À propos d’arbre de Noël, je pose ce paradoxe-ci: Les vrais
enfants ne sont pas ceux de cinq et dix ans, ce sont les enfants de trente et
cinquante ans. Et si l’habitude des étrennes cessait, les plus punis seraient
encore les parents.
Véritablement, il y a plus de plaisir à cette occasion, plus
de rêves puérils, plus de folles envies dans le cœur des parents que dans ceux
des enfants. Et combien je les plains du fond de mon âme, ceux qui n’ont rien
connu de ces joies charmantes; ceux dont le foyer, où aucun bas n’est suspendu,
ne résonne pas de cris et de rires enfantins le matin du Jour de l’An.
Voyez en effet.
Pomponne avait commencé le quinze décembre à grimper sur un
fauteuil pour y rayer, jour par jour, les chiffres rouges du calendrier; ma
femme les comptait depuis le douze, elle. Pomponne faisait des calculs et des
suppositions interminables sur les étrennes nouvelles; nous en faisions de
semblables depuis trois semaines, nous. Pomponne se demandait sans cesse comment
s’y prendrait bien le père Nicholas pour pénétrer par la cheminée avec un arbre
de Noël gros comme ça, sans l’éveiller encore; ah! pour sûr qu’elle le
guetterait si bien cette fois qu’elle le verrait; et moi-même, j’étais plus
inquiet qu’elle sur le moyen à prendre pour introduire cet arbre de Noël et
l’installer sans bruit dans la maison.
Mais enfin le vieux Nicholas avait si bien couvert de son aile
de ouate ma Pomponne, ce soir-là du 31 décembre, qu’elle ne bougea point, et
l’entrée, — interrompue à chaque pas dans la crainte d’une alerte, — d’un
gigantesque sapin, tout vert et sentant la résine, se fit sans accident
véritable.
Chacun respira alors plus à l'aise, cette crainte traversée,
car le plus grand danger était là dans les portes ouvertes et fermées, les
chaises remuées, les allées et venues malgré nous retentissantes dans le calme
de la nuit.
Puis toute la maisonnée procéda à l’installation symétrique
des poupées blondes, des petits chariots rouges, des valises naines, à la
suspension des chevaux mécaniques, des trompettes, des cornets de bonbons aux
faveurs roses et bleues, des drapeaux... Un vrai bazar.
*
* *
J’ai compris à ce moment qu’il était trop gros, cet arbre . .
. avec trop de branches étendues en bras solliciteurs et qu’il fallait pour
l’orner un lot de bibelots, de jouets, de bonbonnières à ne plus finir. Et je
pensais: Je serai plus adroit l'an prochain, je le ferai choisir plus petit.
Mais voilà. Pomponne n’en a pas oublié les grandioses proportions ; elle sait
encore que la tête en était recourbée par le plafond, que les branches
atteignaient tel endroit, là, marqué sur les fleurs du tapis et elle veut qu’il
soit aussi beau l’an prochain et surtout aussi grand. Ah! ma Pomponne je ne
suis pas plus bête que toi, va; je te prépare un bon tour ; il sera aussi grand
ton arbre, mais je le fixerai dans un coin du boudoir, appuyé au mur ; je me
trouverai à le simplifier ainsi de moitié.
Je donne ces détails car ils peuvent, être utiles à quelqu’un
d'entre vous, confrères. Retenez-ça. Je vous communique cette excellente
idée-là, pour vos étrennes, à vous; ce sera suffisant ; car, aujourd’hui, les
bonnes idées sont rares et cotées très cher. Ainsi, n’oubliez point de fixer
votre arbre dans un coin, ce sera le commencement du règne d’économie prêché
par nos gouvernants.
* * *
Mais à ces superpositions de jouets divers et de drapeaux
bariolés, il restait à ajouter une combinaison très savante de petites
lanternes coloriées de cinq sous dont ma femme comptait tirer des effets de
lumière étonnants.
Ces lanternes nous donnèrent beaucoup de fil à retordre, —
dans le sens le plus absolu du mot, — car ce ne fut qu'à force de ficelles
qu'on parvint à les assujettir solidement.
En même temps, ma femme m’expliquait, suivant les théories de
la réflexion de la lumière, combien la réverbération en serait jolie dans la
grande glace voisine.
Il était onze heures quand notre travail se termina par un
dernier nœud au cou d’un grand polichinelle qui avait un ressort dans l’estomac
et des cymbales aux mains.
Puis. chut, sans bruit, mystérieusement, chacun alla se
coucher. Tout était prêt pour le père Nicolas.
Il ne s’agissait plus que de s'éveiller avant Pomponne —
c'est-à-dire quelques minutes avant six heures — pour faire l'illumination de
l'arbre de Noël au moyen des fameuses lanternes qui nous avaient donné tant de
mal.
Ce fut même là une inquiétude nouvelle: il ne fallait point
manquer notre coup. Aussi un système d’alarme fut organisé entre tout le
personnel de la maison pour être bien sûr de ne pas rater notre effet. Les
montres et les horloges en parfait fonctionnement... la veilleuse en place...
allons... bonsoir.
Je rêvais à des choses folles, à des squelettes qui avaient
des poupées suspendues au bout du nez, à des chevaux de bois qui traînaient de
minuscules voitures d'ambulance dans les rues de mon village, à de monstrueuses
paires de forceps dont je ne pouvais jamais ajuster les branches, quand je fus
éveillé par un ah! bouleversé de ma femme, qui, penchée sur un cadran, venait
de constater à la lumière de la veilleuse qu’il était six heures.
— Mon Dieu! six heures et Pomponne qui va s'éveiller... et les
lanternes ... oh ! vite ...
En un clin d’œil, malgré les cliquetis des ferblanteries
oscillantes, l'illumination fut bientôt complète.
Puis en dessous, l’on se mit à épier Pomponne, guettant son
réveil ; ça ne devait pas tarder, jamais il ne dépassait six heures.
Mais elle dormait la chère petite, dormait, dormait toujours.
À la fin, ça devenait embêtant. Fallait-il l'éveiller?... fallait-il éteindre
les lanternes dont les chandelles, si petites, ne pouvaient durer longtemps?
Ce fut un moment de pénible perplexité.
Moi-même je me sentais une torturante envie de dormir, et les
paupières me tombaient tellement malgré moi que j’eus tout à coup un soupçon.
J'attrape à mon tour le cadran ...
Ciel !... il marquait minuit et demi... Ma femme avait tout
simplement confondu les aiguilles.
Je repose mon paradoxe: À propos d'arbre de Noël, les vrais
enfants, ce sont ceux de trente et cinquante ans?
(Ernest Choquette, Carabinades, 1900, p. 85-90)