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Comme l’œuvre de Sylvain Garneau fait partie
depuis 2003 du domaine public, je me permets de publier quelques-uns de ses
poèmes.
MARIPOSAS
Les autres amoureux,
derrière le hangar,
Allaient en chuchotant
cueillir des pâquerettes.
Les plus vieux
attendaient ou fouillaient du regard
Les bosquets éclairés
par les lampes violettes,
Où, cachés, nous
buvions la bière d’épinette,
Fiers de se sentir
seuls, invisibles, si tard !
C’étaient des Italiens
qui habitaient derrière.
Ils nous semblaient
exquis, les raisins desséchés
Que nous leur
dérobions, tout frémissants, couchés
A plat ventre devant
la clôture de pierre.
On ne nous voyait pas.
Ce qu’on nous a cherchés !
Mais moi, je pouvais
voir passer Jeanne avec Pierre.
Chaque soir, ils
passaient, vers onze heures et quart.
Elle légère, là...
lui, sur sa bicyclette.
Je me souviens aussi
de l’heure exacte, car
Pour moi c’était le
temps de rentrer. Ah ! fillettes !
L’odeur du foin
mouillé nous montait à la tête.
Je me croyais le seul à rester à l’écart.
Alors nous regardions
voler dans la lumière
Sur le jeu de croquet,
entre les fronts penchés,
De grands papillons
noirs. Le bedaud se fâchait,
Levait les bras en
l’air et battait la poussière.
Nous riions, la main
sur la bouche, sans broncher.
Moi, j’attendais de
voir passer Jeanne avec Pierre.
Les Italiens, un jour,
sont partis. Leur départ
A été regretté... par
nous, âmes seulettes
Qui savions apprécier
les raisins en retard
Qu’on croque en
grimaçant... Cette saveur surette !
Les Italiens sont
morts. Sais-tu que c’est ma fête
Aujourd’hui ? C’est
curieux : écoute le huard.
Mon canot est percé.
Adorable rivière,
Les Italiens sont
morts. Nénuphars arrachés !
Vous mourez sur
l’étang où son père péchait !
C’est ma fête,
aujourd’hui. Verse-moi de la bière.
Que faisais-tu au
temps où j’allais me cacher
Pour regarder passer
Jeanne au bras de mon frère ?
Envoi
Princesse ! On a
dynamité ma grenouillère !
Vois le martin-pêcheur
perché sur le rocher.
Les Italiens sont
morts. J’entends quelqu’un marcher.
Notre île aux rats
musqués n’est qu’une souricière.
Nous n’avons qu’un
instant pour aller nous cacher
Et regarder passer
Jeanne qui pleure Pierre.
ROIS ET CHATEAUX
II
Tu ne fus à mes yeux
qu’une étoile de pluie,
Pauvre ami peu
conscient de l’amour qu’on lui doit.
Tu craignais qu’à ta
mort tes amis ne s’ennuient
Et c’est pour m’amuser
qu’un jour tu devins roi.
J’aimais tous tes
trésors mais j’aimais mieux tes songes.
Ta sœur aussi
m’aimait, d’un amour plus léger,
Mais elle avait rêvé
d’un beau pêcheur d’éponges.
Les belles de ce temps
n’aimaient pas les bergers.
Je me souviens encor
du jour de ton mariage.
Les amis s’amusaient,
mais le roi s’ennuyait.
- Ô château lumineux !
la fête à chaque étage...
Les enfants dans la
chambre, et la bûche au foyer.
Il y avait aussi des
fleurs dans les allées.
Ô noce sans pareille,
aimable, d’un roi fier.
- Pauvre roi, bel ami,
ta vieillesse exilée
Peut-être a pardonné
les bêtises d’hier.
Mon roi, tu fus
enfant, un enfant qui s’amuse
A déplier avec ses
doigts des diamants
Pour faire des bateaux
de papier, ou qui ruse
En jouant, sans
parler, avec des chats déments.
III
Le mur de mon enfance,
au soleil mordoré,
Séparait la forêt
d’une ville funèbre.
J'habitais un château,
mais j’aimais la forêt
Et j’aimais les
lézards que l’ombre des foins zèbre.
Un jour, je m’en
souviens, j’ai vu les liserons
Franchir le mur de
pierre et ramper vers la ville :
La ville familiale et
son petit lac rond
Où l’on avait planté
des quenouilles débiles.
