LIVRES À VENDRE

27 décembre 2021

Bilan de l’année = 132,000 pages vues

Google fournit des statistiques sur le blogue. Chaque année, je suis un peu surpris de constater la fréquentation du site. Il faut dire que j’ai présenté plus de 800 livres et que certains sont étudiés dans le réseau scolaire, ce que les statistiques démontrent clairement. Cependant, de réaliser que 16300 pages ont été vues en Suède a de quoi m’étonner, surtout que je viens de le découvrir. Que s’est-il passé au mois d’août en Suède? Un cours sur la littérature québécoise? Une exposition?






25 décembre 2021

CHANT DE NOËL

Les sapins de Noël méditent cette nuit.
L’église au loin scintille, et de pieux cortèges
Cheminent vers la crèche où l’image sourit.
Le froid tombe du ciel, le ciel est plein de neige.

Et des essaims de voix murmurent tendrement
Des pardons. Les sapins, au bord de l’ombre fière,
Tendent leurs fronts blanchis vers les hauts firmaments
Où se perd en échos leur unique prière.

Sapins noirs, sapins bleus secouant vos frimas,
Quand passent les frissons de la brise nocturne,
Sans déranger vos pieds, vous élevez vos bras.

Les dômes étoilés, aussi ronds que des urnes,
Couvrent les monts lointains pleins d’ombre et d’horizons
D’où vient notre espérance, où s’en vont nos chansons !

(Louis-Joseph Doucet, Au vent qui passe, 1917, p. 35)

24 décembre 2021

CONTE DE NOËL

«  Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »

Le pauvre homme est seul en son logis désert, et l’œil morne, il regarde aux carreaux des fenêtres, se battre les miettes de neige, comme des ailes de papillons en détresse. La nuit aussi sombre qu’un drap mortuaire est piquée de quelques étoiles tremblotantes comme des cierges. Les passants attardés se hâtent. L’air mystérieux est plein du son lointain des grelots, de la clameur apaisée des clochers en délire, et du timbre argentin qui vient de se taire, laissant un écho très doux de musique envolée.

Elles sont parties toutes deux, ses filles bien-bien-aimées, étouffant leurs sanglots, après de vains efforts pour l’amener aussi.

C’est Noël, c’est la messe de minuit.

Mais il a juré de ne plus retourner à l’église, et depuis dix mois, il lutte avec sa conscience d'honnête homme, et son fol orgueil.

Ce n’est pas Monsieur le Curé qui ira en enfer… lui répète au fond du cœur, la voix de sa fille cadette…

— Faut-il s’obstiner avec le bon Dieu?... Vous étiez si fier l’an dernier à pareille date, de vous vanter bien haut que jamais vous n’aviez manqué la messe de minuit, ce sera donc la première fois, et maman du haut du ciel, s’attristera… Sa fille aînée, effleurant une corde sensible, a remué son cœur, mais ne l’a pas vaincu.

Non, ce curé qui n’a pas voulu se ranger avec lui pour le choix du terrain, lors de l’érection de la dernière école, ce curé ne le verra plus à l’église, il le lui a dit, il l’a répété à ses amis… ses filles ne le fléchiront pas !

Et pourtant, il sent, un remords de les attrister ainsi… Avec des soins touchants, elles ont préparé le menu du réveillon, orné les rideaux de la couronne traditionnelle de houx, semé partout un air de fête, n’osant le croire rebelle à l’attrait de cette gaieté, à leur tendresse surtout…

Et l’homme qui tout à l’heure dressait son orgueil devant son amour paternel et sa foi toujours vivante au fond de l’âme, cet homme se courbe et pleure maintenant.

Est-il vaincu?... Non…, mais.il pense qu’il y a foule à l’église, et que dans l’ombre d’une colonne Monsieur le Curé ne le reconnaîtra pas... La messe de minuit… il se sent incapable de ne pas s’y rendre, pour la première fois… Et malgré la lutte qui s’agite encore au fond de lui-même, il s’en va d’un pas automatique, à travers la nuit si douce de paix mystérieuse.

Il se sent pâlir en franchissant le seuil du temple, et la clarté qui jaillit de toutes parts en l’éclosion de joie universelle, le surprend, le trouble et le saisit. Il n’ose avancer, et derrière un pilier, il s’abrite... La foule est recueillie et s’incline avec foi. L’émotion et l’orgueil paralysent un peu les élans de cette âme, mais l’homme n’a pas oublié la dignité du saint lieu, et son maintien est digne. Il retrouve au fond de sa poche, le chapelet qu'il n’a pas égrené depuis dix mois, et les mots si doux de l’Ave s’éveillent en sa mémoire.

Le chant triomphal du Gloria in excelsis Deo, éclate sous les voûtes sonores: la paix chantée au ciel se dilate aussi sur terre. Chaque âme en reçoit comme une aspersion douce, et se sent plus forte et plus heureuse.

La foule a maintenant quitté le temple, seules quelques personnes agenouillées restent encore pour montrer au Dieu d’amour, le trop plein de leur âme, ce sont celles sans doute dont la croix a blessé les épaules, ou que le repentir vient d’inonder. Peu à peu, l’ombre se fait, et les fidèles attardés s’éloignent après un regard au Tabernacle. Le dernier flambeau s’éteint, deux femmes s’inclinent, mais en relevant la tête, elles aperçoivent, ô bonheur, un homme à genoux aux pieds de la Crèche !

Décembre 1928.

(Jeanne Grisé, Gouttes d'eau, p. 55-57) 

23 décembre 2021

CHANT DE NOËL

Noël! chant d’amour, d’allégresse :
Ce jour nous annonce un Sauveur
Venu pour l’âme pécheresse.
Hymne de joie allant au coeur!

Noël! chant de magnificence:
Nous promet la félicité
En de célestes récompenses.
Du Fils qui nous a racheté !

Noël! chant d’angélique joie,
Et nous redit la piété:
Un ciel d’amour,— l’heureuse voie—
Ouvert par la grande bonté
D’un Dieu-Sauveur!

