Lionel Groulx, avec ses Rapaillages, connut un immense succès et eut de multiples imitateurs. C’est un simple recueil de souvenirs personnels. Presque toutes les histoires ont pour décor un rang de Saint-Michel de Vaudreuil, là où l'auteur a vécu son enfance. Il ne fournit aucune date précise, mais on peut pointer la dernière décennie du XIXe siècle. Groulx parle avec emphase de ses grands-parents, plusieurs fois de son père, moins de sa mère et ne fait que mentionner ses frères et sœurs. La plupart des histoires sont peu narrativisées. Il se plait à utiliser les expressions et mots anciens, comme Adjutor Rivard dans Chez nous. Au-delà de ses souvenirs familiaux, il trace le portrait d’un monde en voie de disparition, un monde non encore touché par la Révolution industrielle. Le recueil eut maintes éditions, donc un succès continu.
La leçon des érables
Les trois éléments de l’idéologie de conservation se conjuguent dans ce poème sur les grands érables : surtout la filiation avec le passé, mais aussi la terre nourricière et le clocher protecteur. La langue est la clef de voûte de l’édifice.
Les adieux de la Grise
La Grise, une vieille jument née sur la ferme il y a 26 ans, fait presque partie de la famille. Elle a participé à tous les baptêmes, mené les enfants à l’école, accompagné les amours des jeunes gens… Pourtant, parce qu’elle n’est plus capable d’accomplir les travaux de la ferme, le père décide de la vendre. Le narrateur raconte donc ses 26 années de loyaux services et surtout, le matin de son départ, les adieux déchirants du cheval à ses maîtres. (voir l'extrait)
Une leçon de patriotisme
Dans une école de rang, la maîtresse a invité les parents à célébrer la fête de la langue française. L’institutrice donne une partie de cours, les élèves lisent des textes, chantent, le commissaire clôt la petite fête par un discours patriotique ayant comme thème la langue française. À la fin de la séance, on ramasse un petit don en argent et le vieux Landry, reconnu comme grippe-sou, est tellement ému qu’il laisse une pièce d’or.
L’ancien temps
Le narrateur veut prouver à un de ses amis de la ville que l’ancien temps survit. Il l’emmène chez un vieux et une vieille de 80 ans qui vivent à huit milles du village. On découvre le lieu, la maison, le langage, la religion et un immense respect du passé.
Le Bois-Vert, c’est un rang de Saint-Michel-de-Vaudreuil. Avant de défricher leur terre, les pionniers avaient convenu d'ériger une croix sur un promontoire pour que tous puissent la voir de loin. La terre du grand-père du narrateur fut choisie, mais un envieux manigança et on changea le lieu. Qu’à cela ne tienne, le grand-père, seul, on ne sait comment, un soir planta sa croix. Aujourd’hui, tout le rang se rassemble pour prier au pied de cette «croix de chemin» pendant le mois de mai, le mois de Marie.
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Groulx souligne le rôle extraordinaire que cet événement jouait dans la vie des jeunes gens de l’époque. Pendant deux mois, ils étaient le centre d’attraction de la paroisse et de leur famille. Tous les yeux étaient tournés vers eux. C’était un véritable rite de passage, pas tellement religieux tout compte fait. Il leur ouvrait la porte de la communauté. Les jeunes gens devenaient des maillons dans la chaîne des générations.
Le blé
Le blé
Groulx raconte le cycle du blé. Dès l’hiver, il fallait trier les grains de semence et choisir le champ qui allait les recevoir. Au printemps, on labourait, on hersait, on semait. Les dimanches d’été, le cultivateur allait vérifier l’avancée des semences. Bien entendu, on priait pour que Dieu éloigne les fléaux (oiseaux et grêle). Au début de l’automne, on coupait le blé à la faucille (corvée où on désignait le champion coupeur), on l’engerbait (on attachait les javelles avec des harts, travail des enfants), on le battait, on le menait au moulin pour qu’il y soit moulu. Au retour, la mère entamait la première boulange.
