Joseph Marmette, L’Intendant Bigot, Montréal, George E. Desbarats éditeur, 1872, 94 p. (lu dans Les Meilleurs Romans du XIXe siècle, Montréal, Fides, tome 2, 1996, p. 801-1016)
Le récit de Marmette commence le 24 décembre 1755 par un épilogue. Monsieur de Rochebrune, un vieil officier de carrière, devenu manchot à la suite d’une blessure, se meurt littéralement de faim parce qu’on le prive de sa rente. Il vit avec sa fille adorée de treize ans, Berthe, se privant de nourriture pour qu’elle puisse manger. Or, il sait que ce sont Bigot et ses acolytes qui ont détourné sa rente à leur profit. En ce soir du 24 décembre, malade, en dernier recours, il décide d’aller frapper au palais de l’Intendant, où Bigot fête en grandes pompes Noël. Il crée toute une commotion avant qu’on le jette dehors. Il meurt dans la cour du palais, ce que les invités, horrifiés, découvrent à leur sortie. Sa fille est recueillie par un certain Jean Lavigueur, homme du peuple.
La véritable histoire débute quatre ans plus tard, soit le soir du 23 juin 1759. Bigot et ses comparses, bien que l’ennemi soit aux portes de Québec, ont planifié une partie de chasse à Beaumanoir (Charlebourg) pour le lendemain. Sur leur chemin, ils croisent une jeune fille. Bigot est ébloui par cette beauté bien que « la couleur virginale de ses joues rosées tempérait tout ce que la hardiesse des traits de ce coquet minois aurait pu donner de précocité à une fille de dix-sept ans ». Il charge son valet, Sournois, de l’enlever et de l’enfermer dans la tourelle à l’ouest du château qu'on atteint en empruntant un passage secret. Vous l’avez sans doute deviné, cette jeune fille, c’est Berthe. Elle a maintenant 17 ans, elle habite chez une vieille tante et elle est amoureuse de Raoul de Beaulac, un jeune officier dont Jean Lavigueur est le valet et ami.
À Beaumanoir, Bigot tient conseil avec ses complices Deschenaux, Cadet, Copron… Comme leurs exactions et malversations de toutes sortes sont sur le point d’être mises à jour, ils ont décidé qu’il n’y avait qu’un moyen de regagner la France pour profiter de leurs richesses : trahir. Mais Bigot est rappelé en ville par Vaudreuil, la flotte anglaise ayant été aperçue à l’île aux Coudres. Il a tout juste le temps de rencontrer sa jeune victime qui, même morte de peur, le repousse bravement, lui jetant à la figure le crime commis contre son père.
Le lendemain, Raoul de Beaulac et Jean Lavigueur, partis à la recherche de Berthe, croisent sur la route de Charlebourg madame de Péan (Angélique des Méloises), l’amante de Bigot. C’est Sournois, pour se venger de l’intendant, qui lui a révélé l'infidélité de son amant. Bigot étant absent, elle et Raoul libèrent la jeune fille et tous rentrent à Québec. Malheureusement pour eux, ils sont interceptés par un petit détachement de soldats anglais, débarqués à la faveur de la nuit dans le but d’enlever quelques personnes qui pourraient les informer sur la défense de la ville. Ils ne capturent que cette pauvre Berthe qu'ils garderont captive sur un bateau qui mouille tout près.
Ici, l’histoire de Berthe va s’interrompre, laissant la place aux événements historiques. Marmette, après avoir décrit la stratégie défensive des Français, va raconter brièvement les différentes tentatives de débarquement raté de Wolfe, qui ne sait plus où donner de la tête. Ainsi se passent les mois de juillet et d’août, comme on le sait. Le véritable débarquement aura lieu dans la nuit du 12 septembre. Et Marmette s’affaire à démontrer que les armes françaises n’ont pu être vaincues que par la trahison. Bien entendu, le traître, c’est Bigot ! Il aurait envoyé un émissaire vers Wolfe, l’avertissant qu’une série de barges devaient accoster dans la nuit, lui suggérant de les intercepter et de les remplacer par les siennes pleines de soldats. Plus encore, il lui aurait indiqué qu’il fallait attaquer par le passage du Foulon, là où la pente est moins raide et où il trouvera une garde complaisante. Ayant bien positionné son armée, supérieure en armes et en hommes, sur les plaines d’Abraham, il n’aura qu’à attendre celle de Montcalm. Le reste appartient à l’histoire.