(Marie Dechenaud-Larue, La voix du cœur, 1935, p. 134)

22 décembre 2021

LES ROIS DE NOËL

Noël chante!... la nuit est belle.
Les gueux sont gais comme des rois.
L’audace brille en leur prunelle;
Ont-ils raison? oui, je le crois!

Ils pensent qu’un Dieu, sur la paille,
En vain ne doit pas être né.
Ce soir, beaucoup feront ripaille,
Eux comptent, demain, déjeuner.

Ils ont l’âme douce et mystique
Des bons vieux bergers d’autrefois
Dont Ils croient ouïr la musique,
Airs de musettes, de hautbois.

Si Dieu naquit dans une étable,
Ce fut pour tout le genre humain,
Mais surtout pour nous, misérables.
Songent-ils en tendant la main.

Noël chante! c’est grande fête;
Ce soir le gueux, puissant et fort,
Osera relever la tête;
Qui donc trouverait qu’il a tort?

Il semble qu’il n’a plus la frousse,
Son oeil, même, est un peu railleur;
Accroupi près d’un mur, s’il tousse,
Ce n’est certes pas qu’il se meurt.

Le froid !... mais ce soir il s’en moque !
A Noël, les gueux sont-ils fous?...
Il croit voir fumer sa défroque
Sous l’haleine d’un beau bœuf roux!

Noël chante et le pauvre hère,
Regardant la foule, sourit!
Doit-on rougir de sa misère
Quand on ressemble à Jésus-Christ!

Son œil scrute la nuit sereine;
Il contemple hardiment les cieux.
Voilà la foi qui, souveraine,
Doit aller jusqu’à l’Homme-Dieu !

Puis, sa pauvre tête s’incline,
Prosterné, les membres tremblants,
Il sent comme une aile divine
D’ange frôler ses cheveux blancs.

Noël chante!... la nuit est belle!
Salut! gueux, vous êtes les rois
En cette nuit qui nous rappelle
Combien Dieu fut pauvre autrefois.

Sur ton front, mendiant austère,
Que Noël nimbe de clarté,
Quand s’accomplit le grand mystère,
Rayonne le mot VÉRITÉ!

(Alfred Descarries, La revanche, 1929, p. 144-146)

21 décembre 2021

Jean-Claude

(Conte de Noël)

Quel était ce vieillard chancelant sur la route
Par ce soir de Noël?... Un étranger, sans doute?
La neige gémissait sous ses pas incertains.
Ses yeux, jadis perçants, ce soir, semblaient éteints;
Il avait plutôt l'air d’un gueux, sans sou ni maille,
Cet homme aux cheveux blancs, mal mis, de haute taille
Errant, triste et pensif! Pourtant, c’était Noël!
Pourquoi donc pleurait-il sur son destin cruel?
Les couples qui passaient, cheminant vers l’église
Le regardaient émus, puis, fuyaient sous la bise.
Disant: “pauvre vieillard! ”... Des mots entrecoupés
S’échappaient de sa bouche et, dans ses doigts crispés,
Un bout de papier blanc tremblait, portant l’adresse
Qu’il avait, au Refuge, en parcourant la “Presse”
Cru celle qu’il cherchait. Trente ans!... trente ans! c’est long.
Disait entre ses dents l’homme en hochant le front!
Me reconnaîtront-ils?... Ah! Je fus bien infâme
De partir, laissant là mes deux fils et ma femme.
Sans un sou, c’était lâche et c’était...  monstrueux!...
Non!... Ils vont me chasser!... Je suis maudit des cieux!
Non!... non!... Je n’irai pas!... Mais, le remords m’y pousse;
Ma pauvre Marie-Jeanne! Elle est... elle est si douce!
Et le vieillard, pleurant, s’appuya contre un mur.
Pourtant, elle m’aimait; je buvais, j’étais dur
Pour ses pauvres petits que je grondais sans cesse
Parce qu’elle disait: “Jean, va donc à la messe”.
Et qui couraient, tremblants, se jeter à son cou!
Le beffroi du faubourg tinta ses douze coups,
Et Jean-Claude, abimé dans sa noire tristesse,
Soudain, eût un sursaut apercevant l’adresse
De ceux qu’il avait fuis. Allons, je serai fort,
Se dit-il, courageux, mais pâle comme un mort!...
Il avança la main et son âme était forte,
Mais son sang se glaça!... Un crêpe, à cette porte,
Retenu par la croix d’argent toucha sa main!...
Mais il voulait savoir; d’un geste surhumain
Il ouvrit, puis entra... Sur sa couche glacée
Marie-Jeanne dormait à jamais délaissée!
Ses fils priaient, en pleurs... peut-être pour l’absent...
Et Jean-Claude s’enfuit, triste et sombre passant!

(Alfred Descarries, La revanche, 1929, p. 143-144)

20 décembre 2021

LES ÉTRENNES

Le père, à son travail, depuis un mois, médite :
C’est décembre ; bientôt viendra le Jour de l’An.
Or, que donner au cher petit, à la petite,
En retour des baisers cueillis sur leur front blanc...

Un choix d’étrennes, c’est parfois un peu troublant :
Le cœur, riche, choisit ; pauvre, la bourse hésite...
Un soir, le père accourt, tout joyeux, à son gîte :
L’achat est fait. C’est neuf, gentil, étincelant.

Pour que, ce matin-là, la surprise soit pleine,
Discrète, la maman cache avec soin l’étrenne.
— Le mystère est si doux à toute affection ! —

Le jour venu : « Que voulez-vous que je vous donne,
A toi, mon petit Paul, à toi ma chère Yvonne ?
— « Père, avant les jouets, la bénédiction ! »

(Arthur Lacasse, Les heures sereines, 1927, p. 53)

19 décembre 2021

LA LUNE DE NOËL

La lune de Noël, ce soir, à ma fenêtre,
    Jette ses diamants,
Et met dans le ciel bleu que des clous d’or pénètrent,
    Un demi-jour charmant…

De ses fragiles fleurs, la neige merveilleuse
    Décore les buissons,
Et le gel aux larmiers suspend, claire et soyeuse,
    Sa frange de glaçons.

