24 octobre 2024

D’un cri… à l’autre

Marie Laberge (Marie-Paule Goulet), D’un cri… à l’autre, Québec, Éd.de l’aile, 1966, 65 p. (Illustrations de l’autrice)

Ce recueil s’inscrit dans le prolongement du précédent, Halte.

« Laissez-moi naître de moi / Du feu trop vif qui me dévore ». Il y a une telle urgence de vivre chez Marie Laberge! Il lui faut combler le moindre espace comme si le vide l’aspirait! « Où j’arrête / S’ouvre l’abîme ». « Je veux nourrir avec mon sang / Le vide qui m’obsède ». Impensable pour elle de faire du surplace : « L’ennemi c’est le froid // C’est le refus d’aller plus loin / d’enjamber son corps consentir à son envol ». L’amour ouvre cette voie de liberté tant désirée : « Il n’y a plus de froid / Il n’y a plus de durs hivers / dans mon cœur réchauffé ». Ou encore : « Je t’appartiens comme le printemps jaillit / à force de désir / comme à la marche sauvage / de mes pas à ton nom / et ton visage aux traits du mien ». Loin de contraindre, la relation amoureuse est source d’épanouissement : « Pour vivre aimer / et devenir ce que nous sommes ». Au terme du recueil, on comprend que la crainte de l’autrice, c’est d’être broyée par les modèles que la société impose. Chaque individu doit (pouvoir) trouver sa propre vérité : 

Le seul bien qu'il nous reste

Reconnaître au milieu du rire

ce sanglot qui s'étouffe

Réapprendre chaque jour à marcher

et la parole de lumière

du premier jour de l'homme

Que naissent les choses de leur âme

Que chante une joie sereine au cœur du silence

Sur le néant que se fasse le vide.

Je veux apprendre la vérité d'être

dépouillée jusqu'à l'os

Grandir de l'Éternité qui me blesse à vif

à la limite de l'Amour

Je nie la mort, cette poignée de terre à manger

entre les deux rives.


Marie G. Laberge sur Laurentiana

Halte
D’un cri à l’autre
Aux mouvances du temps





19 octobre 2024

La poésie ce matin


Le grand poète Jacques Brault nous a quittés, il y deux ans aujourd'hui. Le recueil "La poésie ce matin" a d'abord été publié en France en 1971. Il a été repris aux éditions Parti pris en 1972. J'en ai extrait trois poèmes (très touchants). Brault parle de sa mère et du milieu très humble dans lequel elle a vécu. La poésie de Brault est simple, au plus près de la vie, à l'image du sujet traité.


 


17 octobre 2024

Halte

Marie G. Laberge, Halte, Québec, Éd. de l’Arc, 1965, 59 p. (collection de l’escarfel) (Illustrations de l’autrice).

Marie Laberge était sans doute une femme déterminée, ce qu’on saisit dès les premiers poèmes :

 

Je suis comme je suis

Et je suis de ma race

L'écorce rude

Dans le vent, échevelée


La révolte fut mon école

Les jeux de l’enfance

L'obstacle à briser


L'été a mis entre mes bras

des immortelles


Je me laisse gagner à l'ivresse de vivre

A chaque aube nouvelle 

L’éternité d'un jour

Elle clame son besoin de liberté, loin des interdits : « Malheur aux amours qui se cachent / pareilles aux malfaiteurs ». Elle réclame le droit d’être vraie : « C’est assez entre nous / de ces fleurs de papier / Politesses hypocrites et décors de théâtre / Parfums sucrés à quatre sous ». L’amour, bien entendu, est un élément d’une vie peine et entière. Cependant, il ne suffit pas de dire, la vie est plus compliquée que cela : « Tout ce qui n'est pas comblé, ce qui souffre / et qui péniblement respire / ce qui vit à moitié / Ce grand besoin d’astre qui flambe / Ce vouloir de naître à chaque instant / Qu’est-ce en l’homme que cela? » Rien ne peut la faire renoncer à ses convictions :  

Je chercherai toujours en moi-même

L'arbre le plus droit

Le roc le plus solide

Les racines les plus têtues

Dans le mâchefer des jours

Et l’éternité immuable

A l’assaut de ce monde si vaste

Des planètes qui tournent

à mourir de vertige

Des milliers de soleils

à rendre fou.

