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7 décembre 2014

Gaston Miron (1928-1996)

(Texte publié en 2003 sur Cyberscol, site disparu — première version à la fin des années 1990)

Gaston Miron est né en 1928 à Sainte-Agathe-des-Monts : « je suis né ton fils en-haut là-bas / dans les vieilles montagnes râpées du nord » (L’octobre) Il passera quelques vacances d’été à Saint-Agricole et au Lac-de-l’Orignal, dans le canton de l’Archambault, lieu évoqué dans son oeuvre : « Pays de jointures et de fractures / vallée de l’Archambault / étroite comme les hanches d’une femme maigre » (Fragment de la vallée) Tout jeune, il vit son premier choc culturel : il découvre que son grand-père, qu’il admire, patauge dans le plus  « noir analphabète ».

Aîné d’une famille de cinq enfants, il a 12 ans lorsque son père décède. Dans la lignée paternelle, on est charpentier de père en fils et ce n’est pas sans regret que Miron délaisse cette tradition : « dans un autre temps mon père est devenu du sol / il s’avance en moi avec le goût du fils et des outils » (Art poétique) À Sainte-Agathe, qui se transforme l’été en centre de villégiature pour fortunés anglophones, il fait une première expérience de son « bilinguisme de naissance » : la langue du majoritaire, qui est celle de l’argent, plonge les siens dans un état de dépendance servile.

Son secondaire, il le fait à Granby dans un juvénat des Frères du Sacré-Cœur. On l’initie à la poésie d’Octave Crémazie, de Pamphile le May, de Nérée Beauchemin… Entre-temps, sa mère « avec ses mains d’obscures tendresses » se remarie et la famille déménage à Saint-Jérôme. Il la rejoint à la fin de ses études et travaille un an comme manœuvre auprès des plombiers. À 19 ans, il quitte le milieu familial et s’installe à Montréal. Le choc est brutal :

 or je suis dans la ville opulente
la grande Ste. Catherine Street galope et claque
dans les Mille et Une Nuits des néons
moi je gis, muré dans la boîte crânienne
dépoétisé dans ma langue et mon appartenance
déphasé et décentré dans ma coïncidence
(Monologues de l’aliénation délirante)

Le jour, il exerce un peu tous les métiers : commis de bureau, instituteur, serveur... Le soir, il étudie les sciences sociales à l’Université de Montréal et rencontre Olivier Marchand qui le met en contact avec  la poésie moderne : Eluard, Desnos, Aragon… Ce même Marchand l’introduit à l’Ordre de Bon Temps. Ce mouvement, issu de la JEC (Jeunesse étudiante catholique) et voué à la défense du folklore canadien-français, tente de développer l’esprit d’initiative chez les jeunes.

Le Devoir et Amérique française publient ses premiers poèmes en 1949.

À l’Ordre de Bon Temps, en plus d’Olivier Marchand, il rencontre Gilles Carle, Louis Portugais, Mathilde Ganzini et Jean-Claude Rinfret, les personnes qui vont devenir ses premiers compagnons de route. En 1953, ce groupe fonde l’Hexagone, une maison d’édition mais aussi un lieu de rassemblement pour les poètes et les artistes. Miron choisit le nom. « Nous étions six le jour où nous en avons décidé la création. » Ce mouvement, que Miron dirige et anime jusqu’en 1983, fera date dans l’histoire de la littérature québécoise. La même année, Miron et Marchand publient conjointement Deux Sangs. Pour financer l’entreprise, le groupe lance une souscription auprès d’amis et fabrique de façon artisanale le recueil, tiré à 500 exemplaires, dont 200 « autographiés par les auteurs, [et] spécialement destinés à ceux dont la confiance et le soutien [ont permis] la présente édition ».

Dès 1954, Miron commence à rédiger ses grands cycles poétiques : « La vie agonique », « La marche à l’amour » et « La batèche ». De 1954 à 1958, les poètes de l’Hexagone (auxquels se sont joints Jean-Guy Pilon, Fernand Ouellet, Paul-Marie Lapointe...) donnent plusieurs récitals, ici et là au Québec.

Miron adhère au Parti social démocratique en 1955 et est candidat défait dans Outremont en 1957. Il collabore à la fondation de la revue Liberté en 1959.  La même année, il quitte le Québec et va étudier les techniques de l’édition à l’école Estienne à Paris. Il visite l’Europe et fait beaucoup de rencontres décisives parmi les poètes français : André Frénaud, Eugène Guillevic, Robert Marteau, Michel Deguy, Édouard Glissant, Maurice Roche, Jean-Pierre Faye… Pourtant, lui-même abandonne pour ainsi dire l’écriture, à cause de l’isolement  social qu’elle confère, pour se consacrer tout entier à l’action.

De retour en 1961, il travaille dans l’édition. En même temps, il participe activement à la Révolution tranquille. En fait, il est de tous les combats : il milite tour à tour dans le R. I. N., le M. L. P. (Mouvement de libération populaire), le P. S. Q. (Parti socialiste québécois), le M. U. F. Q. (Mouvement pour l’unilinguisme français au Québec), le F. Q. F. (Front du Québec français). En 1963, il est membre de l’équipe de Parti pris, revue et maison d’édition dans la lignée de l’Hexagone, avec un discours social et artistique beaucoup plus véhément toutefois.