Par les chemins boulants que bordent les balises
    Aux rameaux cristallins,
Du fond de chaque rang, le foyer à l’église
    Déverse son trop-plein.

Et sur cette blancheur faisant des taches sombres,
    Carrioles, berlots,
Légèrement, glissent sans bruit, comme des ombres
    Où sonnent des grelots…

Vibrantes dans l’air froid, les cloches carillonnent
    Leur plus joyeux appel,
Puis le prêtre commence, à l’autel qui rayonne,
    La Messe de Noël.

...Et pendant que la lune, éparse au paysage,
    Exulte au firmament,
Vers sa mère, Jésus, penchant son doux visage,
    Sourit divinement...

(Arthur Lacasse, Les heures sereines, 1927, p. 51-52)

18 décembre 2021

LES SAPINS DE NOËL

Les sapins de Noël méditent sous la neige.
La neige vient du ciel, le ciel est froid l’hiver.
La cloche a des rumeurs qui montent dans les airs.
La nuit a des accents au frimas qui l’assiège.

Vous priez comme l’homme en face du ciel bleu,
Sapins au fronts penchés, émus sous la rafale,
Dans votre humilité rêveuse et sépulcrale !
Vous semblez demander les pardons du bon Dieu.

Les sapins de Noël ont frémi dans les ombres,
Des rayons, à minuit, ont touché leurs rameaux ;
Ils ont frémi d’espoir en dépit de leurs maux,
Et la neige a blanchi leur part des rêves sombres.

Ah ! je suis comme vous, beaux sapins résignés,
Je m’attriste et je songe au milieu d’un sourire
J’espère comme vous dans les divins zéphires
Qui me réchaufferont sous des cieux éloignés.

 (Louis-Joseph Doucet, Vers les heures passées, 1918, p. 33)

17 décembre 2021

PRÈS DE LA CRÈCHE

 "Marie-Madeleine"

Ma sœur, pour ton Christmas je veux faire un prodige :
Acrostiche et Sonnet, tous les deux à la fois.
Ris bien de mes efforts ; j’arriverai, je crois.
Invoquons donc la Muse et l’oiseau qui voltige…

Eh ! vraiment, c’est l’hiver ; plus de fleur sur la tige ;
Mon luth reste muet. . . comme il tremble de froid !
Autour de moi, la neige; et, très loin, j’entrevois
Dans sa Crèche, l’Enfant. . . Or la Mère s’afflige…

Et je voulais rimer ! tourner quelque œuvre d’art…
Laissons, ma sœur, veux-tu, le poème à plus tard :
Ensemble méditons la divine souffrance.

Il n’est meilleur sujet pour ce jour de Noël :
Nous trouvons la Douleur… mais tout près l’Espérance.
Et souffrir, c’est la terre; et l’espoir, c’est le ciel !

(Benoit Desforêts, Poèmes de solitude, Trappe de Mistassini, s.d., p. 51)

16 décembre 2021

LE BON VIEUX NOËL

Pierrot, Pierrot, viens donc, je vois de la lumière,
Chuchotait Jean. Pierrot, plus sage que son frère,
Perdu dans l’édredon, dormait, les poings fermés.
Il vivait un beau rêve où des géants, gourmés,
Dans leurs chars que traînaient cent lions fantastiques,
Venus du pays bleu, des cimes Olympiques,
Descendaient lentement, comme en un carnaval,
Les chemins argentés du noble Mont-Royal!

La lune, souriante, émergeant des nuages,
Faisait flamboyer l’or des riches attelages
Et des mille cadeaux, envoyés par les dieux,
Pour consoler, chez-nous, les sombres petits gueux !

(Alfred Descarries, Pour mon pays, 1922, p. 135) 

14 décembre 2021

Hommage à Miron

Gaston Miron est décédé il y a 25 ans aujourd'hui.

« Je dis que la langue est le fondement même de l'existence d'un peuple, parce qu'elle réfléchit la totalité de sa culture en signes, en signifiés, en signifiance. Je dis que je suis atteint dans mon âme, dans mon être. Je dis que l'altérité pèse sur nous comme un glacier qui fond sur nous, qui nous déstructure, nous englue, nous dilue.  Je dis que cette atteinte est la dernière phase d'une dépossession de soi comme être, ce qui suppose qu'elle a été précédée par l'aliénation du politique et de l'économique.  Accepter CECI, c'est me rendre complice de l'aliénation de mon âme de peuple, de sa disparition en l'Autre. Je dis que la disparition d'un peuple est un crime contre l'humanité, car c'est priver celle-ci d'une manifestation différenciée d'elle-même.  Je dis que personne n'a le droit d'entraver la libération d'un peuple qui a pris conscience de lui-même et de son historicité. » (Gaston MIRON, Notes sur le non-poème et le poème)

Gaston Miron sur Laurentiana

10 décembre 2021

Au foyer de mon presbytère

Apollinaire Gingras, Au foyer de mon presbytère: poèmes et chansons, Québec, Impr. A. Coté et cie, 1881, 258 pages.
 
Apollinaire Gingras était curé de Saint-Edouard de Lotbinière quand il publie ce recueil. Cependant, il est évident que ce dernier est le fruit de plusieurs années de labeur, certains poèmes étant datés des années 1860.

Dans la préface, Gingras emploie un ton plutôt enjoué pour présenter son recueil. À ses dires, il n’a pas de prétention littéraire, sa « démarche [étant] tout bonnement récréative ».

