Jacques Ferron, Contes anglais et
autres, Montréal, Éditions d'Orphée, 1964, 155 pages.
Depuis les années 1970, les
contes de Ferron sont réunis en un seul volume. Et on a raison de le faire car
les Contes anglais et autres n’ont
rien qui les distingue des Contes du pays
incertain publiés deux ans plus tôt. Certains, même, les précéderaient dans
l’ordre de l’écriture.
La plupart sont réalistes
(ce qui n’exclut pas l’invraisemblable). Les lieux sont nommés, on reconnait au passage le Maskinongé, la Gaspésie, Montréal, la Beauce… et on fait quelques
incursions dans un Ontario fictif (Ulysse).
Rien de très surnaturel donc, même si on rencontre des centaures, des licornes, des sirènes, des éléphants et de petits béliers qui se promènent sur le corps des femmes.
Il y a bien un homme qui se transforme en rat blanc, mais encore là nous n'en
sommes pas sûrs. Même la version du Petit
chaperon rouge évacue le merveilleux.
Les Anglais, le plus souvent Ferron s’en moque cordialement, en passant, au détour d’une description. Tout au plus, il malmène quelques
mots « Ouiquène, ounederfoule, ouèredeare » ou il feint l’étonnement
devant certaines pratiques douteuses, par exemple quand il est question
d’accouchement. « Mais l'accouchement se précipitait. […] La jeune dame
avait besoin de nous, cela se voyait au toupet mouillé du bébé. Elle boudait
encore néanmoins. Nous la laissâmes à sa bouderie et la délivrâmes sur le côté,
sur le côté tournée un peu par en avant le visage toujours dans l'oreiller, ce
qui revenait à dire par en arrière. Et cela se fit très bien. Quand tout fut
fini, elle se retourna sur le dos et nous regarda avec de grands yeux limpides,
comme si rien ne lui était arrivé. On mit l'enfant à ses côtés. Elle parut
toute surprise: parce qu'elle l'avait eu, le dos tourné, elle croyait peut-être
qu'il lui venait du ciel. C'est l'avantage de la posture anglaise. « Et
l'inconvénient? » demandai-je à la sage-femme. «Le pauvre enfant devra se
nommer William. » (William)
Certains contes ont été écrits aux lendemains de la seconde Guerre mondiale, telle cette Suite
à Martine, très désabusée. N’oublions pas aussi qu’en tant que médecin, il
fut souvent confronté à la mort : plutôt que de s’en attrister, il affiche
une désinvolture souveraine comme s’il voulait se barder contre l’ennemi (Armaguédon).
Même s’il débusque la grosse
bêtise à l’occasion, il préfère la bizarrerie. Ce sont les Canadiens français, surtout ceux des campagnes, qui animent ses intrigues rocambolesques. On y
retrouve beaucoup de docteurs, de curés, de paysans, de marins, de nonnes, de
robineux et quelques prostituées. Il est bien évident que le bon docteur
cherche avant tout à faire rire. Il grossit les traits, malmène les tenants du
savoir, crée des situations loufoques, tel ce bouddhiste enrôlé dans l’armée
dont on ne sait que faire sinon le convertir (Il ne faut jamais se tromper de porte). Il utilise les ressorts
traditionnels de la comédie : la mésentente entre les parents et les
enfants (La Perruche, Le vieux Payen, Le bouquet de noce), le motif du mari trompé (Bêtes et mari, La laine et le crin), les relations ambiguës entre le curé et sa
ménagère (La Corde et la Génisse),
les sous-entendus sexuels… « Je l'emmène à Montréal voir un médecin. Le
médecin dit que c'est une honorée, une maladie à son honneur, dont il me guérit
si bien, si vite que je me retrouve sans éléphant à cheval sur une licorne,
galopant de retour vers le beau comté de Maskinongé. »
Et souvent l’humour tient
uniquement au style et au ton : « À la fin de la soirée il n'y avait plus de
coin, tout le monde était rond »; « La démesure des oreilles
prédispose au veuvage »; « La belle mort est la fleur de la
vieillesse »; « Les poules accoururent, le bec au bout des yeux,
bêtes comme la faim. »
Extrait
Autrefois je n'étais pas un
robineux, j'étais quelqu'un de plus honorable, j'étais un vagabond, non pas
celui qui épeure les femmes et à qui elles donnent un cent pour éloigner le
mauvais sort, mais le vagabond connu de toute la province, qu'on accueille avec
joie, qu'on retient même car il apporte dans son sac la sagesse et la
fantaisie. Aussi longtemps que durait la saison douce, je parcourais les
routes.
Le soir venu, je m'arrêtais dans
quelque maison, où à la veillée, je suscitais devant les yeux de mes hôtes un
monde qui n'avait pas de réalité, mais par lequel on pouvait entendre celui que
l'ombre avait absorbé. Le lendemain, reprenant la route, j'avais l'impression
de ne pas être passé en vain et de laisser derrière moi plus de cohérence que
devant, un jour plus clair, des fermes aux lignes mieux dessinées, des visages
plus humains. Non, je n'étais pas un mendiant, je ne quémandais rien et ce que
je recevais ne pouvait être comparé à ce que j'avais donné. J'étais un gueux,
mais j'étais aussi une sorte de grand seigneur errant par le monde afin de lui
redonner un peu d'allure, un peu de style. (LE ROBINEUX dans Suite à Martine, p.
48-49)
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