Poésie toute simple, mais de qualité, qui traduit bien l’esprit du début des années 60, telles que vécues par la plupart des jeunes (et moins jeunes).

Marie G. Laberge sur Laurentiana

Halte

D’un cri à l’autre (à venir)

Aux mouvances du temps

8 octobre 2024

Les passerelles du matin

Marie Laberge (Marie-Paule Goulet), Les passerelles du matin, lu dans Aux mouvances du temps (1961-1971), Montréal, Lemeac, 1982, 336 pages (Aquarelle de l’autrice sur la couverture)

Il y a deux Marie Laberge. Cela donne lieu à beaucoup de confusions sur le web. (Ne pas confondre la poète née en 1929 et son homonyme romancière-dramaturge née en 1950.) Il en résulte que l’aînée est complétement éclipsée du paysage littéraire, elle qui a pourtant publié huit recueils de poésie : Les passerelles du matin (1961), Halte (1965), D'un cri à l'autre (1966), L'hiver à brûler (1968), Soleil d'otage (1970), Reprendre souffle (1971), Les chants de l'épervière (1979), Les fenêtres simultanées (1990). Les six premiers ont été réédités dans Aux mouvances du temps en 1982.

Marie Laberge, de son vrai nom Marie-Paule Goulet, est née en 1929 et décédée en 2017. Elle était poète mais aussi peintre (voir ce site) et illustratrice. En 1990, son œuvre fait l’objet d’un livre d’art : Françoise Dumoulin et Ghislaine Lavoie, Marie Laberge, poète et peintre, Collaboration de Michel Champagne, Édition Diane Lefrancois, 1990,100 pages.

Aujourd’hui, je vais me contenter de présenter brièvement son premier recueil, qui introduit ce que je détaillerai un peu plus dans mes critiques de Halte et D’un cri à l’autre.

***

Dans Les passerelles du matin, les vers sont courts et l’expression, assez sèche.  Le premier poème donne l’idée de la manière de Laberge.

J'émerge de l'enfance

J'émerge de l'enfance
Les cheveux ruisselants
De parfums tristes
Le cœur écartelé de révoltes
Tâtonnant comme un aveugle
Pour apprendre
La vertu de l'huile et du feu
Dans la lampe.

Elle utilise beaucoup l’anaphore, procédé cher aux débutants. Quant au contenu, on retient un désir très fort de se libérer de son passé, comme le titre et les deux poèmes retenus en témoignent.

J'arrive du pays noir

J'arrive du pays noir
De la bouche des arbres
Où je sentais déjà
Le ténébreux appel
De leur soif
Je m'accroche aux passerelles du matin
Tel un grillon jaune
Troubadour de clarté.

Témoignage



3 octobre 2024

L’identification

François Piazza, L’identification, Longueuil, IVE, Le crible, 1966, 53 pages.

Drôle de titre pour un recueil de poésie!

Il contient trois parties en plus d’un avant-propos. Piazza a bien raison d’écrire qu’un avant-propos « semble toujours un plaidoyer pro domo, une sorte d’amadouement du lecteur avant sa lecture ». Ce recueil en a bien besoin.

La grande quête raconte les tergiversations intellectuelles d’un homme qui cherche à connaître son véritable moi, une fois gommés le passé, l’autre, les influences sociales et même les mots. Rien de poétique dans les textes en prose de cette partie.

Le mal d’autre, c’est en quelque sorte le besoin de l’autre. « Je suis le froid qui cogne à la double-fenêtre / Pour trouver la chaleur de l’autre entr’aperçu […] Aujourd’hui, j’ai mal d’autre. » Enfermé dans les tourbillons de sa pensée, malgré son grand besoin d’aimer, il n’y arrive pas : « Je me glace d’aimer / Je consume d’attendre / Et les lueurs s’écroulent / et le mot de se fendre ». Comme s’il voulait expliquer son impuissance, cette partie se termine par un long poème où il essaie de cerner l’expérience de la guerre pour un enfant : « Je suis né quand le siècle était fils des barbares ».

