Claire Martin, Dans un gant de fer, Montréal, Cercle du livre de France, 1965, 2 tomes, 235 p., 208 p.
Le récit autobiographique de Claire Martin compte deux parties,
chacune dans un tome différent.
Tome
1 : La joue gauche
Le
père de Claire Martin était un pervers narcissique. En sus, un violent. Tout le
monde devait se plier à ses horaires, à ses idées, à ses diktats qui
concernaient même la nourriture. Il battait sa femme et ses enfants violemment
pour un oui ou un non. Et quand il n’y avait pas de raison, il s’en trouvait. Il
était ingénieur et disparaissait par moments pour le plus grand plaisir de la
famille. Pour son bien-être ou la réalisation de ses rêves, toutes
les dépenses étaient justifiées; pour les autres, ce n’était que gaspillage. Heureusement Claire avait une mère et surtout
des grands-parents maternels qui lui prodiguaient beaucoup d’amour.
Comme
toutes ses sœurs, dès le primaire, elle rentre au pensionnat, un couvent tenu
par des religieuses, ce qui à première vue lui plaît. Mais comme elle est une
enfant qu’on ne peut casser, les sévices corporels et les humiliations reprennent.
Certaines religieuses n’ont rien à envier au père. Et malgré le puritanisme du milieu,
on comprend qu’il existe des personnalités déviantes, qui se défoulent dans les
couvents à défaut de mieux, et qui se servent de la religion pour apaiser leur
conscience. Dans un second pensionnat, trois ans plus tard, les choses sont
tout au plus un peu mieux. Sa mère, longtemps malade, finit par mourir.
Tome 2 - La joue droite
Le
père est un monstre. Un pervers narcissique à qui les règles de l’époque
permettaient de pratiquer ses vices sans être inquiété. Il exerce un contrôle
de tous les instants au nom de la morale, morale que lui-même bafoue. Un sadique
égoïste qui contrôle sa femme et ses enfants par la violence et le dénigrement,
qui s’attribue tous les mérites. Il joue ses enfants les uns contre les autres
et récompense la délation. Aujourd’hui, il serait en prison. Le comportement du
père, criminel dans son cas, ne sort pas des limbes. Sans être universel, ce
modèle éducatif, en plus civilisé, était plus répandu qu’on le pense. À preuve, on le retrouve (sévices
corporelles, humiliation) dans le pensionnat à ceci près que certaines
religieuses compensent pour celles qui sont presque aussi pires que le père. (On
ose à peine imaginer ce que devaient vivre les Autochtones.)
Cette
autobiographie était nécessaire. Cependant, Claire Martin n’en finit plus d’enfoncer
le même clou et son récit devient répétitif. Au bout de 200 pages, on a compris que le père est un salaud. On regrette qu’elle n’ait pas resserré le récit de son
enfance-adolescence et qu’elle ne soit pas allée plus loin dans le temps.
Comment survit-on à une telle enfance-adolescence? Comment Claire Montreuil
(son vrai nom) est-elle devenue Claire Martin?
Le
discours féministe qu’elle tient et la misogynie à saveur religieuse de
l’époque ne sont pas exagérés. Sa vie de femme était toute tracée : couture-cuisine-sois-belle-tais-toi-et-enfante.
Et surtout, ne t’avise pas d’aguicher un homme! Le poids de la vertu, toi seule tu dois le porter! Sans remettre en cause ce paradigme, on aurait aimé en
savoir plus sur ses frères : ont-ils aussi fréquenté des pensionnats? La
violence et les dénigrements du père s’exprimaient de quelle façon ?
Finalement,
la « sainte famille canadienne-française » et la religion sortent on
ne peut plus meurtries de ce témoignage.
Extrait
Nées trop tôt dans une société où les femmes se mariaient ou n’existaient pas, que de filles laides, à cette époque, prenaient le chemin du couvent où on les engluait dans la bêtise la plus plate et où leurs talents, souvent réels, ne leur servaient qu’à développer une bonne technique de la gifle ou du coup de poing. Nous ignorions que ces violences sont les soupapes de la sexualité contrariée. C’est dommage. La sexualité des sœurs, c’est ça qui nous aurait fait rire. […]
Elle
s’était levée, comme j’entendais dire en mon jeune âge, « le gros bout le
premier » et elle se mit tout de suite à houspiller celle-ci et celle-là. Nous
n’avions pas offert, et elle avec nous, notre journée à Dieu depuis dix minutes
que, déjà, les coups pleuvaient. Puis sa rage se cristallisa sur une petite
Leblond après qui elle se mit à courir le poing levé, la petite trottant
devant. Au bout du dortoir, il fallut bien s’arrêter. Mais il y avait là un
escalier qui ouvrait une gueule tentatrice. La grosse sœur n’y put résister.
Elle y précipita la petite Leblond qui, avec une magnifique présence d’esprit,
se mit à crier des injures de choix. C’était d’un dramatique inouï et nous
prenions toutes un plaisir extrême à entendre la sœur se faire appeler «
grosse vache », si bien que nous pensions peu à l’infortune de notre compagne
dont c’était le corps, pourtant, qui faisait ces affreux bruits de chute
derrière les cris.
—
Que se passe-t-il ici ? tonna une voix venue des profondeurs.
Arrivée
au bout de sa dégringolade, l’enfant était tombée dans les bras de la
Supérieure et c’était la grosse voix asthmatique de l’autorité que nous
entendions sans parvenir à y croire, tellement c’était inespéré. (t. 1, p. 214-215)
Claire Martin sur Laurentiana
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ou sans amour
Doux-amer