Noël chante!... la nuit est belle.
Les gueux sont gais comme des rois.
L’audace brille en leur prunelle;
Ont-ils raison? oui, je le crois!
Ils pensent qu’un Dieu, sur la paille, 
En vain ne doit pas être né.
Ce soir, beaucoup feront ripaille,
Eux comptent, demain, déjeuner.
Ils ont l’âme douce et mystique 
Des bons vieux bergers d’autrefois 
Dont Ils croient ouïr la musique,
Airs de musettes, de hautbois.
Si Dieu naquit dans une étable,
Ce fut pour tout le genre humain,
Mais surtout pour nous, misérables. 
Songent-ils en tendant la main.
Noël chante! c’est grande fête;
Ce soir le gueux, puissant et fort,
Osera relever la tête;
Qui donc trouverait qu’il a tort?
Il semble qu’il n’a plus la frousse,
Son oeil, même, est un peu railleur; 
Accroupi près d’un mur, s’il tousse,
Ce n’est certes pas qu’il se meurt.
Le froid !... mais ce soir il s’en moque ! 
A Noël, les gueux sont-ils fous?...
Il croit voir fumer sa défroque 
Sous l’haleine d’un beau bœuf roux!
Noël chante et le pauvre hère, 
Regardant la foule, sourit!
Doit-on rougir de sa misère 
Quand on ressemble à Jésus-Christ!
Son œil scrute la nuit sereine;
Il contemple hardiment les cieux. 
Voilà la foi qui, souveraine,
Doit aller jusqu’à l’Homme-Dieu !
Puis, sa pauvre tête s’incline, 
Prosterné, les membres tremblants, 
Il sent comme une aile divine 
D’ange frôler ses cheveux blancs.
Noël chante!... la nuit est belle! 
Salut! gueux, vous êtes les rois 
En cette nuit qui nous rappelle 
Combien Dieu fut pauvre autrefois.
Sur ton front, mendiant austère, 
Que Noël nimbe de clarté,
Quand s’accomplit le grand mystère, 
Rayonne le mot VÉRITÉ!
(Alfred Descarries, La revanche, 1929, p. 144-146)
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