Jean-B. Gagnon, Coups de scalpel, Montréal, s.e., 1923, 295 pages.
Gagnon (1893-1956) était médecin, d’où le titre. Son interminable recueil contient quatre parties : Caprices, Grains d’encens, Folia, Levia.
Dans le poème liminaire (Au lecteur), comme tant d’auteurs de l’époque, Gagnon fait appel à l’indulgence des lecteurs.
Caprices
Les poèmes ont été écrits entre 1912 et 1916. Ils sont le fruit d’un jeune homme très idéaliste qui rêve de poésie et d’amour. « Ma plume est bien petite, et pourtant bien gentille; / Sur le papier sans cesse elle aime glisser, / Légère et sans souci… » (Ma plume)
Grains d’encens
Les poèmes sont datés de 1911 à 1915. Gagnon témoigne de sa foi chrétienne en évoquant des moments forts du calendrier liturgique : Noël, la passion, la naissance de Jésus, le mois de Marie. « Je suis seul dans le temple à l’heure du couchant, / Dehors l’orage gronde; ici tout est paisible : / C’est l’infini du soir et le rêve invisible. / Seigneur ! je suis petit; et vous êtes bien grand! » (Le soir au temple)
Folia
En exergue, il cite Musset : « Il faut savoir en ce bas monde aimer beaucoup de choses / Pour savoir après tout ce qu’on aime le mieux. » Il porte toujours le deuil de sa mère décédée alors qu’il était jeune et de son père un peu plus tard, il évoque plusieurs liens amoureux, parfois avec le cynisme du jeune homme qui joue au désespéré, il déplore la précarité de la vie alors qu’il n’a que vingt ans. Je cite la dernière strophe de cette partie : « Hélas! comme il fait froid dans un cœur de vingt ans / L’amour n’est qu’un lambeau trop mince pour la plaie / Et chaque soir arrache à ce débris vivant / Un peu de son froment pour le mêler d’ivraie. »
Levia
Le ton et les thèmes n’ont pas changé dans « Levia ». Toujours le dégout romantique, le désespoir bruyant, une certaine misogynie (sauf pour la mère adorée), entremêlés de courts moments de tendresse, d’abandons amoureux. Je cite l’avant-dernier poème du recueil.
Tout enfant que je suis, non, je n’espère plus.
Un voile de tristesse et de mélancolie
Enveloppe mon cœur; je déteste la vie,
Car avant le combat je suis déjà vaincu.
Mes compagnons s’en vont, le front gai, l’âme forte,
Vers l’idéal rêvé qui berce leur espoir.
Moi, je suis las de tout, et l’on rit de me voir
Descendre à la dérive, épave triste et morte.
Hélas ! je sens mon cœur grisonner sans retour,
Perdu comme une fleur que dessèche la brise,
Et qui tombe fanée au soleil qui la brise,
Sans même avoir goûté la volupté du jour.
Je suis bien seul, ici, dans l’immensité vague.
Je n'ai plus un regard pour réchauffer mon cœur;
Car la mort a ravi mes parents et ma sœur,
Et moi, je suis resté, dans la mer une vague.
Dieu ! que la terre est triste au poète orphelin !
Pourquoi donc recevoir une lyre dans l’âme ?
Si l’on ne peut aimer, si pour souffler sa flamme,
On n’a pas de sa mère un baiser le matin.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire