Ce recueil, son quatrième, Pilon le dédie à sa femme. Il est difficile d’en saisir la composition : l’essentiel des poèmes forme une longue suite, mais on trouve aussi de courtes sections qui contiennent un ou quelques poèmes, plus ou moins rattachés à l’ensemble. Il contient quelques poèmes en prose.
Après avoir parcouru les trois autres présentations que j’ai faites de Pilon il y a quelques années (voir ci-dessous), je constate que le poète a beaucoup de suite dans les idées : on retrouve dans La mouette et le large la même hésitation entre l’attente et l’action, le même rapprochement entre la quête amoureuse et celle du pays.
Le poème éponyme, adressé à une femme mouette, est un appel à la liberté : « Oublie le mirage des côtes, laisse tomber ta pesanteur de fidélité sentinelle et viens, par-delà les sanglots, par-delà l’image du temps défait, viens, ma parure de liberté. »
Dans les poèmes du début, le poète reprend où il a laissé dans le recueil précédent. L’attente est toujours là : « La tête courbée entre les épaules / Impassibles / Nous attendons sans voix / Une délivrance naturelle ». Et Le poète fait on ne peut plus clairement le lien entre le pays et la femme : « Mon pays porte le nom douloureux de mon amour. » Pour cet « homme déchiré de ce pays multiple », la femme demeure la mesure et l’ancrage de son engagement : « Si je ne croyais plus en toi je ne croirais plus au pays ». Ou encore : « Je ne veux reconnaître que l’appel du jour / La courbe de ta hanche / Et la frayeur de mon corps / À l’instant de l’amour ».
Dans les dernières parties du recueil, il est plus difficile de suivre le cheminement du poète. On dirait presque un autre recueil. On y parle d’amours, très peu du pays, d’une Madeleine dont « l’âme était fixée à la flamme pour l’éternité », des enfants « prolongement du sang ». Dans Le dernier poème, « Noces », Pilon avec emportement dit son « appartenance irréductible à la terre », la force de ses amours, « l’opiniâtreté de [s]on sang » et se pose en protecteur des siens : « Et je ne sais plus qu’un mot / Pour saluer ma maison / Et les vies qu’elle protège / Seules raisons de ma propre vie / OUI ». Poème typique de la nécessité du dire de l’âge de la parole. Le temps des hésitations semble terminé.
Jean-Guy Pilon sur Laurentiana
La fiancée du matin
Les cloîtres de l'été
Les matinaux
Les débuts de l'Hexagone
L'homme et le jour
La mouette et le large
ON NE CHOISIT PAS SES ARMES
Tu auras maintenant des murs à abattre 
Des routes presque neuves à négliger 
Parce qu’au pays où nous sommes 
Les destins rivalisent de froid 
Tu marcheras courbée dans ta haine 
Comme un printemps avorté 
Dans l’éclatement des mirages 
Sous la répétition de nos refus 
Les fleuves s’offrent à ton corps sans but 
Comme des pièges à la dérive du soir 
Mais n’entends-tu pas le cri des bêtes 
Qui bâtissent patiemment leur demeure
Je voulais simplement t’apporter le monde 
Comme on transporte une montagne 
Dans la haute ferveur du mensonge nécessaire 
Tissé sous nos pas en filet protecteur
Ne dis pas que le remords m’arrive après la tempête
Je n’ai pas le goût des révoltes inutiles
J’attends la chute des saisons
Sans leur substituer ma souffrance 
Je suis homme déchiré de ce pays multiple 
Qui exige jusqu’au dernier sanglot 
La force des bras constructeurs 
La patience désertique sans visage 
Si je ne croyais plus en toi je ne croirais plus au pays
J’aurais déserté la légende assourdie des fleuves
J’aurais saboté les plus hautes tours
Pour cacher mon mal et ma honte 
Mais je reste parce que mon sang est d’ici 
Mais j’attends parce que je sais 
Que le jour succède au sommeil 
Mais j’espère parce que c’est ma seule vie
(pages 19-20)

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