Mais Berthe et Raoul ? Berthe réussit à s’échapper du bateau anglais, regagne la rive pour tenter d’avertir les Français, mais elle arrive trop tard. Toutefois, heureux hasard, elle retrouve son Raoul, qui la ramène tout près de Québec. En rentrant, malheureusement, elle croise l’infâme Bigot, en a tellement peur qu’elle tombe en catalepsie. La défaite des Français, malgré des poches de résistance, étant consommée, Beaulac, blessé, revient vers sa Berthe. Trop tard, elle est morte, du moins c’est ce qu’il croit, jusqu’à ce qu’un boulet de canon vienne transpercer la maison où son corps est exposé et la sorte de son sommeil cataleptique (Eh, oui!).
L’hiver venant, il se passe peu de choses. Raoul a rejoint à Montréal l’armée de monsieur de Lévi, laquelle va se couvrir de gloire dans la bataille de Sainte-Foy en avril 1760. Mais comme on le sait, Montréal et Vaudreuil, abandonnés par la France, capituleront le 8 septembre 1760.
L’armée française étant dissoute, Raoul vient retrouver sa dulcinée et il l'épouse. Quant à Bigot et ses acolytes, ils sont jugés en France, forcés à remettre une partie des biens volés. Bigot est même bastillé plus d'un an. Abandonné de tous, il décide de revenir en Amérique (en vrai, il vécut en Suisse), mais le bateau fait naufrage et le vilain intendant est dévoré par un requin sous l’œil sans compassion du lecteur. « Après le châtiment des hommes, était enfin venue la vengeance de Dieu », conclut Marmette.
Ce qui étonnera le lecteur de L'Intendant Bigot, c’est de retrouver autant de citations d’ouvrages historiques. Les historiens Garneau et Ferland, certains auteurs anglais, certains témoins de la bataille, mais surtout un rapport de 1838, produit par la société historique de Québec, sont cités abondamment dans le texte ou en notes infrapaginales. Même si le roman semble porter sur Bigot, même si ce dernier y joue un rôle important, il demeure la plupart du temps absent de l’intrigue qui se déroule devant nous. Ce roman porte davantage sur la Conquête. L’auteur décrit la chronologie des événements, le déploiement des troupes françaises sur le territoire, les assauts de l’armée de Wolfe, les états-majors de chacun des camps et enfin les batailles dont celle d’Abraham. Il se permet de critiquer certaines tactiques de nos chefs militaires (Montcalm, trop impétueux dans ses décisions, Vaudreuil capitulant trop tôt…) et lancent quelques hypothèses pour expliquer la défaite. Quant au rôle que Marmette attribue à Bigot dans la défaite des plaines d’Abraham, il semblerait qu’il soit complètement faux. De part et d’autre de l’Atlantique, l’intendant malhonnête servit de bouc émissaire. ***½
Le récit de Marmette commence le 24 décembre 1755 par un épilogue. Monsieur de Rochebrune, un vieil officier de carrière, devenu manchot à la suite d’une blessure, se meurt littéralement de faim parce qu’on le prive de sa rente. Il vit avec sa fille adorée de treize ans, Berthe, se privant de nourriture pour qu’elle puisse manger. Or, il sait que ce sont Bigot et ses acolytes qui ont détourné sa rente à leur profit. En ce soir du 24 décembre, malade, en dernier recours, il décide d’aller frapper au palais de l’Intendant, où Bigot fête en grandes pompes Noël. Il crée toute une commotion avant qu’on le jette dehors. Il meurt dans la cour du palais, ce que les invités, horrifiés, découvrent à leur sortie. Sa fille est recueillie par un certain Jean Lavigueur, homme du peuple.
La véritable histoire débute quatre ans plus tard, soit le soir du 23 juin 1759. Bigot et ses comparses, bien que l’ennemi soit aux portes de Québec, ont planifié une partie de chasse à Beaumanoir (Charlebourg) pour le lendemain. Sur leur chemin, ils croisent une jeune fille. Bigot est ébloui par cette beauté bien que « la couleur virginale de ses joues rosées tempérait tout ce que la hardiesse des traits de ce coquet minois aurait pu donner de précocité à une fille de dix-sept ans ». Il charge son valet, Sournois, de l’enlever et de l’enfermer dans la tourelle à l’ouest du château qu'on atteint en empruntant un passage secret. Vous l’avez sans doute deviné, cette jeune fille, c’est Berthe. Elle a maintenant 17 ans, elle habite chez une vieille tante et elle est amoureuse de Raoul de Beaulac, un jeune officier dont Jean Lavigueur est le valet et ami.
