Sylvain Garneau, Objets trouvés, Montréal, Les éditions
de Malte, 1951, 93 pages (Préface d’Alain Grandbois et couverture de Pierre
Garneau).
Les Éditions de Malte, fondées
par André Roche en 1950, vont publier huit livres, dont six recueils de poésie,
avant de disparaitre en 1955 : Né en
trompette (1950) de Serge Deyglun, Le
Combat contre Tristan (1951) de Pierre Trottier, Objets trouvés (1951) et Les
Trouble-fête (1952) de Sylvain Garneau, L’Ange
du matin (1952) de Fernand Dumont et Premiers
secrets (1951) d’Éloi de Grandmont. (Jacques Michon
et all., HÉLQ, 2004). Même s’ils ne semblent pas avoir passé l’épreuve du
temps, « Garneau » et « Dumont » demeurent des
« cas », le premier à cause de son destin tragique et le second,
parce qu’il est devenu l’un des intellectuels les plus admirés au Québec.
Sylvain Garneau s’est suicidé à
l’âge de 23 ans, deux ans seulement après avoir mérité le prix David pour Objets trouvés. Le recueil, tiré à 500
exemplaires, aurait été financé par les parents de l’auteur. Son second et
dernier recueil, Les Trouble-fête, parait en 1952. Ceux-ci et certains ajouts sont
republiés sous le titre Objets retrouvés par
Guy Robert dans la collection Poésie canadienne
(Déom, 1965). Enfin, les Herbes rouges présentent ses œuvres complètes en 2001.
Son œuvre a donc connu trois éditions. C’est beaucoup et cela donne une idée de
la fascination que sa poésie, mineure selon les historiens de la littérature, a
exercé (et exerce?) sur les esprits.
Grandbois se dit admiratif de cette
poésie aux antipodes de la sienne.
« Les poèmes de Sylvain Garneau sont tendres, légers, rieurs,
désinvoltes, et pleins d’un amour, d’une admiration, d’une compréhension des
choses de la nature, qui bouleversent. Il chante le soleil, les arbres, la
rivière, les lacs, les crépuscules, et sa jeunesse, avec la fougue et l’ardeur
de son bel âge. (Mais ce bel âge passe vite). »
Le recueil est divisé en trois
parties, la seconde étant elle-même subdivisée en trois : Rois et châteaux, Terre et eaux, Cliquetis et
pots cassés. Bien entendu, à la suite de Grandbois, on est étonné d’y trouver
les artifices de la poésie classique : rimes, majuscules en début de vers,
ponctuation, alexandrins la plupart du temps, ballades et sonnets… Ceci étant
dit, disons que l’auteur réussit à nous le faire oublier, tant tout cela coule
de source.
Beaucoup de poèmes évoquent des
souvenirs d’enfance-adolescence, époque regrettée. Dans « Mariposas », il
se rappelle le temps où lui et ses copains allaient voler des raisins aux
Italiens en observant les couples d’amoureux qui cherchaient un endroit pour
s’abriter des regards. Ce qui ressort de ce poème, c’est la tristesse de voir
se dissiper à tout jamais cette époque perdue : « Nous n’avons qu’un
instant pour aller nous cacher / Et regarder passer Jeanne qui pleure
Pierre. » Le rêve, l’enfance, la féérie, la nature, les amourettes
apparaissent comme des refuges loin de la dure réalité de la ville. « Le
mur de mon enfance, au soleil mordoré, / Séparait la forêt d’une ville funèbre.
/ J’habitais un château, mais j’aimais la forêt / Et j’aimais les lézards que
l’ombre des foins zèbre. » Rêve et réalité se dressent l’un contre
l’autre, comme si le réel n’était pas assez étanche : « Dans chaque
maison il y a des hommes / Et dans chaque cœur il est un château. » Le
roi, la reine, la princesse, le fou du roi et le château deviennent des motifs
récurrents, les figures emblématiques d’un monde irréel. Il me semble qu’il les
utilise aussi pour parler de ses rapports avec la société. : « J’ai
quatre bons amis, quatre rois fainéants. /… / - Ils viendront, mes amis,
demain, et nous pourrons / Briser tous les carreaux du château de mon
père. » Il est bien évident qu’on est en présence de quelqu’un qui refuse
toute entrave. L’amour et le voyage sont perçus comme des prolongements du rêve,
des lieux de fuite : « Je suis parti puis revenu / Comme en rêve »; « Souvent
j’avais rêvé de partir avec celle / Qui me parlait d’amour, de soleil, de vieux
ports ». Dans la dernière partie du recueil, le ton est plus grave, on
avoisine davantage l’angoisse, celle de l’homme coincé qui ne voit aucune fuite possible : « Ce dont j’ai peur
c’est qu’un jour vienne / Où le désir m’empoigne au cœur / De laisser fuir
jours et semaines / En écoutant pousser les fleurs. »
J’ai choisi comme extrait le
poème le plus grave du recueil : ici, plus de doute possible, derrière l’ironie
se cache une grande détresse.
CORDIAL
Mon
cœur au fond d’un verre apparaît tout à coup,
Mon
cœur vert et sévère et plus nu qu’un dégoût.
C’est
un rêve qui coud l’amour avec soi-même,
Que
l’on sent, que l’on palpe au fond de sa nuit blême.
C’est
mon cœur que je vois. C’est ce cœur que je bois,
Plus
moqueur que la joie et plus vert qu’un hautbois.
Vois-tu
? C’est ce nuage au bout du cristal pâle.
Ce
son qui se dégage et se perd dans la salle.
Le
pianiste s’enivre et débauche des cris.
Sa
boîte oscille et geint et se moque, ou sourit.
Ce
sourire est plus dur et plus sot que la terre
Et
passe inaperçu dans le flot solitaire
Des
fuyards de la nuit accoudés sur le roc.
Ils
écoutent leur cœur et font baver leur bock.
« On
a peur de son cœur, car j’ai peur, peur sans craindre »
Et
nous irons là-bas où les soins seront moindres.
Et
tandis que partout les enfants et les vieux
Regarderont
pâlir les étoiles aux cieux,
Nous
courrons vers ces lieux que hantent les pianistes,
Où
les jaseurs de noir sont plus bêtes que tristes,
Et
nous verrons venir avec cette fumée
Un
rêve-souvenir à la voix enrhumée.
— Et
puis pour revenir ? Bah ! Il sera trop tard.
Alors
nous attendrons le long d’un boulevard
Que
revienne un désir. Déjà ce sera comme
Un
rêve qu’on revoit, qu’on connaît et qu’on nomme
Sans
le vouloir comprendre et dont le son revient
En
nous comme un remords usé qui nous retient.
Et
nous retournerons. Et la nuit, — nuit sévère, —
Peut-être
aura pour nous un cœur au fond d’un verre.
Sur
Sylvain Garneau, on peut lire « La
voix retrouvée de Sylvain Garneau » de
Jean-Cléo Godin et l’article d’André Gaulin dans le DOLQ.
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