7 décembre 2024

Terre des hommes

Michèle Lalonde, Terre des hommes, Montréal, Les éditions du jour, 1969, 59 p.

L’Exposition universelle de Montréal avait choisi comme thème « Terre des hommes ». Les organisateurs voulaient ajouter une dimension humaniste à ce qui était d’abord une exposition commerciale.

Un gala inaugural eut lieu le 29 avril 1967 à la Place des arts. À cette occasion, en première partie, Michèle Lalonde et le musicien André Prévost ont offert une œuvre originale sur le thème choisi : Terre des hommes. Deux ans plus tard, Lalonde a publié le texte qu’elle avait écrit.

L’expo 67 offrait une vision ultramoderne pour ne pas dire euphorique des dernières prouesses techniques et architecturales. Ainsi a-t-on eu droit à des pavillons qui captaient l’œil (mais qui offraient aussi aux visiteurs un aperçu culturel des différents pays participants) et à plusieurs innovations technologiques qui embrasaient l’imaginaire des enfants que nous étions. En 1970, Alvin Toffler décrira ce monde en changement dans un essai très célèbre intitulé Le choc du futur.

Dans un texte très travaillé, de haut lyrisme, Lalonde plonge dans le thème mais en conservant un regard très critique.

Le texte est dit par deux récitants, un homme et une femme (Albert Millaire et Michèle Rossignol). Il contient trois parties.

Dans Aliénation, Lalonde présente l’envers du décor comme si les prouesses technologiques et architecturales qu’on nous montrait n’étaient qu’une façade qui cachait un monde en train de se déshumaniser :

           siècle noirci saison de suie
le pétrole s'agite et bouillonne,
fanion de feu
aux mâts des bidonvilles;
l’herbe se meurt le poumon se contracte
l’œil s'allume et s'éteint au rythme du tungstène
le béton obture l’azur
le béton s'arme et monte à l’assaut du ciel
l'horizon s’échafaude et s'étage

Identification commence par un échange amoureux, mais finit par évoquer la guerre : « saison criblée de haine / saccage de fer et de chair / enfer de feu et de sang // o mémoire en deuil ». La pacification du monde passe par les vertus de l’amour : « nous engendrerons des générations d’hommes et de femmes /…/ nous aurons ultimement raison de la fatalité et de la mort »?

Enfin, dans Humanisation, la poète souligne l’urgence de la situation (rappelons-nous la crise des missiles à Cuba). On en est rendu à un point de bascule et on peut souhaiter que l’humanité trouve la voie qui apaisera les tensions. Voici un extrait du dialogue entre l'homme et la femme :

H.  natale terre
les générations tressaillent dans ton sein

F. et l’humanité se reforme
blottie dans la chaleur matricielle de l’amour

H. ô planète obscure porteuse de jours
noire amoureuse ponctuelle au rendez-vous de la lumière
le soleil plane   et l’éternité te prend sous son aile

F. Solstice   très lent prodige
Voici   voici   ah…...

H… ah que la colère s'apaise aux entrailles des peuples
une salve de colombes
célébrant la montée de l'aurore

Selon l’autrice, son texte décrit l’« opposition dialectique des forces de vie et de mort qui, décuplées par la prodigieuse machinerie du siècle, se disputent l’avenir de l’homme ».

Compte rendu dans  Archives de Montréal

Michèle Lalonde sur Laurentiana

Geôles
Songe de la fiancée détruite

Une bibliothèque anémiée
Michèle Lalonde

3 décembre 2024

Charmes de la fureur

Michel Beaulieu, Charmes de la fureur, Montréal, Éd. Du jour, 1970, 75 p.

Le formalisme d’Érosions est presque disparu dans Charmes de la fureur. Bien qu’ils ne s’approchent pas d’aussi près du réel et soient moins narratifs, quelques poèmes annoncent le Beaulieu de Kaléidoscope (1984). Il a cessé d’expérimenter, de chercher l’inspiration dans les différents mouvements qui marquent les années 60-70. Il écrit une poésie plus intime, du moins une poésie dont il est le sujet principal, observateur et acteur. Il ne faut pas s’attendre à de grandes effusions lyriques ou à quelques fulgurants désespoirs. Tout est dans la manière, dans la « voix » et surtout dans l’approche. Une fine sensibilité au monde immédiat mais aussi des impressions, des observations, parfois quelques anecdotes, et bien entendu le « ressenti » seront le matériau du poème. Allons y voir de plus près.

On dirait que le poète marche sur la ligne du temps en essayant de retenir un peu de cette vie qui coule, insaisissable : « ne vous méprenez pas ne vous méprenez plus / tout passe les glaces et les aiguillons / que l'on dédore ou redore les blasons / l'heure tue avec la précision des miniatures / l’espace délave ses attaches poudroie s’épand ». Peut-être que l’écriture donne du poids au réel, comme si le poème attestait de son existence : « je t’écris ces mots en volets contre la fenêtre / cette nuit quand la pluie battra la vitre / souviens-toi de me répéter sur les lèvres / les mots mêmes que je t’écris ». Même le moment de l’écriture, il essaie de le capturer : « si peu de temps coule entre les pages / si peu de temps pour tant d’échéances / qu'il fallait le saisir au piège des doigts ».  Rien n’est jamais assuré, rien ne dit que les mots réussiront à traduire fidèlement ce que le regard a perçu :

on perd la mesure quand s’effrite l'os
les couleurs entre elles se neutralisent
on voit gris l’asphalte noir
on le sait la partie se joue en-dedans
sur le sable de nos arènes particulières

Il est bien évident que cette bataille est perdue d’avance, ce dont le poète ne doute pas :

qui se souviendrait tout à fait
de ton visage contrefait
si je regarde une photographie
je sais qu'elle te ressemble à peine
qui se souviendrait tout à fait
dans le cercle des jours des semaines
de ton visage tes mains tes yeux
ils disparaissent avec les rumeurs
avec les couloirs des labyrinthes

Ce recueil m’a rappelé Sisyphe et son rocher. Un sentiment d’impuissance émane de cette poésie. Rien n’est jamais acquis, on dirait un éternel recommencement. On rencontre un être en retrait qui essaie de s’accrocher à la vie, au réel et qui y parvient difficilement. Le dernier vers du recueil : « Cou tranché dans les gorges de la ville » est assez dramatique.

La poésie de Beaulieu évolue vers la sobriété et un certain détachement (son « tu »). Il faisait, en 1970, le pari de la poésie intimiste, poésie qui deviendra la norme dans les années 1980.

Michel Beaulieu sur Laurentiana

Pour chanter dans les chaînes
Le pain quotidien
Trois
Érosions
Charmes de la fureur