Comme on s’y attend, la poésie religieuse est présente et certains poèmes bibliques sont presque « illisibles » pour un lecteur dont la connaissance de la Bible est sommaire. Mais on aurait tort de penser qu’Au foyer de mon presbytère est un livre de poésie religieuse. Plusieurs poèmes nous parlent moins de religion que de la vie d’un prêtre, souvent déraciné (Gingras a servi dans plusieurs paroisses), de sa solitude, de ses anciennes amitiés entretenues malgré l’éloignement, de ses questionnements, de la lourdeur de sa mission : « Il est, mon frère, un meuble sombre / Qu'en t'éveillant tu vois d'abord : / La nuit dans ta chambre est encor, /— Tu vois au mur la croix dans l'ombre ! » (L’éternel fardeau)

Il faudrait ajouter aussi ces moments difficiles auxquels il est confronté par sa fonction, comme la mort d’un enfant et des parents inconsolables : « De la douleur son front portait la trace, / Et quand son âme exhalait un soupir, / Son œil errant semblait chercher la place / Où le trépas l'invitait à dormir. / La vie avant d'abandonner cet ange. / […] Faisait pleurer sœurs et mère en secret. » (Sa dernière promenade dans le verger)

Gingras est reconnu comme un ultramontain et un conservateur aux idées parfois plus que discutables (en savoir plus sur Apollinaire Gingras), mais ces aspects n’apparaissent à peu près jamais dans son recueil. Bien entendu, il témoigne de sa foi, mais sans se lancer dans des sermons ou des morales étroites. Comme je l’ai dit au début, plus souvent qu’autrement Gingras essaie de faire sourire (lire l’extrait). Par exemple dans le poème « Impertinences à l’eau de rose », il passe en revue tous les auteurs canadiens-français (Lire ce poème), lançant une pique ici et là, sans grande méchanceté toutefois. « Écrivain de bon sens, et qui veux dans la phrase / Mettre la vérité comme l'eau dans un vase, / Dans l’art tu ne vois goutte, et tu n'es qu'un enfant : / Broumbaraboum est là, qui nous prêche avec morgue : / Il faut faire les vers comme les tuyaux d'orgue : / Polis, ronflants, dorés, — mais surtout, pleins de vent. » (Trop de musique – Trop peu de sens).

L’auteur nous présente aussi des chansons (de circonstances, on le devine) qu’il a composées : l’inspiration va de Montcalm, à la cabane à sucre en passant par le presbytère de La Malbaie.

Dans l’épilogue, il avoue avoir longtemps hésité à publier parce qu’il craignait les réactions. Le tout finit, comme cela avait commencé, par un pied de nez. « Allons, mon volume, un effort : / Plonge, hardi, sous l’onde noire : / Qui sait, — la perle de la gloire... / — Évite seulement la mort! (Avant de faire le plongeon)


UN « EXTRA »

Arthur — qui n’a pas inventé  
Le râteau ni le télégraphe —  
Se présente frisé, ganté.  
Chez son ami le photographe.  

— Je veux, dit-il, un bon portrait ;  
Je veux surtout que l'on y mette 
Un petit air fin pas trop bête...  
Pour le tout, combien, s’il vous plaît ?

— Voici : pour la photographie,  
La bagatelle d'un chelin :  
Mais c'est une piastre et demie  
Pour l’« extra » du petit air fin ! 

3 décembre 2021

Je me souviens

Georges A. Boucher, Je me souviens, Montréal, Arbour & Dupont, 1933, 114 pages (Préface de l’auteur)

En préface, Boucher raconte que c’est une lettre élogieuse d’Edmond de Nevers (qui avait entendu quelques strophes d’un de ses poèmes sur la ville de Québec), qui l’avait incité à écrire, ce qu’il fit durant ses rares temps libres que lui laissait la pratique de la médecine.  

Georges Alphonse Boucher (1865-1956), né à Ste-Agathe de Lotbinière, a exercé sa profession à Brockton (Massachusetts), non loin de Boston. 

Son recueil contient deux parties.

La première, intitulée « Québec » se déploie sur 12 parties et 47 pages. Elle est dédiée à Edmond de Nevers. Le ton est celui de l’épopée : les vers sont exclamatifs, déclamatoires. Boucher énumère tous les personnages historiques qui ont joué un rôle dans l’histoire de Québec. Il décrit surtout la bataille des plaines d’Abraham et conclut que c’est Dieu qui a décidé de la conclusion : « C’est que telle est sur nous l’intention du Maître : / Il veut qu’en ce pays […] / Nous demeurions égaux […] / Et qu’Anglais et Français […] / Nous vivions en accord ».  Boucher reprend la thèse du peuple messianique : Québec devient une « ville sainte, / Où tout porte l’empreinte / D’un céleste dessein ». Le fleuve permet « à cette race sainte » d’atteindre les autres peuples.

La seconde partie, « Au fil des jours », est dédiée à sa mère. Elle commence un peu comme la première. Il demande à Dieu de l’inspirer ou même de lui dicter ses vers. «  Il me semble que Dieu qui tient les yeux sur nous, / Pour lire mon brouillon se penche sur les pôles ». Pour le reste, il raconte un peu sa vie, évoquant son métier, ses amours, ses enfants, ses amis.

 

BIENVENUE À L’ÉPOUSÉE

VOUS qui dans ma demeure étrangère, ce soir,

Êtes venue, épouse encore immaculée,

Et, comme dans sa chaise un maître vient s'asseoir,

Qui vous êtes chez moi tout de suite installée;

 

Aimez cette maison où votre saint pouvoir

Se fait déjà sentir, où vous régnez d'emblée;

Aimez cette maison où, pour vous recevoir,

Nous avons répandu ces fleurs de giroflée.

 

Vous n'y trouverez pas grand luxe et grand confort;

Une aisance modeste et due à mon effort,

Sera votre partage. Oh! mais que vous importe?

 

Un coeur tendre et loyal, plus que la soie et l'or,

Assure le bonheur. Et vous aurez encor

Cette sécurité qu'une foi vive apporte.

1 décembre 2021

Une saison dans la vie d'Emmanuel

Marie-Claire Blais, Une saison dans la vie d'Emmanuel, Montréal, Éditions du jour, 1965, 128 pages. (Coll. Les romanciers du jour)

Marie-Claire Blais (née en 1939) devient célèbre à vingt ans avec son roman La belle bête, écrit à 17 ans. Mais c'est Une saison dans la vie d'Emmanuel qui la propulse sur la scène internationale. Cette œuvre, qui est à la fois une parodie virulente du roman du terroir et une représentation carnavalesque de la Grande Noirceur, lui vaut le prix Médicis en 1966. 