Le vieux livre de messe
Ce livre, qui venait des premiers ancêtres débarqués en Nouvelle-France, était celui de la grand-mère du narrateur. C’était un objet précieux qu’elle gardait jalousement dans un tiroir de sa commode, elle qui ne savait pas lire. Groux en profite pour tirer le portrait de cette grand-mère qui semble avoir beaucoup compté dans sa jeunesse. Elle habitait avec eux. Cette grand-mère, sur son lit de mort, va lui léguer le missel patrimonial.
L’herbe écartante
Le vieux livre de messe
Ce livre, qui venait des premiers ancêtres débarqués en Nouvelle-France, était celui de la grand-mère du narrateur. C’était un objet précieux qu’elle gardait jalousement dans un tiroir de sa commode, elle qui ne savait pas lire. Groux en profite pour tirer le portrait de cette grand-mère qui semble avoir beaucoup compté dans sa jeunesse. Elle habitait avec eux. Cette grand-mère, sur son lit de mort, va lui léguer le missel patrimonial.
L’herbe écartante
Une « histoire de Grand’mère » comme on disait. L’herbe écartante avait la propriété de désorienter ceux ou celles qui avaient le malheur de la piétiner. Un jour, le jeune narrateur en fit l’expérience. Il reçut l’ordre d’aller chercher les vaches sur une autre terre, et du même coup d’apporter la saucisse que sa mère venait de confectionner à une voisine. La fringale le prenant, il mangea une saucisse et, une chose en amenant une autre, tous les petits fruits que la nature offrait : cenellier, baie sauvage, noix, etc. Il s’empiffra tant et si bien qu’il se sentit malade et s’endormit. À la maison, inquiet du retard, on vint à son secours. La grand-mère déclara qu’il avait marché sur l’herbe écartante.
En tricotant
Édition des années 1940 |
Encore un portrait de sa grand-mère qui, tout en tricotant, jonglait, parfois racontait des histoires, priait et même finissait par dormir tout en continuant de tricoter.
Le dernier voyage
Qui allait finir les foins les premiers dans le rang ou dans la paroisse? C’était un peu le challenge. Le narrateur décrit le sentiment éprouvé lorsqu’on rentrait le dernier voyage de foin et que se refermaient les portes de la grange jusqu’à l’an prochain. Cette année-là le narrateur, qui savait que ce serait ses derniers foins, eut l’honneur de refermer les portes de la grange. Bien sûr, il comprit que ces portes, elles se refermaient aussi sur son enfance.
Extrait
Je n'en finirais pas de vous raconter les prouesses de cette jument sans pareille. Les enfants, la mère et le père pensaient à toutes ces choses, sans doute, pendant que, ce soir-là, ils achevaient en silence de prendre leur souper. Le lendemain, drès le matin, on vit arriver sur quatre roues criardes, une boîte sale et branlante, comme en ont les Gipsy, traînée par un vieux cheval aussi efflanqué qu'un squelette. De la voiture descendit un petit vieux à figure d'Abraham, attelé comme la chienne à Jacques : c'était l'acheteux de guenilles. Le père alla chercher la Grise à l'écurie. L'acheteux lui tâta les côtes, lui regarda aux dents et ronchonna d'un ton qui nous blessa beaucoup : « C'est pas une pouliche. » Le père se contenta de répondre : « C'est vieux, mais c'a encore du coeur, allez ! » Quant à nous, nos yeux ne se détachaient pas du cheval de l'acheteux si rosse et si maigre qu'on aurait pu lui compter les côtes de chez le voisin. A la pensée qu'on réservait peutêtre le même sort à notre chère vieille Grise, nous nous sentions presque une envie de pleurer. L'acheteux mit la main dans sa poche, en tira, mêlé à des bouts de corde et à des clous rouilles, un petit rouleau de billets de banque tout sales de poussière de tabac. Un à un il jeta les billets dans la main du père, lentement, de l'air d'un homme qui a conscience de jeter de l'argent à l'eau. Le bigre ! quand on y songe ! il achetait la Grise pour trente piastres. Oui, mes amis, pour trente piastres. C'était pour rien. Puis, l'acheteux passa une corde au cou de la jument et l'attacha