1 février 2007

François de Bienville

Joseph Marmette, François de Bienville, Montréal, Beauchemin, 1924, 204 pages
(4e édition). La première édition date de 1870. L’auteur en a présenté une seconde, corrigée, en 1883. François de Bienville et Le Chevalier de Mornac ont été repris, en condensé, dans Le Tomahawk et l’Épée en 1877.


Québec, le 16 octobre 1690. Depuis quelques années, une guerre larvée fait rage entre la Nouvelle-France et les colonies anglaises. Les Britanniques ont armé les Iroquois et ceux-ci mènent leur guérilla dans les environs de Montréal. Ceci conduit au massacre de Lachine (1689 : 97 morts). Frontenac décide de riposter. Les représailles sont terribles : il détruit trois villages frontaliers et massacrent une tribu autochtone. Les Anglais décident qu’il faut en finir avec la Nouvelle-France. Le 16 octobre 1690, le Bostonnais William Phipps se présente devant Québec avec 34 vaisseaux et 2000 soldats. Le 18, il lance sans grands succès une attaque à partir de Beauport. Trois jours plus tard, il se replie et le 24, la flotte anglaise quitte Québec. François Le Moyne de Bienville (frère de Pierre Le Moyne d’Iberville) a participé à cette bataille.

Toutefois, pour bien comprendre la trame romanesque, il faut reculer de cinq ou six ans. Presque ruiné, le baron Raoul d’Orsy quitte la France avec son fils Louis et sa fille Marie-Louise et décide, avec le peu qu’il lui reste, de tenter l’aventure de la Nouvelle-France. Le bateau est intercepté par des corsaires, les D’Orsy sont dépouillés, débarqués à Boston. Le père meurt et ses enfants, au début de la vingtaine, se débrouillent pour survivre en attendant leur expatriation en Nouvelle-France. Louis donne des cours de français à un officier nommé John Harthing. Celui-ci tombe éperdument amoureux de Marie-Louise. Quand les D’Orsy s’apprêtent à rejoindre la Nouvelle-France, il « déclare sa flamme » mais est repoussé. Vindicatif, il jure de revenir à la charge. Quatre ans passent. Marie-Louise et Louis sont devenus respectivement l’amoureuse et le meilleur ami de François de Bienville.

C’est dans l’espoir de rejoindre Marie-Louise que Harthing s’engage dans l’expédition de Phipps. Il s’acoquine avec un Iroquois féroce, Dent-de-Loup, qui a juré de se venger des Français qui l’ont emprisonné. Avant d’attaquer, Phipps exige la reddition de Québec. Frontenac promet à son émissaire Harthing une réponse « par la bouche de ses canons ». Les deux premiers jours, les armées s’échangent quelques boulets. Le deuxième soir, Dent-de-Loup et Harthing, à la faveur de la noirceur, débarquent en catimini, et tentent d’enlever Marie-Louise. Ils sont interceptés au dernier moment, mais réussissent quand même à s’échapper. Louis et Bienville jurent de leur faire payer chèrement leur audace. Finalement, les soldats de Phipps débarquent à Beauport et la bataille s’engage. Bienville tue Harthing dans un combat loyal, mais Louis est touché légèrement d’une balle empoisonnée par Dent-de-Loup. Bientôt, il délire et on ne donne pas cher de ses chances de survie. Marie-Louise promet alors à Dieu de renoncer à son amour pour Bienville si son frère survit. Quelques jours passent, les Anglais repartent. Louis prend du mieux, il est sauvé ; Marie-Louise annonce à Bienville qu’elle va entrer au cloître.

Ayant cuvé sa peine, encouragé par Frontenac qui lui sert de père, le jeune Bienville décide de conquérir par les armes ce que l’amour lui a refusé. « Oh! s’écria-t-il en sortant du cimetière, puisque c’en est fait de me chères espérances d’avenir, et qu’il me faut quelque chose de grand pour combler ce vide immense creusé dans mon cœur par l’écroulement de mon amour, à moi désormais la seule et noble émotion des batailles. Oui, ma fidèle épée, toi seule seras ma compagne, jusqu’à ce que la gloire, voulant de moi peut-être, consente un jour à m’épouser dans la mort! » (p. 191) L’hiver passe. En 1792, comme les Iroquois sévissent toujours dans la région de Montréal, Bienville s’engage dans l’armée de Vaudreuil. Dans une bataille, il est tué par Dent-de-Loup. Celui-ci périra à son tour dans l’incendie, allumée par les Français, de la maison où il s’était retranché avec quelques-uns des siens.

L’aspect historique me semble très bien rendu. Marmette, dans des notes de bas de page, cite souvent ses sources : Charlevoix, Ferland, Garneau, les annales de l’Hôtel-Dieu, un officier anglais… L’auteur n’hésite pas à interrompre son récit pour donner un petit cours d’histoire quand il pense que la situation l’exige. Il se permet même à l’occasion de rapporter des événements qui auront lieu 100 ans plus tard : « Et si plus tard nos pères durent un moment courber la tête sous l’orage, pour la relever ensuite avec fierté, c’est que la Providence voulait nous sauver des plus grands dangers de la révolution française » (p. 176) Il rend bien compte de la société aristocratique qui entourait Frontenac, il décrit avec beaucoup de précision le Québec physique et géographique de la fin du XVIIIe siècle et le déroulement de la bataille. Il nous sert même une biographie de William Phipps.

Quant à la trame romanesque, tout est assez prévisible et convenu, comme c’est coutume dans ce genre de roman. Les élans romantiques des héros, les évanouissements des jeunes filles font rire, bien entendu. Les personnages sont très caricaturés, mais on ne s’attendait pas à moins. Et Marmette abuse de la « narration écolière ». Je vous épargne les « Revenons à la jeune Marie-Louise qu’on a oublié depuis trop longtemps » et je vous propose ce petit passage que lui inspire l’armée, au matin de la bataille : « Oh! La belle vision qui passe devant mes yeux ravis par la splendeur de ces souvenirs du passé! Dites-moi, ne la voyez-vous pas comme moi! » (p. 158) On croirait entendre « Le vieux soldat » de Crémazie ! Des trois romans de Marmette présents sur ce blogue, c’est le meilleur. ****



Joseph Marmette sur Laurentiana

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