Tout y est sombre, noir, désolant, à commencer par la famille, qui compte seize enfants, dirigée d'une main ferme par une grand-mère toute puissante. Ils vivent à la campagne, sur une ferme, dans la misère la plus abjecte. Les parents, occupés par les travaux des champs, sont quasi absents; Grand-Mère Antoinette, aidée de M. le curé, trône de tout son poids sur cette « petite misère ». 

L’image de la société est particulièrement noire : le curé est un ivrogne, le notaire un vieux gâteux, les institutrices des ignorantes, les dirigeants du noviciat et de l’école de réforme des sadiques pervers. Dans la famille, ou tu es un imbécile heureux ou tu essaies de te distinguer et tu es victime de violence et de rejet. L’éducation passe par la violence. Les enfants souffrent du froid et de la faim, la mère est une machine à travailler, à enfanter, et doit subir chaque soir les assauts d’un mari violent pour qui elle n’est qu’un objet de plaisir. 

Tous les péchés capitaux, avec lesquels on nous rabattait les oreilles dans notre tendre enfance, y passent, mais surtout le « luxure » que les curés ne prononçaient que du bout des lèvres. Jean-le-Maigre, son frère Le Septième et même la « vertueuse » Héloïse laissent libre cours à leurs pulsions et s’arrangent plutôt bien avec la culpabilité qui devrait être la leur, selon les normes de cette époque. De toute façon, dans les institutions religieuses fleurit tout autant le « vice ».  Et monsieur le curé est tout sauf un modèle de vertu. La religion culpabilise, oui, mais en effaçant le tout par une simple confession, elle permet au Frère Théodule de continuer à abuser des enfants. Comment se sentir coupable dans un tel environnement?

Fonds La Presse, 19 mars 1966
Ils vivent dans un univers grossier et leur seule voie de sortie, comme Grand-mère l’a compris, c’est l’instruction. Mais leurs professeurs sont des ignorants. La ville et l’usine ne leur offrent qu’un travail aliénant au fond d’une manufacture. Alors, il reste quoi?  Pour Héloïse, les rêves mystico-sexuels la mèneront au bordel. Pour Jean-le-Maigre, la poésie lui permet de se distancier de tous ces malheurs qui frappent les membres de sa famille et de survire, du moins dans la pensée de sa Grand-mère qui l’adorait

Le roman est noir, on l’a dit. Heureusement il y a Jean-Le-Maigre et sa tendresse envers sa grand-mère, ses frères et sœurs, Mlle Lorgnette, la petite « bossue », monsieur le curé, etc. Heureusement il y a son regard ironique et son refus de se laisser broyer par cette misère.  Il y a aussi Grand-Mère Antoinette, sa tendresse bourrue, et sa résistance qui n’a jamais fléchi malgré une vie de malheurs.

Malgré ce que je viens de dire, on aurait tort de penser qu’Une saison dans la vie d’Emmanuel est une œuvre déprimante. Du moins, pas pour moi. Ce roman peut être jouissif pour qui a connu, même de loin, ce petit monde étriqué (lire l’extrait) que Blais a si bien caricaturé. Il figure très haut dans ma liste des meilleurs romans québécois. 

Marie-Claire Blais sur Laurentiana

La belle bête 

Tête blanche

Le jour est noir

Les romanciers du jour


LA NAISSANCE DE JEAN-LE-MAIGRE

« Je ne peux pas penser à ma vie sans que l'encre coule abondamment de ma plume impatiente.

Tuberculos tuberculorum, quel destin misérable pour un garçon doué comme toi, oh! le maigre Jean, toi que les rats ont grignoté par les pieds…

Pivoine est mort 

Pivoine est mort 

À table tout le monde

Mais heureusement, Pivoine était mort la veille et me cédait la place, très gentiment. Mon pauvre frère avait été emporté par l'épi... l'api... l'apocalypse… l'épilepsie quoi, quelques heures avant ma naissance, ce qui permit à tout le monde d'avoir un bon repas avec M. le curé après les funérailles. Pivoine retourna à la terre sans se plaindre et moi j'en sortis en criant. Mais non seulement je criais, mais ma mère criait elle aussi de douleur, et pour recouvrir nos cris, mon père égorgeait joyeusement un cochon dans l'étable! Quelle journée! Le sang coulait en abondance, et dans la petite boîte noire sous la terre, Pivoine (Joseph-Aimé) dormait paisiblement et ne se souvenait plus de nous. 

— Un ange de plus dans le ciel, dit M. le Curé. Dieu vous aime pour vous punir comme ça!

Ma mère hocha la tête :

— Mais, monsieur le Curé, c'est le deuxième en une année.

— Ah! Comme Dieu vous récompense, dit M. le Curé.

M. le Curé m'a admiré dès ce jour-là. La récompense c’était moi. Combien on m'avait attendu! Combien on m'avait désiré! Comme on avait besoin de moi! J'arrivais juste à temps pour plaire à mes parents. « Une bénédiction du ciel », dit M. le Curé. 

Il est vert, il est vert Maman, 

Dieu va nous le prendre 

Lui aussi. 

— Héloïse, dit M. le Curé, mangez en paix, mon enfant. La petite Héloïse avait beaucoup pleuré sur la tombe de Pivoine et ses yeux étaient rouges, encore.

— Elle est trop sensible, dit M. le Curé, en lui caressant la tête. Il faut qu’elle aille au couvent.

— Mais comme il est vert, dit Héloïse, se tortillant sur sa chaise pour mieux me regarder. Vert comme un céleri, dit Héloïse.

M. le Curé avait vu le signe du miracle à mon front.

— Qui sait, une future vocation? Les oreilles sont longues. Il sera intelligent. Très intelligent. 

— L'essentiel, c'est de pouvoir traire les vaches et couper le bois, dit mon père sèchement. 

Joseph-Aimé est mort 

Joseph-Aimé est mort, 

dit ma mère. Et elle se moucha à grand bruit.