derrière sa voiture. À ce moment nous nous approchâmes de la Grise pour lui toucher une dernière fois : « Adieu la Grise !» — La Grise partit. Au détour du jardin, comme elle prenait le chemin du roi, la pauvre bête parut se douter qu'elle s'en allait pour toujours. Elle se tourna vers la maison, vers ses anciens maîtres, vers l'écurie, vers la terre tant de fois labourée, et poussa un hennissement plaintif. La mère rentra. Nous autres, nous restions là à la regarder s'en aller. Souvent elle se tournait encore pour hennir. Elle passa chez les Landry, puis chez les Campeau, puis chez les Bouchard. Nous ne la voyions plus qu'un peu et de temps en temps, derrière la boîte de l'acheteux, dans les éclaircies des feuillages du chemin. Quand, à la quatrième terre, elle fut sur le point de disparaître pour toujours au coude de la route et derrière le bois des Boileau, nous la vîmes tourner la tête encore une fois et le vent nous apporta un dernier hennissement, long, plaintif, déchirant comme un adieu. L'un des enfants, je ne sais plus lequel, se mit à pleurer. « Pauvre Grise ! » dit l'aîné. « Pauvre vieille ! dit le père, c'est de valeur encore, à cet âge-là ! » ( p. 23-25)
Je n'en finirais pas de vous raconter les prouesses de cette jument sans pareille. Les enfants, la mère et le père pensaient à toutes ces choses, sans doute, pendant que, ce soir-là, ils achevaient en silence de prendre leur souper. Le lendemain, drès le matin, on vit arriver sur quatre roues criardes, une boîte sale et branlante, comme en ont les Gipsy, traînée par un vieux cheval aussi efflanqué qu'un squelette. De la voiture descendit un petit vieux à figure d'Abraham, attelé comme la chienne à Jacques : c'était l'acheteux de guenilles. Le père alla chercher la Grise à l'écurie. L'acheteux lui tâta les côtes, lui regarda aux dents et ronchonna d'un ton qui nous blessa beaucoup : « C'est pas une pouliche. » Le père se contenta de répondre : « C'est vieux, mais c'a encore du coeur, allez ! » Quant à nous, nos yeux ne se détachaient pas du cheval de l'acheteux si rosse et si maigre qu'on aurait pu lui compter les côtes de chez le voisin. A la pensée qu'on réservait peutêtre le même sort à notre chère vieille Grise, nous nous sentions presque une envie de pleurer. L'acheteux mit la main dans sa poche, en tira, mêlé à des bouts de corde et à des clous rouilles, un petit rouleau de billets de banque tout sales de poussière de tabac. Un à un il jeta les billets dans la main du père, lentement, de l'air d'un homme qui a conscience de jeter de l'argent à l'eau. Le bigre ! quand on y songe ! il achetait la Grise pour trente piastres. Oui, mes amis, pour trente piastres. C'était pour rien. Puis, l'acheteux passa une corde au cou de la jument et l'attacha derrière sa voiture. À ce moment nous nous approchâmes de la Grise pour lui toucher une dernière fois : « Adieu la Grise !» — La Grise partit. Au détour du jardin, comme elle prenait le chemin du roi, la pauvre bête parut se douter qu'elle s'en allait pour toujours. Elle se tourna vers la maison, vers ses anciens maîtres, vers l'écurie, vers la terre tant de fois labourée, et poussa un hennissement plaintif. La mère rentra. Nous autres, nous restions là à la regarder s'en aller. Souvent elle se tournait encore pour hennir. Elle passa chez les Landry, puis chez les Campeau, puis chez les Bouchard. Nous ne la voyions plus qu'un peu et de temps en temps, derrière la boîte de l'acheteux, dans les éclaircies des feuillages du chemin. Quand, à la quatrième terre, elle fut sur le point de disparaître pour toujours au coude de la route et derrière le bois des Boileau, nous la vîmes tourner la tête encore une fois et le vent nous apporta un dernier hennissement, long, plaintif, déchirant comme un adieu. L'un des enfants, je ne sais plus lequel, se mit à pleurer. « Pauvre Grise ! » dit l'aîné. « Pauvre vieille ! dit le père, c'est de valeur encore, à cet âge-là ! » ( p. 23-25)