11 juin 2011

La Belle Bête

Marie-Claire Blais, La Belle Bête, Montréal, Institut littéraire de Québec, 1958, 214 pages.

Louise a deux enfants : Isabelle-Marie et Patrice. Elle n’a d’yeux que pour son fils qu’elle idolâtre : elle ne voit que sa beauté, ne réalisant pas que c’est un idiot. Quant à sa fille, elle la tient à distance à cause de sa laideur. Louise est veuve mais riche : elle possède des terres. Un jour, elle part pour affaires, laissant Patrice entre les mains d’Isabelle-Marie. Celle-ci, par vengeance, le laisse mourir de faim. Au retour, elle retrouve son Patrice en piteux état. Celui-ci est trop idiot pour accuser sa sœur. De son voyage, elle a aussi ramené un homme, Lanz, une espèce de dandy qui ne se sépare jamais de sa canne en or. Bientôt Patrice se sent délaissé; il se rabat sur les chevaux et le vin. Anne-Marie a rencontré un jeune homme aveugle : elle lui laisse croire qu’elle belle. Il finit par l’épouser. Un jour, Patrice précipite un cheval sur Lanz qui en meurt. Isabelle-Marie met au monde une petite fille à son image. Quand Michael recouvre la vue et découvre qu’elle lui a menti, il la répudie. Elle revient vivre chez sa mère qui a une vilaine blessure au visage, blessure qui ne guérit pas. Elle est atteinte d’un cancer qui la défigure. Patrice aussi sera défiguré : Isabelle lui a poussé la tête dans un plat d’eau bouillante. Patrice, sans sa beauté, n’intéresse plus Louise. Quand elle apprend que c’est Isabelle-Marie qui a défiguré son fils, elle la jette à la porte. Et elle décide d’aller mener Patrice dans un asile. Elle reste seule avec sa richesse : par vengeance, Isabelle-Marie met le feu au domaine. Sa mère périt dans l’incendie.

On sent l’influence d’Anne Hébert (Le Torrent) et peut-être même d’Yves Thériault (La Fille laide) et ce, non seulement à cause des thèmes en commun. Blais écrit aussi une histoire qui n’est pas ancrée dans la réalité québécoise (et dans la réalité tout court), et use d’un style littéraire qui se veut poétique.  L’histoire de Blais est trop schématique pour qu’on y croie vraiment : difficile d’imaginer Louise et même Isabelle-Marie en terrienne, difficile de croire que Patrice est aussi beau et sa sœur aussi laide, difficile d’admettre qu’une femme puisse tout rapporter à la beauté.  Quant à moi, il y a un tel hiatus entre le cadre physique et les personnages que ce récit m’apparaît trop « fabriqué ». Ceci dit, Marie-Claire Blais, c’est Marie-Claire Blais, même à 17 ou 18 ans. Il y a un imaginaire, les personnages ont une épaisseur (le lien à la sexualité, la mère incestueuse) et le récit a une portée morale (la beauté qui tue).

Extrait
Louise avait déposé un bassin rempli d'eau sur le feu. C'était l'eau brûlante dont elle se servait pour apaiser sa joue. […]
Isabelle-Marie dit d'une voix très triste :
— Ma Belle Bête, penche-toi un peu sur les flammes, regarde ces lueurs, tu pourrais les cueillir avec tes mains si tu voulais.
Patrice rit brusquement comme Un enfant de la confiance plein ses grands yeux Candides
— Moi ? Moi, je pourrais jouer avec le feu ? Mère a peur du feu, elle.
Isabelle-Marie se glissa près de lui et lui parlait sans le regarder. Comme elle lui caressait l’épaule et la nuque, Patrice la trouva douce
— Ma Belle Bête, allons ! Penche-toi et touche ... ça se cueille comme des étoiles
— Des étoiles ? dit-il distraitement
Elle le voyait, splendide, en paix, à ses flancs. Ainsi tentée, elle devait ressembler à Ève préparant sa séduction. Elle hésitait, enfonçait une dent dans sa lèvre la plus sensuelle.
  Mais penche-toi donc, Ma Belle Bête
Patrice se mit stupidement debout devant le bassin où l'eau commençait à renverser. Poussée par la férocité qui l'animait, Isabelle-Marie tendait les lèvres de curiosité.
— Alors que vois-tu ?
  De l'eau.
— Mais non, il faut bien voir, ma Belle Bête.
Virtuose à déposséder tous ceux qui ne souffraient pas, elle maîtrisait son frère, le sondait d'un seul regard.
— Pourquoi te fais-tu si tendre ? osa Patrice.
Elle le caressa plus fort et en profita pour entrer ses ongles dans cette nuque d'homme que surplombait un visage d'enfant, ébloui, guettant les flammes.
— Oh ! La si belle bête !
Son regard cruel s'acharnait à cette nuque luisante. La main hésita quelques instants, puis, victorieuse, poussa la tête de Patrice dans le bassin. Sa main était ferme comme une griffe et Patrice, qui ne criait même pas, ignorait qu'on l'avait choisi pour victime vivante. Aussitôt son geste sorti d'elle-même, Isabelle-Marie, contentée, descendit le sombre escalier qui conduisait aux pièces closes depuis la mort de son père. Elle se tint muette, blanche, frémissant du dos comme une cardiaque.
En haut, Patrice hurlait, cognait son visage tuméfié à tout ce qu'il voyait.
Isabelle-Marie entendit sa mère courir, puis pleurer. L'enfer bougeait au-dessus de sa tête. Secouant le poids de meurtre qui l'oppressait, Isabelle-Marie respira.
Enfin, il n'y aurait jamais plus de Belle Bête ! (p. 162-164)

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