À Beaumanoir, Bigot tient conseil avec ses complices Deschenaux, Cadet, Copron… Comme leurs exactions et malversations de toutes sortes sont sur le point d’être mises à jour, ils ont décidé qu’il n’y avait qu’un moyen de regagner la France pour profiter de leurs richesses : trahir. Mais Bigot est rappelé en ville par Vaudreuil, la flotte anglaise ayant été aperçue à l’île aux Coudres. Il a tout juste le temps de rencontrer sa jeune victime qui, même morte de peur, le repousse bravement, lui jetant à la figure le crime commis contre son père.
Le lendemain, Raoul de Beaulac et Jean Lavigueur, partis à la recherche de Berthe, croisent sur la route de Charlebourg madame de Péan (Angélique des Méloises), l’amante de Bigot. C’est Sournois, pour se venger de l’intendant, qui lui a révélé l'infidélité de son amant. Bigot étant absent, elle et Raoul libèrent la jeune fille et tous rentrent à Québec. Malheureusement pour eux, ils sont interceptés par un petit détachement de soldats anglais, débarqués à la faveur de la nuit dans le but d’enlever quelques personnes qui pourraient les informer sur la défense de la ville. Ils ne capturent que cette pauvre Berthe qu'ils garderont captive sur un bateau qui mouille tout près.
Ici, l’histoire de Berthe va s’interrompre, laissant la place aux événements historiques. Marmette, après avoir décrit la stratégie défensive des Français, va raconter brièvement les différentes tentatives de débarquement raté de Wolfe, qui ne sait plus où donner de la tête. Ainsi se passent les mois de juillet et d’août, comme on le sait. Le véritable débarquement aura lieu dans la nuit du 12 septembre. Et Marmette s’affaire à démontrer que les armes françaises n’ont pu être vaincues que par la trahison. Bien entendu, le traître, c’est Bigot ! Il aurait envoyé un émissaire vers Wolfe, l’avertissant qu’une série de barges devaient accoster dans la nuit, lui suggérant de les intercepter et de les remplacer par les siennes pleines de soldats. Plus encore, il lui aurait indiqué qu’il fallait attaquer par le passage du Foulon, là où la pente est moins raide et où il trouvera une garde complaisante. Ayant bien positionné son armée, supérieure en armes et en hommes, sur les plaines d’Abraham, il n’aura qu’à attendre celle de Montcalm. Le reste appartient à l’histoire.
Mais Berthe et Raoul ? Berthe réussit à s’échapper du bateau anglais, regagne la rive pour tenter d’avertir les Français, mais elle arrive trop tard. Toutefois, heureux hasard, elle retrouve son Raoul, qui la ramène tout près de Québec. En rentrant, malheureusement, elle croise l’infâme Bigot, en a tellement peur qu’elle tombe en catalepsie. La défaite des Français, malgré des poches de résistance, étant consommée, Beaulac, blessé, revient vers sa Berthe. Trop tard, elle est morte, du moins c’est ce qu’il croit, jusqu’à ce qu’un boulet de canon vienne transpercer la maison où son corps est exposé et la sorte de son sommeil cataleptique (Eh, oui!).
L’hiver venant, il se passe peu de choses. Raoul a rejoint à Montréal l’armée de monsieur de Lévi, laquelle va se couvrir de gloire dans la bataille de Sainte-Foy en avril 1760. Mais comme on le sait, Montréal et Vaudreuil, abandonnés par la France, capituleront le 8 septembre 1760.
Joseph Marmette - BAnQ |
Ce qui étonnera le lecteur de L'Intendant Bigot, c’est de retrouver autant de citations d’ouvrages historiques. Les historiens Garneau et Ferland, certains auteurs anglais, certains témoins de la bataille, mais surtout un rapport de 1838, produit par la société historique de Québec, sont cités abondamment dans le texte ou en notes infrapaginales. Même si le roman semble porter sur Bigot, même si ce dernier y joue un rôle important, il demeure la plupart du temps absent de l’intrigue qui se déroule devant nous. Ce roman porte davantage sur la Conquête. L’auteur décrit la chronologie des événements, le déploiement des troupes françaises sur le territoire, les assauts de l’armée de Wolfe, les états-majors de chacun des camps et enfin les batailles dont celle d’Abraham. Il se permet de critiquer certaines tactiques de nos chefs militaires (Montcalm, trop impétueux dans ses décisions, Vaudreuil capitulant trop tôt…) et lancent quelques hypothèses pour expliquer la défaite. Quant au rôle que Marmette attribue à Bigot dans la défaite des plaines d’Abraham, il semblerait qu’il soit complètement faux. De part et d’autre de l’Atlantique, l’intendant malhonnête servit de bouc émissaire. ***½
Joseph Marmette sur Laurentiana
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