont des barbares, qui aiment aveuglément leurs enfants, et ne comprennent pas que l’on peut aimer beaucoup et aimer très mal en même temps. Ils ne savent pas, non plus, que tel l’on pousse dans la jeunesse, tel l’on demeure presque toujours. Ils ignorent les bienfaits d’une main vigilante, à la fois ferme et douce, qui vous redresse sans cesse. Qui donc, vois-tu, leur aurait appris les avantages de l’éducation ?

(L’abbé de Saint-Sauveur se lève et conduit Charlot près d’une large fenêtre.)

Tiens, Charlot, vois cet arbre que M. de Saint-Jean (Jean Bourdon) a planté, il y a à peine un mois ? N’incline-t-il pas déjà à gauche ? Il faut que dès demain mon ami le relève, le soutienne, le fixe à un tuteur… Sinon, il suivra de plus en plus la pente mauvaise. »

Ayant connu beaucoup de succès, le roman connaîtra quatre suites.