Claude Jasmin, Ethel et le terroriste, Montréal, Déom, 1964, 145 pages.
Claude Jasmin s'est inspiré de l‘attentat felquiste au centre de recrutement de l'Armée canadienne, le 21 avril 1963, pour écrire Ethel et le terroriste.
Paul vient de faire sauter une bombe. Le Mouvement a organisé sa fuite à New York, avec Ethel, sa petite amie juive, qui a déjà également fait partie du groupe terroriste avant d’en être expulsée pour des raisons ethniques. « Aucun de ces brillants chefs n’avait eu la franchise de m’avouer que l’antisémitisme du peuple nuirait à la cause si on apprenait l’existence de cette femme dans la vie privée de l’un des dirigeants du parti. » Ce voyage sur la route enneigée qui doit les mener vers « New York, la bien-aimée, la tant rêvée » va durer douze heures.
À New York, Paul entre en contact avec les membres du Mouvement qui doivent orchestrer sa fuite vers Miami. On lui dit qu’il devra partir sans Ethel, ce qu’il refuse. Les amoureux se réfugient chez la tante d’Ethel quand ils découvrent qu’ils sont suivis. Paul apprend de son contact qu’il sera expulsé du Mouvement et même que sa vie est en danger. Un officier de la GRC (il les suit aussi) lui offre de le protéger s’il accepte de servir de taupe. Paul se sent coincé. Finalement, le leader new-yorkais du Mouvement lui propose une occasion de se racheter : il devra poser une bombe devant l'ambassade du Canada.
Dans la seconde partie du roman, Paul s'interroge sur la valeur de son geste, sur ses propres motivations mais aussi sur celles de ses compagnons d'armes. Il a l’impression que son action a perdu tout son sens dès qu’il a posé la bombe. Même s’il a pris une part active aux décisions du Mouvement, il semble que ce soit davantage un coup de tête qu'une conviction profonde qui l’a amené à devenir «porte-bombe». « J’avais des ordres. [...] C’est tout. Je ne voulais rien savoir. J’avais besoin d’un travail aveugle. Cela couvait en moi, tout au fond un besoin d’obéir! C’est ainsi. »
Plus globalement, il cherche à comprendre le sens de l'action terroriste. La colère semble le point d'ancrage chez tous les militants, une colère dont les causes ne sont pas toutes en lien avec la situation sociopolitique du Québec. S'y mêlent beaucoup de raisons personnelles et d'autres qui tiennent à de grands principes comme la justice, la recherche du bien. « Tu sais, cette guerre, la vraie. Cette bataille pour terrasser cette grande vache grasse, ce veau malade et paresseux qui est couché sur nous. Sur ton pays et sur le mien. Sur le peuple noir, sur le peuple de la Grèce, sur celui de la Turquie et sur celui de la Chine et de l'Ecosse. Une grosse bête. Le mal, Ethel, le vrai mal, le seul, c'est l'ignorance. Voilà une bonne raison de se battre. C'est là le vrai ennemi. Notre seul ennemi. L'ignorance. » On comprend aussi que l’action terroriste devient souvent un exutoire pour tous les enragés, cassés et cabochons : « On jouait à Tarzan, au surhomme. Nous refaisions, à vingt ans, à vingt-cinq ans, nos jeux d’enfants. Ceux des ruelles des quartiers pauvres. Et maintenant, enfin, nos jeux, nos acrobaties, servaient à quelque chose ; la cause.»
L'écriture vive et la narration simultanée nous plongent dans l’immédiat de l’action. Dans l'épisode new-yorkais, on s’approche parfois du roman d’espionnage, ce qui agrémente la lecture. Et contrairement à ce que laisse supposer le titre, les scènes amoureuses, souvent l’occasion d’envolées lyriques, sont plus fréquentes (et réussies ?) que les discussions idéologiques. Ethel et le terroriste se lit encore très bien aujourd’hui et son propos est toujours pertinent.
Extrait
Carte postale pour mon pays
Il y a des pigeons, ils se perchent sur l'armature de l'affiche lumineuse géante. Par ma fenêtre, je regarde cette drôle de lutte. Quelques cheminées lâchent des fumées grises, bleuâtres. Le pauvre paysage derrière la vitre est déformé. Dans ma tête parfois tout est déformé. Ainsi, pendant que nous roulons le long de Central Park et que les avenues nous montrent leurs grands blocs appartements comme des splendides et gros gâteaux de noces, je songe à mon pays. Mon pays livré comme charogne, il y a plus de cent ans, à une bande de loyalistes à grandes dents. Mon pays bourré de soutanes multicolores, de petits épiciers, de maigres scieurs de bois, quelques géants isolés, exceptions qui entretiennent nos légendes, qu'un grand gaillard à l'air d'un castor chante à tue-tête à la face de nos Collégiens boutonneux, de nos fonctionnaires cacochyme, de nos commis des coins de rue — il y a, au parlement, une bande de grosses morues, tous le nez au fond de gros fromages à taxes, taxes des "p'tits culs" épiciers et fonctionnaires, une armée de rongeurs, qui se font bénir tous les dimanches, qui paradent en déclamant des âneries qui font des promesses. Ils se font élire sans peine en trompant le peuple, en débauchant les cervelles de nos épiciers-fonctionnaires. En coulisses de ce théâtre de vermine, les soutanes et les loyalistes applaudissent. Une bande de jeunes gens lorgnent déjà du côté de cette pourriture.
C'était ainsi avant nos pétards, nos pauvres feux d'artifice. Ce sera ainsi longtemps. (p. 67-68)
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