— Consolez-vous en pensant au futur, dit M. le Curé. Ne regardez pas en arrière. Cet enfant-là va rougir avant de faire son premier péché mortel, je vous le dis. Et pour les péchés, je m'y connais, celui-ci, Dieu lui pardonne, il en commettra beaucoup. » (p. 50-51)




26 novembre 2021

Soir d'automne

James (Émile Pierre) Prendergast, Soir d’automne, P. G. Delisle, Québec, 1881, 24 pages.

Prendergast est né à Québec en 1858. Il publie Soir d’automne à l’âge de 23 ans alors qu’il étudie le droit. Après ses études, il déménage au Manitoba où il se mariera et exercera des fonctions importantes. Il est décédé en 1945 à Winnipeg. Soir d’automne est son seul livre.

Le recueil ne contient qu’un long poème, conçu comme un dialogue entre le Poète et sa Muse.

Par un beau soir d’automne, le poète se sent très inspiré par la nature ambiante : « Je sens que l'âme est plus légère / Devant cette nature où rien n'est tourmenté ; / Et les étoiles d'or gravitant dans leur sphère, / Me semblent doucement s'approcher de la terre / Et sourire à l'humanité. »

Sa Muse refroidit ses ardeurs, lui demandant de porter plus loin son regard, de choisir des sources d’inspiration plus élevées : « Mais cherche la Beauté pure, vraie, idéale. / Nous n'en voyons ici qu'un reflet fugitif ». Elle lui rappelle que notre terre est bien imparfaite : « Aujourd'hui de tous lieux, de la nature immense / S'élève un cri de haine, une sombre rumeur ; / Et ceux qui croient pourtant, pâles, sans espérance, / Cachés sous le manteau de leur triste prudence / Craignent de dévoiler les pensers de leur cœur. »

Le Poète tombe vite d’accord avec sa Muse. « Oui, je sens sur mon front une céleste empreinte; / Je voudrais que mon cœur respirât sans contrainte / Dans l'amour et la liberté. / […] Quelque chose m'appelle au-delà de la terre. »

La Muse lui avoue que son nom est la Grâce. « J'ai dit quel est mon nom : je m'appelle la Grâce. / Je console un moment, puis je remonte à Dieu. » Il faut donc comprendre que c’est Dieu (via sa messagère) qui inspire les poètes qui savent élever leur poésie au-dessus des contingences humaines : « Réveille-toi, Lyre ! le clairon sonne ! / Les archanges chantent en chœur ! / Des quatre coins la voix court et résonne, / Et la terre créée entonne / Le grand hymne du Créateur. »

Au fond, ce poème est une réflexion sur la poésie, sur l’inspiration poétique. Ce qu’on en comprend, c’est qu’il faut éviter la facilité, viser la Beauté et l’Idéal, une certaine transcendance. Faut-il y voir une critique du Romantisme et de son lyrisme parfois facile ?

19 novembre 2021

Le livre d'une mère

Éva Ouellet Doyle, Le livre d’une mère, Québec, Imprimerie Ernest Tremblay, 1939, 141 p.  

Le recueil est dédié à ses enfants : « Je dédie ce livre à mes enfants Harry, Thérèse et Lucie ». En épigraphe, on lit : « L’enfant est un rêveur assoiffé de lumière, / Son esprit agité cherche tout ici-bas, / Mais, dès qu’il a compris il revient sur ses pas / Et trouve le repos dans le cœur de sa mère. » Dans la préface, Alphonse Désilets vante celle qui, « tout en vaquant à ses devoirs quotidiens (…), s’est mise tout à coup à chanter » alors que « l’existence actuelle est remplie d’obligations nouvelles où il entre plus de prose que de poésie ». Le préfacier va jusqu’à attribuer à l’œuvre une portée édifiante, ce que reconnaitront « ceux qui croient encore au prestige des influences maternelles pour le bonheur de la vie. »

Dans le poème « Liminaire », elle prend soin de préciser que son recueil s’adresse aux « âmes sincères » et aux « mères aux grands cœurs », se moquant au passage des critiques : « Parlez, ô grands maîtres, / Qui croyez connaître / L’art des vers. / Parlez sans réserve / Car dans votre verve / Je me perds. »

Le titre n’est pas un indicateur fiable du contenu. Le recueil compte cinq parties. Dans la première, « À ceux que j’aime », l’autrice relate sa vie de famille : son mari, ses enfants, les joies familiales ; dans le dernier poème, la grand-mère qu’elle est devenue se rappelle le temps heureux où elle était mère.

Dans « Aux disparus », elle rend hommage à ceux et celles qu’elle a aimés et qui sont décédés : sa mère, une amie, des marins, Alfred Garneau. La mort n’est pas associée à la tristesse, elle est liée au sentiment religieux, à la vie après la vie.

« Souvenirs » rassemble des poèmes qui évoquent les temps jadis : son village et la maison natale, des chants qu’entonnait sa mère, la villa Myrfal, la bataille des plaines d’Abraham. « Quand je te revois, Ô vieille maison. / Mon âme est plus forte et plus courageuse. »

Dans « Élévations», Ouellet-Doyle chante les louanges du Seigneur. Pour elle, comme pour les Romantiques, Dieu s’incarne dans la nature. Elle avoue que sa vie est difficile, ce que la religion permet de sublimer.

« Divers », enfin, présente des poèmes plus personnels. Elle parle de ses peurs, de ses angoisses, de ses désillusions, du vieillissement. « Dans ma fenêtre un grand vent passe, / Un grand vent d'hiver et de froid / Qui pleure en courant sur mon toit, / Qui me transit et qui me glace. »

Sur le plan formel, on lit quelques poèmes à forme fixe (rondels, sonnets, ballades), mais surtout des suites de quatrains, de quintiles ou de sizains.

TOUSSAINT

Je suis allée au bois voir l’automne de près;
Les érables trop fiers de leurs mille nuances,
Les peupliers tremblants aux murmures discrets
Et les pins toujours verts comme au temps des semences.

 J’ai senti le bonheur d’être seule un moment
À travers la forêt dont la plainte m’est douce.
J’ai mêlé mes soupirs au souffle du grand vent
Et j’ai perdu mes pas en marchant dans la mousse.

La fin de toute chose est écrite en ce lieu.
Une voix qui s'éteint afflige la nature.
Mon cœur aussi connaît l'automne et la froidure
Mais il poursuit son rêve en regardant les cieux. 

Les cieux ! Là rien ne meurt, là, plus rien ne succombe,
L'ancre qui nous retient est à jamais levé,
Et qu'importent l’automne et le froid et la tombe,
Quand le cœur va s’ouvrir au Dieu qu'il a rêvé.

11 novembre 2021

Péché d'orgueil

Adolphe Brassard, Péché d'orgueil, Montréal, Imprimerie des sourds-muets, 1935, 262 pages.

On est en 1907. Gilberte, une orpheline, vit seule avec son oncle depuis que sa tante est décédée. Joachim Bruteau est un vieil égoïste qui traite sa nièce comme une servante. Un accident de voiture vient perturber leur petit train-train. Étienne Bordier, l’ingénieur accidenté, est recueilli chez eux et il tombe amoureux de Gilberte. Rapidement il l’épouse mais il doit la quitter pour un travail dans le Grand Nord. Elle est enceinte et elle revient vivre avec son oncle en attendant le retour de son mari. Elle ne survit pas à la naissance de son enfant. Pour se venger d’Étienne qui lui a volé sa nièce, l’oncle dépose l’enfant à la crèche, tout en disant qu’il est décédé.

De retour, Étienne est dévasté, ce dont l’oncle se réjouit. Il retourne dans le Nord pour oublier. Six ans plus tard, le cousin d’Étienne et sa femme adoptent sans le savoir Paul, l’enfant d’Étienne et de Gilberte. Celui-ci grandit, termine son cours classique. Un jour, il apprend qu’il est un enfant issu d’une crèche, donc illégitime, et il en est dévasté. Les années passent, il finit ses études, se fait un nom et rencontre Alix de Busques, une jeune fille qui se considère aristocrate et qui n’a que mépris pour Paul et ses origines douteuses. Elle finit pourtant par l’épouser, par orgueil, parce qu’il l’a provoquée. Leur relation tourne vite au vinaigre. Ils s’entendent pour préserver les apparences.

Au même moment, le vieux Joachim fait parvenir à Étienne, toujours dans le grand Nord, une lettre lui demandant de passer le voir. Pour compléter sa vengeance, le vieux lui jette à la figure le fait qu’il a placé son fils dans une crèche. Étienne se met à sa recherche et découvre que son fils a été adopté par son cousin. Les retrouvailles entre le père et le fils se passent très bien.

Le mariage de Paul et Alix bat de l’aile. Les deux s’aiment mais ratent toutes les occasions de se rapprocher (le péché d’orgueil du titre). Sur le lit de mort d’Étienne, Paul raconte à son père l’amour qu’il porte à sa femme, ce que cette dernière entend. Ils finissent par se parler vraiment et, comme il se doit, l’amour triomphe.

Ce récit adopte la trame des récits populaires. Les personnages sont campés dans des travers poussés au paxoxysme. Ainsi en est-il de l’orgueil d’Alix, de l’amour d’Étienne ou de la méchanceté du vieux Joachim. Cela conduit à des invraisemblances psychologiques auxquelles le lecteur de roman populaire doit prêter foi pour ne pas briser l’illusion. Brassard raconte, tantôt avec finesse et tantôt de façon ampoulée, les aventures de ses héros. Le roman est plutôt bien écrit et l’humour allège le caractère mélodramatique du roman.

Extrait

« Alix frémit. Amour, ce mot venait de descendre dans son cœur, et donnait un nom à ce qui s’y passait. Elle ne se défendit pas pour nommer celui qui la jetait dans cet émoi troublant. Elle aimait son mari, et pour se l’avouer, elle sentit son amour grandir et la prendre toute. Empoignée par la sublimité de ce chant vainqueur, la jeune femme l’écoutait dans le ravissement, mais soudain, comme ces nuages subits qui cachent le soleil et jettent de l’ombre sur les choses resplendissantes, une angoisse terrible faite d’une certitude absolue, irréfutable, vint l’affoler puis la terrassa: elle aimait Paul, mais lui ne pouvait plus l’aimer, jamais. Alix vit avec épouvante la vie qui allait être la sienne, une vie de dissimulation et de souffrance. Son amour, il devra se consumer ignoré, elle devra le cacher à celui qui l’avait fait éclore […]. En songeant à l’humiliation qui l’écraserait si Paul un jour venait à découvrir qu’elle l’aimait, Alix fit appel à son orgueil pour lui éviter cet affront. Il arriva en se faisant prier mais la fierté de la jeune femme bondit et arriva à la rescousse. Non, elle, Alix de Busques, ne deviendra pas la risée de Paul Bordier. Personne ne connaîtra le secret de son cœur… » (p. 142-143)

2 novembre 2021

Le diable par la queue

Jean Pellerin, Le diable par la queue, Montréal, Cercle du livre de France, 1957, 253 pages. 

Basile et Amélie tirent le diable par la queue. Malgré toute sa bonne volonté, Basile n’arrive pas à trouver du travail. Ils habitent Montréal et ils ont deux adolescents : Picot (Maxime) et Anne.  Une cousine et son mari irlandais de New York les enjoignent de venir les retrouver, les assurant d’un travail stable. Pendant quelques mois, tout se passe plutôt bien, Basile travaillant dans une aciérie. Mais bientôt la compagnie n’offre plus que des demi-semaines, pour finalement interrompre ses activités. Basile et sa famille n’ont pas le choix : ils doivent marcher sur leur orgueil et fréquenter L’Armée de salut pour obtenir des denrées et des vêtements, tout compte fait pour survivre. Le loyer et les dettes s’accumulent. Lorsque les cousins américains leur proposent de les accompagner au Canada pour le temps des Fêtes, ils décident tout simplement de plier bagage et de rentrer au pays.