Je Homme : Sa quête d’identité s’élargit, elle est universelle. En simplifiant beaucoup sa pensée : tout homme, peu importe son origine ou son histoire, passe sa vie à chercher son identité… toujours fuyante.

JE, Homme (4)

Nous nous battons pour notre titre d’homme
De montagne en djebel
Et de pavé en toit

Compagnons de la nuit, de la soif, de la faim
Aux creux des crépuscules, aux pointes du matin
Couchés au pied des murs
Debout l’arme à la main

Nous nous battons pour notre titre d’homme
Aux braises de nos mots, aux flammes de la phrase
Nous trouons le brouillard où nous sommes enfermés
Aux lanternes du mot
[…]

Et cet Autre, éternel, échappant chaque fois
Que dans un corps furtif, nous avons cru étreindre
Ma vie, mon beau miroir, ma joie, ma solitude
Toi que je porte en moi et qui n’est jamais là
Toi et moi, nous avons les bras lourds de voyage
Nous marchons dans la nuit, courant après l’orage
Et cet Autre éternel échappant chaque fois …

Ce recueil n’a pas beaucoup de qualités littéraires. Et l’auteur manque de recul si bien que ses idées demeurent confuses. Les chants d’Amérique laissait pourtant présager de bien belles choses.

26 septembre 2024

Les chants de l’Amérique

François Piazza, Les chants de l’Amérique, Montréal, IVE, Le crible, 1965, 28 pages.

François Piazza (1932-2017), Marseillais d’origine, émigre au Québec à la fin des années 50. Sa représentation de l’Amérique alterne entre le fantasme et une vision beaucoup plus mordante. Au départ, l’Amérique est symbolisée par une femme, à la fois sirène et dévoreuse d’hommes : « Femme cynique et sans merci…! Tu étouffes amoureusement dans ton ventre, les plaintes, les gargouillements de ceux que tu tues. » Rapidement surgit le passé trouble : le génocide autochtone, l’esclavagisme, les affres du dollar et de la réussite à tout prix. L’Amérique n’est pas la terre de liberté qu’il entrevoyait : les sorcières de Salem, les Rosenberg, McCarthy, Batista, Duvalier… Une Amérique où gronde la révolte.

Après nous avoir promenés du nord au sud, Piazza s’intéresse à la situation du Québécois. Il décrit un homme aliéné dont l’identité a été gommée par la Conquête, par ce qui s’en est suivi et, plus récemment, par l’American way of life :

Je suis bon canadien, et bilingue aussi

Je mange en anglais, et en français, je prie

Je chante O Canada.

Dans ma belle voiture qui est made in USA

Je vais acheter mes « beans » dans une grocery

Et boire mon milk-shake au Snack-bar d’un grug-store

Regardant le baseball sur le screen du TV

Ou le Ed Sullivan show…

En tout cas, any more

I am a French-Canadian

Puisque je vous le dis…

 

Le recueil, très structuré, se termine par un retour en arrière : le poète, malgré toutes ses désillusions, se permet une déclaration d’amour :

« Je t’aime. Ne faut-il pas t’aimer pour te haïr, pour rêver en son cœur ce que tu pourrais être? Tu es un rêve goulu qu’on ne peut pas finir. / Ne me demande pas des yeux d’indifférence. Tu es bien plus qu’un monde, tu es une passion. Nous te voyons, reluire dans le creux des images, comme le devenir de nos rêves, d’enfants… »

« Malgré ces écrits d’amour, de rage et de souffrance, tu restes encore l’espoir des hommes de demain. Il y a tellement plus de futur dans une maîtresse que dans une mère… / Et pourtant tu seras celle de nos enfants / Demain? »

Pas sûr que les femmes apprécieront la vision d’une autre époque de Piazza.

Pour la petite histoire, Michel Chartrand a imprimé ce livre sur « Les presses sociales ».

18 septembre 2024

Au vent qui passe

Louis-Joseph Doucet, Au vent qui passe, Québec, Chez l’auteur, 1917, 96 p.

