J’ai dû lire ce roman il y a 40 ans et j’en gardais le vague souvenir d’une lecture amusante sans plus. Il suffit de quelques pages pour réaliser que ce livre fait très « années soixante ». Il est dédié à quatorze « messieurs » et « autres croyants, convaincus ou d’occasion, qui manquèrent de patience ». Déjà, on peut se poser la question : pourquoi ce livre ne serait dédié qu’aux hommes?
Jasmin dit à peu près tout sans
filtre, loin du politiquement correct. Son personnage principal, pour reprendre
un terme d’aujourd’hui, est un bougon. Mauvais mari, mauvais père, mauvais
travailleur. Les tapes et les mots
déplacés fusent, la famille est toute croche, on rêve et on rêve encore, parce qu’on ne peut pas faire plus.
Jasmin, toujours à l’affut, saute à deux pieds joints dans la bataille du joual déclenchée par le frère Untel.
Son ami de Parti pris, Jacques Renaud, avait déjà frappé fort dans le mille
avec son Cassé, une année plus tôt. Mais le joual de Jasmin est assez policé, tout compte
fait. Ce sont plutôt les dialogues qui sont « jouaux », comme
Maupassant en faisait à une autre époque.
L’histoire peut se résumer
simplement. Comme la famille tire le diable par la queue, Gilles Bédard, sa
femme Germaine et leurs quatre enfants ont décidé de quitter Montréal et d’émigrer à Bonaventure,
endroit natal de la mère. Le père a accepté avec une idée derrière la tête. Sa
fille ainée a été assassinée sauvagement et il a des raisons de croire que le meurtrier
se cache à l’Anse-à-Beaufils. Le récit retrace le voyage de quelques jours qui
les mène à destination, la rencontre du père avec le supposé assassin, pour réaliser
finalement qu’il avait tout faux. Sur ce sujet, comme sur tout le reste.
Il est beaucoup question des
relations hommes-femmes dans ce récit. Je dirais même que c’est le thème
principal. Bien entendu, ces relations sont viciées par un milieu social de
misère, où tout le monde est paumé. Pour en revenir à la dédicace du début, je crois que le message de Jamin pourrait s'énoncer simplement : «Pauvres hommes, idiots que vous êtes!»
Jasmin sait raconter, nous rendre
sympathiques des personnages qui n’ont rien de plaisant, nous toucher avec des
drames dignes des faits divers.
Claude Jasmin sur Laurentiana
La
corde au cou
Éthel
et le terroriste
Pleure pas, Germaine
Extrait
— Germaine, j’sais pas pourquoi
que tu m’laisses pas là. Que tu m’endures, moé, un fainéant, un gars jamais
capable de se placer une bonne fois pour toutes. Tu devrais me planter là. Je
braillerai pas, Germaine, laisse-moé donc là, partez demain matin, à quoi je te
sers ? J’sus rien qu’un embarras, un enfant de plus, un enfant de trop !
— Tais-toé donc.
— C’est vrai Germaine, j’suis pas
un homme pour toi. J’suis rien qu’un chômeur. Quel fun que t’as eu avec un fou
braque comme moé. Rien que de la misère, des larmes, des guenilles, jamais
manger à votre faim. A quoi que j’sus bon, batèche, à rien ! Suis rien qu’un
embarras. Tu t’débrouillerais ben mieux sans m’avoir dans les jambes.
— Parle pas comme ça, Gilles.
— Parle pas comme ça, parle pas
comme ça, c’est la vérité ! Faut regarder les choses en face, de temps en temps.
Sacrez le camp, Albert sait chauffer le bazou. Je m’étendrai là, su’ la grève,
j’me laisserai crever comme un chien que j`suis, les vagues me laveront. Ce
sera fini. Un jour, tu reviendras avec le petit que t’as peut-être dans le
ventre. Y se penchera pour ramasser mes os b’en lavés pour s’en faire des p`tits
bateaux, comme Ronald.
— Veux-tu b’en te taire.
— Non, j’me tairai pas, pour une
fois que j’vois clair, pour une fois que j'trouve le courage d’ouvrir les yeux.
J’suis rien qu’un déplacé, j’ai une tête de cochon, ouais, ouais, y avaient
raison les foremen, les chefs d’ateliers, j’ai une tête de cochon, je veux
jamais me ranger, Germaine, je veux rien qu’en faire à ma tête, j’sais pas ce que j’ai, je sais pas pourquoi, je suis bâti comme ça, croche. J’ai
plus confiance, je te dis la vérité, je sais plus quoi faire, Germaine, j’ai pas
envie de recommencer, d’essayer encore de m’installer. Germaine, j’aime autant
te le dire, j’suis au bout de ma corde. Au bout ! C’est fini Gilles Bédard,
fini. T’es mieux de me planter là. T’es mieux de m’barrer sur ta liste. Je vaux
pas une cenne !
— Tais-toé donc.
(p. 88-89)
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