 

Pellerin (1917-2001) trace un tableau très sombre de la condition ouvrière dans les grandes villes. Montréal ou New York, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. On pense à Bonheur d’occasion bien que la vision de Pellerin n’ait pas l’amplitude de celle de Gabrielle Roy. Il colle aux événements, parfois assez banals. Le roman a souvent les allures d’une chronique, le style est plutôt journalistique. Pellerin décrit New York de l’extérieur, s’attachant aux lieux connus. Certains épisodes ont peu à voir avec l’intrigue principale. Bref, c’est un roman socialement sensible, écrit correctement, mais sans grands éclats. 

 

Lire sur Jean Pellerin

Lire le roman

Le roman a connu une seconde édition en livre de poche (1970)

 

Extrait 

— Ouais, ben, je viens d’apprendre quelque chose, dit Basile en enlevant son veston. Il paraît que la Salvation distribue des provisions.

— Salvation ?

— Ça s’appelle, en français, l’Armée du Salut. Des individus attifés comme des corbeaux et qui sonnent une cloche au coin des rues pour demander la charité. Il paraît que ces gens-là donnent, comme ça, aux quêteux, sans poser de question. Pas un chat pour nous reconnaître là-dedans !

— Ça veut dire ?

— Diable ! Ça veut dire : aussi bien en profiter !

La femme veut protester.

— Faut pas faire les becs fins, observe Basile. On est pas haut montés, tu le sais.

— Tout de même.

L’homme s’enflamme.

— Penses-y ! Le compte d’épicerie qui monte que c’en est effrayant ; pas une sacrée cenne qui nous adore ; deux mois de loyer en retard : c’est rougeaud ?

— Je sais, je sais, soupire Amélie. C’est pas réjouissant.

— Alors ?

— Alors quoi ? Va pour l'Armée du Salut, si tu penses...

Basile en a le souffle coupé. Il s’attendait à plus de chichi. Pris au dépourvu, il cherche une issue.

— Écoute donc, Picot, dit-il, tu n’irais pas voir, toi...

Le garçonnet voudrait protester, trouver un prétexte.

— Euh... vous savez, c’est pas mal loin !

— J’irais bien moi, mais tu comprends, mon anglais...

(pages 161-162)

18 octobre 2021

Les naufrages du St-Laurent

Eugène Achard, Les naufrages du St-Laurent, Montréal, Librairie générale canadienne, 1943, 128 pages. (Illustrateur non identifié)

Achard a souvent repris des histoires qui avaient été publiées dont il faisait des condensés pour la jeunesse. Son public cible était l’élève de la fin du primaire ou du début du secondaire. Le style de l’auteur se démarque par sa simplicité et son efficacité. Dans le présent recueil, il raconte quatre naufrages, les deux premiers étant très connus. Ce sont des récits historiques, racontés sans lourdeur, dont le sujet contient un contenu dramatique qui peut retenir l’attention du jeune lecteur… ou d’un adulte pressé.

Le naufrage de « La Renommée » sur les Côtes de l’Île d’Anticosti en 1736 a déjà fait l’objet d’un livre signé par le père Crespel, le principal protagoniste du récit. (voir ici) Faucher de Saint-Maurice en a fait aussi la narration dans De tribord à bâbord en 1877. Le sujet : des naufragés passent tout un hiver sur l’Île d’Anticosti avant de rejoindre la Côte-Nord au printemps.

Le naufrage de la flotte de l’amiral Walker sur les récifs de l’Île-aux-œufs en 1711 a aussi été raconté par Faucher de Saint-Maurice dans De tribord à bâbord en 1877. Walker, venu pour attaquer Québec, perd l’essentiel de sa flotte par une nuit de tempête sur des récifs de la Côte-Nord et n’a d’autres choix que de rentrer bredouille en Angleterre.

Un naufrage dans le golfe Saint-Laurent en 1780 est moins connu. On est en pleine guerre d’Indépendance des États-Unis. Le récit est raconté au « je » puisque Achard avoue s’être « inspiré » du journal laissé par l’officier S. W. Prentice. Celui-ci avait été chargé par le gouverneur Haldimand, posté à Québec, de rejoindre les forces britanniques à New York pour leur communiquer le plan des actions militaires à venir. Le départ de la mission a lieu en novembre 1780. Le navire fait naufrage et les 16 rescapés se retrouvent sur l’Île du Cap-Breton. Un petit détachement, parti à la recherche d’une présence humaine, au bout de quelques mois, finit par rencontrer des Autochtones qui les sauvent d’une mort certaine. Après un séjour de deux mois à Halifax, Prentice finit par joindre New York et par transmettre les documents dont il était porteur.

Le naufrage de l’Empress of Irland en 1914. Le récit est on ne peut plus sommaire. Un reportage journalistique de 7 pages. L’Empress of Irland, parti de Québec le matin même, entre en collision avec un charbonnier devant Rimouski à cause de la brume. Le bateau coule en 10 minutes et 1030 personnes périssent.

Extrait

C’est donc avec cette misérable ration d’un quart de livre de bœuf par jour pour six semaines, un frêle esquif revêtu d’un enduit incertain, que la moindre vague, le moindre vent pourrait renverser, le moindre écueil mettre en pièces; c’est au milieu de masses énormes de glaces flottantes, sur une plage inconnue, semée de rochers, et à l’époque la plus rigoureuse de l’année, que nous allions tenter une entreprise dont seul un désespoir aveugle avait pu inspirer le projet. Mais nous étions rendus à ce point, qu’il était moins téméraire d’affronter tous les dangers possibles, avec la plus faible lueur d’espérance, que de s’exposer, par une lâche inaction, au danger presque inévitable de périr de misère et de faim, dans ce lieu inhabité.  

L’année 1781 venait de s’ouvrir sur notre triste position. Notre dessein était de partir le jour suivant, 2 janvier, mais un vent fougueux qui venait du golfe, nous retint jusqu’à l’après-midi du 4. Son impétuosité s’étant alors calmée, nous embarquâmes nos provisions, avec quelques livres de chandelle, ainsi que les petits effets qui pourraient nous être utiles et nous prîmes congé de nos compagnons qui avaient ordre de quitter le camp en laissant une note, si quelque opportunité favorable se présentait à eux. (p. 89-90)