Puis mes parents sont
morts. Il reste le valet,
La servante et le
chien. Toutes mes tantes pleurent
Car le château n’est
plus la ville qu’on voulait
Voir envahir la plaine
où mes fontaines meurent.
Mais le matin m’a mis
plein les yeux de bonheur
Aussitôt que j’ai vu
briller par la fenêtre
Les cailloux argentés
sur le sentier aux fleurs,
Car désormais ici je
serai le seul maître.
Le mur s’écroulera. A
vous, mes liserons !
Vous saurez
transformer en forêts ces parterres.
— Ils viendront, mes
amis, demain, et nous pourrons
Briser tous les
carreaux du château de mon père.
LES CHEVAUX DE LA SABLIÈRE
J’aimais les voir
dormir, au soleil, à midi.
Je les regardais boire
au bord de la rivière
Quand à la fin du jour
nous allions, étourdis,
Voir briller dans les
champs leurs ardentes crinières.
Parfois quand le matin
faisait étinceler
Entre chaque sillon
ses serpents de lumière
Nous allions épier les
chevaux attelés.
Mais ils étaient plus
beaux au fond de nos clairières
Lorsque, luisants de
sel, ils grattaient leur cou blond
Contre les peupliers,
lorsque près des cascades
Ils suivaient d’un œil
doux les lapins dans leurs bonds
Et remplissaient d’air
pur leur poitrine malade.
Et nous allions, le
soir, dans nos lits, deux à deux,
Raconter en silence à
nos amis lunaires
Combien nous les
aimions ces centaures peureux
Qui courent, enflammés,
sur les dunes légères.
JUILLET
Les souches, les
cailloux moussus, les champignons !
Autant d’objets qu’à
deux nous avions mis en rêves,
Au bord de la
clairière où les troncs pleins de sève
Nourrissaient sans un
bruit les fruits que nous volions.
Tant qu’on verra
briller le gel dans le sillon,
Tant qu’autour du
fanal à la lueur trop brève
On verra s’émouvoir,
tel des bulles qui crèvent,
L’éblouissement sourd
de mille papillons,
Les enfants trop
heureux s’en iront sur les grèves
Regretter les étés
avant qu’ils ne s’achèvent...
Mais ce soir, sur la
route où, parmi le goudron,
Le soleil a semé,
comme des champignons,
Les bulles de chaleur
que nos semelles crèvent,
Nous sourirons
ensemble à tous les mauvais rêves
LES ÉTUDIANTS
Sur le bord des grands
parcs, à l’ombre des murailles,
Tête nue et vêtus d’un
paletot râpé,
Chaque lundi matin, à
huit heures, il bâillent
En pensant au sommeil
qu’il faudra rattraper.
Soûls de café sucré,
ils rotent. Leurs sourires
Ont gardé du sommeil
quelque chose de niais
Et dans l’œil de
Marie, en secret, ils croient lire
Un écho à l’aveu
longuement oublié,
Parce que, le
printemps, le long de l’avenue,
Les érables sont verts
et le pavé propret
Et qu’ils croient,
pour séduire une belle inconnue,
Qu’il suffit d’un
regard sur un mollet doré.
Bientôt ils dormiront,
jambes sous le pupitre,
Conquérants du bonheur
aux soupirs enfiévrés,
Pendant que le soleil
dispersé par la vitre
Peindra sur le mur
blanc des prismes diaprés.
Ils oublieront en
chœur d’anciennes fiancées,
Car ils aiment
marcher, ni tristes ni joyeux,
A pas lents, pour
bercer d’indolentes pensées
Et sentir le vent
frais lécher leurs fronts huileux,
Tandis que le chemin
de pierre concassée
Grince sous les talons de leurs souliers trop
vieux.
HIVER
Les enfants du voisin
dans leur château de neige
Se cachent des
passants pour mieux les détester
Et l’ombre du curé sur
la façade grise
S’arrête au coin du
mur pour mieux les écouter.
Le concierge s’en va
de fournaise en fournaise
Brasser le feu qui
dort sous les cendres d’hier.
Mais les yeux des
enfants brillent comme des braises
Au fond de leur
château où n’entre pas l’hiver.
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