Un recueil de Doucet, c’est toujours un peu la même recette : la nature, le passage du temps, des objets du terroir (charrue et râteau), la guerre, des interrogations existentielles, Noël… Voilà en gros les thèmes de ce recueil que je n’ai que survolé. Et, comme c’est souvent le cas, quelques textes en prose viennent coiffer le tout.

POURQUOI

La terre est un chaos où nos rêves se brisent.
Et nous nous attachons à ce qui doit finir.
Ce qu’on aime s’en va pour ne plus revenir.
Pourquoi les noirs autans après les claires brises:

Pourquoi tant d’abandon ? Pourquoi tant de hantise ?
Pourquoi le noir oubli ? Pourquoi les souvenirs ?
Faut-il tout condamner ou faut-il tout bénir,
Au chemin de la vie où les âmes sont prises ?

J’ai longtemps médité l’espoir et les regrets ;
J’ai même interrogé l’ombre des destinées,
Cherchant à pénétrer le sens des grands secrets.

Et je n’ai rien compris qu’une voix obstinée
Qui me disait tout bas : “Aime toujours et va,
Et sois content des jours d’azur de Jéovah !

Louis-Joseph Doucet sur Laurentiana

Les grimoires
La chanson du passant
Contes rustiques et poèmes quotidiens
La jonchée nouvelle
Sur les remparts
Les heures passées
Palais d'écorce

16 septembre 2024

Les grimoires

 Louis-Joseph Doucet, Les grimoires, Québec, 1913, 72 p.

En lisant le poème éponyme, le premier du recueil, on comprend que les recueils antérieurs de Doucet ont été malmenés par les critiques qui lui reprochent surtout de trop publier : « Si je n’écrivais que deux pages / Tous les cinq ans, bien humblement, / On me dirait : « C’est dommage, / Mais qui ne peut en faire autant? » / D’autres diraient : « Quel grand poète! / Mais sans imagination ; / C’est d’une facture complète, / Mais quelle constipation! ».

Je l’ai déjà dit, ce qui est difficile avec les recueils de Doucet, c’est qu’on n`y trouve aucun plan. Un poème qui traite de Tadoussac est suivi d’autres poèmes qui parlent du passage des saisons et de l’historien Garneau, de la jeunesse enfuie, d’un drame au Yukon, d’un retour sur son passé, etc. Et l’auteur en est tout à fait conscient (d’où le titre), s’en amuse et même en rajoute, afin d’indisposer encore plus ses critiques :



FIN DES GRIMOIRES

Voici la fin de mes ‘‘grimoires”
Écrits tels que je les voulus,
Défiant toute ma mémoire,
Délirant à vers que veux-tu...
Et sans jamais viser personne
J’ai visé des sociétés
Qui dispensent mainte couronne
En s'annonçant de tous côtés !

Mais je finirai par leur dire
Ce que je pense de leurs faits ;
Loin de blasphémer ni maudire
Je vais leur accorder ma paix,
À condition simple et pure
Que l’on respecte tous mes droits.
Sans ça, ma foi, je vous le jure,
Je ferai part de mes émois !

Voici la fin de mes “grimoires”,
Petit volume échevelé,
De plus de pages que de gloire,
Mais dont aucun vers n’est volé,
Je n’endosse aucune défroque,
Ni de Musset, non plus d’Hugo,
Je lave ma rime et mes loques,
Et j’imprime le tout, franco.

Je n’écris pas pour qu’on m’admire,
Ce serait folie autrement :
J’écris pour causer et pour rire
Quand l’ennui vient, isolément,
Et même, parfois, quelque veille,
Au lieu de rire j’ai pleuré :
L’âme est seule quand tout sommeille
Et que rôde un songe apeuré.

Et le lendemain, dès l’aurore,
Je transcris les pages du soir ;
Le soir je recommence encore,
Presque sans but et sans espoir :
C’est une vie un peu bébête,
Bien peu voudront l’apprécier,
Ce n’est pas celle d’un poète,
C’est l’exercice d’un métier.

(p. 67-68)