Il renoue avec la poésie et publie des fragments de ses grands cycles poétiques : « La marche à l’amour » est publiée en 1962 dans Le Nouveau Journal, « La vie agonique » et « La batèche » le sont en 1963 dans Liberté, « L’amour et le militant » en 1963 chez Parti pris, « Les poèmes de l’amour en sursis » en 1967 dans Liberté.

En 1966, une conférence de Jacques Brault, intitulée Miron le magnifique, atteste de l’estime que l’on voue au personnage. « Qui parmi nous ne connaît pas Gaston Miron? Cet homme répandu comme une légende, animateur et agitateur de première force, dont le visage se confond presque avec le visage de notre société... » Miron est déjà un mythe, même s’il refuse de publier, lui qui retouche sans cesse ses poèmes, luttant contre les mots, « comme un cheval de trait  / tel celui-là de jadis dans les labours du fond ». (Paris)

En 1969 naît sa fille Emmanuelle qu’il élève seul et à qui il dédiera L’Homme rapaillé. « Dans la floraison du songe / Emmanuelle ma fille / je te donne ce que je réapprends ». (L’héritage et la descendance)

Son travail dans l’édition l’amène souvent en Europe et il en profite pour faire connaître la littérature québécoise. Il participe à l’organisation de la « Rencontre des poètes canadiens » en 1968 et à celle de la célèbre « Nuit de la poésie » présentée au Gésù en mars 1970. En avril de la même année, poussé par Georges-André Vachon et Jacques Brault, Miron finit par rassembler ses poèmes et quelques textes en prose et publie L’Homme rapaillé aux Presses de l’Université de Montréal.  Phénomène jamais vu au Québec, le recueil figure sur la liste des best-sellers. En octobre, il fait partie des 350 personnes arrêtées en vertu de la Loi des mesures de guerre. Il passe 13 jours en prison : «  je crache sur votre argent en chien de fusil / sur vos polices et vos lois d’exception » (Séquences). Quelques jours après sa sortie de prison, il reçoit le prix France-Québec. Ce recueil lui vaut aussi le prix de la revue Études françaises en 1970, celui de la ville de Montréal en 1971 et le prix Belgique-Canada en 1972.

Toujours dans les années 1970, il est écrivain résident aux universités d’Ottawa et de Sherbrooke, il enseigne à l’école nationale de Théâtre de Montréal et il travaille aux éditions Leméac. En 1975, il publie un deuxième recueil, Courtepointes. En 1977, il entre à l’Académie Mallarmé (fondée en 1937 pour honorer la mémoire du grand poète symboliste).

Dans les années 1980, il donne de multiples lectures de ses poèmes, ici, mais aussi en Europe et aux États-Unis. En 1981, une nouvelle version de L’Homme rapaillé est publiée aux éditions Maspero à Paris et, la même année, il reçoit le prix Guillaume-Apollinaire. C’est la consécration internationale. Dans cette édition sont insérés les poèmes de Courtepointes.

Plusieurs grandes récompenses couronnent cette oeuvre exceptionnelle : le prix Duvernay (1977), le prix Athanase-David (1983), le prix Molson du conseil des arts du Canada (1985). On lui décerne aussi la médaille de l’Ordre des francophones d’Amérique en 1991 et les insignes de Commandeur des Arts et des Lettres de la République française en 1993.

Miron a également participé à l'élaboration de deux anthologies : Écrivains contemporains du Québec en 1989 avec Lise Gauvin et Les Grands Textes indépendantistes en 1992 avec Andrée Ferretti. Il a écrit beaucoup d'articles dans les revues et les journaux. Un échange épistolaire, À bout portant, qu'il a tenu avec Claude Haeffely, a également été publié en 1989. À partir de 1991, il donne un peu partout, accompagné de musiciens, un spectacle poétique, La Marche à l’amour

Il meurt le 14 décembre 1996. Tout le Québec reconnaît en lui le grand écrivain mais aussi l’ambassadeur infatigable de la culture québécoise et pour en témoigner, on lui offre des obsèques nationales. Il est inhumé au cimetière de Sainte-Agathe, près des siens. « Ci-gît, rien que pour la frime / ici ne gît pas, mais dans sa langue / Archaïque Miron / enterré nulle part / comme le vent. » (Stèle)

Pour honorer sa mémoire, la bibliothèque de Sainte-Agathe-des-Monts et celle de la Délégation générale du Québec à Paris portent désormais son nom. Dans les Sentiers Poétiques de Saint-Venant-de-Paquette, un site est aménagé en son honneur et une stèle immortalise sa vie poétique.

En 1998, un colloque international, « Miron ou la marche à l’amour… en poésie », est tenu à l’Université de Toronto.

En 2003, Marie-Andrée Beaudet et Pierre Nepveu présentent un recueil posthume,  Poèmes épars, qui regroupe certains poèmes parus dans des revues, d’autres publiés dans Deux Sangs mais non intégrés à L’Homme rapaillé, ainsi que certains inédits.

Gaston Miron sur Laurentiana

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