13 janvier 2016

Séraphin, un success-story

Conçu d’abord comme une nouvelle littéraire d’une cinquantaine de pages, Un homme et son péché est devenu un véritable success-story. On ne compte plus les avatars médiatiques qui lui ont permis de se maintenir presque continuellement dans l’espace public depuis 1933. Le roman a fait l’objet d’une trentaine de rééditions dont certaines illustrées, d’une bande dessinée (de 1951 à 1970 avec Albert Chartier dans Le Bulletin des agriculteurs), d’un radio roman (de 1939 à 1962), d’un téléroman (de 1956 à  1970, avec beaucoup de reprises), de trois films (1948, 1950 et 2002), d’une pièce de théâtre (à partir de 1942 jusqu’aux années 50), de chansons, de suites romanesques. Son univers imaginaire a même été reproduit dans un site touristique, soit le Village de Séraphin créé en 1967. Comment ce récit, tout compte fait assez ordinaire, a-t-il pu devenir l’un des plus grands succès de librairie et s’imposer comme une référence culturelle incontournable?

C’est à cette question que Daniel Chartier essaie de répondre dans L’Émergence des classiques. Je n’ai pas lu ce livre, mais plutôt la thèse qui en est à l’origine (La décennie des conclusions. La réception de la littérature québécoise des années trente), disponible sur le net.

Pour Chartier, ce sont les critiques de l’époque, d’abord divisés, puis réconciliés quand l’auteur a remanié son roman et qu’on lui a attribué le prix David, qui l’ont imposé. Ici, il faut dire que Grignon était lui-même un critique littéraire et un pamphlétaire intimidant. On n’osait pas s’attaquer au « Lion du Nord », la riposte risquait d’être dévastatrice. Il va de soi que Grignon a bien joué son jeu, en faisant valider l’aspect moral de son récit par le père Lamarche et l’aspect littéraire par Louvigny de Montigny.

Le roman, malgré un court succès, aurait pu sombrer dans l’oubli s’il n’avait pas été repris par la radio six ans après sa parution. L’auteur va transformer son roman, l’enrichir de personnages, bientôt en faire une pièce de théâtre, un scénario de film, un téléroman, etc. Cette omniprésence va faire en sorte que le roman va être diffusé aux quatre coins du Québec, qu’il va continuer d’être édité, même si les adaptations souvent ont peu à voir avec le roman original.

Dédicace de Grignon dans une édition des années 60
La troisième étape de ce succès vient plus tardivement : le personnage de Séraphin va en quelque sorte quitter le champ de l’imaginaire pour devenir un personnage en chair et en os (Grignon va affirmer de plus en plus librement au fil des ans qu’il a connu Séraphin). Les différentes adaptations ne seraient que des biographies romancées, d’où l’intérêt de la création d’un village, d’un lieu où le personnage aurait réellement vécu. Comme on le constate, le phénomène va bien au-delà du roman de 1933. Un Homme et son péché est devenu un objet commercial.

Un tel succès est difficile à expliquer. Pour certains critiques, la gloire de Séraphin ressemble à celle des personnages de Molière. Plutôt que de décrire un être dans lequel le lecteur peut reconnaître le paysan canadien-français, Grignon met en scène un être d’exception (un type : l’avaricieux) sur lequel on peut jeter un regard distancié. Le combat des autres personnages contre Séraphin, c’est aussi celui de tous les téléspectateurs rivés à leur petit écran. C’est le combat du bien contre le mal, de la vertu contre le vice, de la générosité contre l’avarice, du pauvre contre le riche, de l’exploité contre l’exploiteur.

En terminant, même sur Laurentiana, Un homme et son péché est un success-story. C'est la page qui a été la plus vue de toutes celles de mon site. Viande à chien!
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Claude-Henri Grignon sur Laurentiana
Le Déserteur
Un homme et son péché (édition originale)
Un homme et son péché (édition du Vieux Chêne)

Ombres et Clameurs
Le Secret de Lindbergh

Arthur Buies sur Laurentiana
La vie aventureuse d’Arthur Buies
La Lanterne
Réminiscences. Les Jeunes Barbares

1 commentaire:

  1. « Du commencement à la fin, le roman court, sans inutiles longueurs, sans puérils détours, ramassé sur lui-même, sans que l’auteur se soucie de savoir comment d’autres l’ont conté sous un autre titre ni comment la rhétorique aurait pu l’embellir. Et, surtout, il met en scène des êtres vivants, non pas, comme dans presque toutes les œuvres d’imagination enfantées dans le Canada français, des créations de la littérature. Séraphin Poudrier est un type d’avare qui méritait d’être peint: il l’a été, je n’ose dire de main de maître, mais avec un talent peu commun. Et, à travers le récit, des descriptions, des images, comme il en jaillit spontanément de la plume de Grignon, une des plus verveuses, une des plus poétiques, une des plus sincères que possède notre pays. » OLIVAR ASSELIN

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