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22 octobre 2010

Ces Anges de sang

Fernand Ouellette, Ces Anges de sang, Montréal, L’Hexagone, 1955, 30 pages. (Les Matinaux)

« À cette époque, j'avais besoin de me regarder, de m'accepter brutalement dans ma condition charnelle. J'aspirais à devenir un humain entier. C'est ainsi que naîtront les premiers poèmes de celui que j'ai appelé l'ange de sang. »

« Le tragique, à vrai dire, c’est de ne pouvoir entrer de plain-pied dans l’éternité, dans la plénitude lumineuse. C’est d’avoir une conscience des limites, des jours, des espoirs et des amours. C’est de se rendre compte de notre situation réelle dans un corps et dans un temps donné, par rapport à l’être que nous voudrions devenir. Voilà pour moi le tragique. » (Itinérances spirituelles)

La poésie de Fernand Ouellette est peu circonstancielle, presque conceptuelle. Plus encore que Grandbois, Ouellette se tient loin de toute représentation du réel, de tous développements anecdotiques. Le poète utilise un réseau complexe de symboles qu’il nous faut interpréter, ce qui fait que le sens est toujours fuyant.

Déjà dans le titre se télescopent matériel et immatériel. L’imaginaire poétique du poète s’alimente de cette tension, pour ne pas dire de cette dualité. Il désire rompre avec un état aliénant pour accéder à un nouvel espace de liberté dans lequel il pourra s’exprimer : « Près de l’abime / on pleure ses yeux sans nid / et déjà! / à travers le déluge des nuées / un chant ténu escalade les instants ». Le motif des « yeux » est primordial dans le recueil, car le monde est appréhendé par le regard : « Nos yeux nomades au dos des vents traqués / comme de lourds baluchons gorgés de violence / vrillant des chemins vierges ». La contemplation du monde n’est pas passive. Par le regard, le poète espère rejoindre le monde de l’esprit : « Aux lents pendules des ombres / comme des faucons / ses yeux s’agriffaient ». Il ne faudrait pas penser que cette poésie est une fuite; au contraire, Ouellette semble dire que l’unité de cet « ange de sang » dépend de ce lien entre le tangible et l’intangible, comme on le perçoit dans le poème « Échec de geste » : « Quel ange me rendra / le haut sentier d’un geste plein / l’ardent pays d’un corps en marche? » Paradoxalement, l’ange se pose comme l’intermédiaire, le passeur pour accéder au réel. « Il est venu / cet ange des faims limpides / offrir son feu au chant des mains / aux yeux des plaies semer ses aubes ».

Georges Rouault ; Horses think
Les quatre derniers poèmes du recueil, regroupés sous le titre « Visages de l’exil », proposent non pas une solution, mais une avancée : dans le poème « Naissance », dédié à Lisette, l’amour offre le moyen de neutraliser la vieille tension contemplation-action : « et l’odeur infinie de ta présence / endort mes plaies, convie mes aigles / à l’intense élévation d’un chant / de feu ». Même chose pour « Le Christ galérien », dédié à Miron, dans lequel la religion ouvre la voie au cheminement du poète. Enfin, le dernier poème du recueil, tout à fait dans l’esprit de l’Hexagone, trace l’avenir prometteur d’un être réconcilié : « Et naîtra d’un monde vierge la blonde chaleur / le rivage du soleil dans l’enceinte des mains, / pour les mers blanches des yeux survivants / des visages accordés au libre univers / de leur élan ». On pourrait peut-être résumer en disant que cette poésie interroge la part de l’invisible dans nos vies.

Recueil difficile qui demanderait une longue étude, ce qui n’est pas l’objet de ce blogue. En essayant de donner une certaine logique à mon résumé, du même coup, j’oblitère assurément la densité du recueil. Cette œuvre traduit bien l’aliénation de l’écrivain des années 1950, partagé entre une recherche d’absolu très judéo-chrétienne et son désir de communier aux réalités de la « vraie vie ».


NOS YEUX DANS LE VENT
Nos yeux vigies au bout des vents
cinglant les phares raillant les escales
oh!
ces récifs de rêves
     au creux des auges assoupis.
Nos yeux nomades au dos des vents traqués
comme de lourds baluchons gorgés de violence
vrillant des chemins vierges
dans les filets d'espaces crevassés.

Nos yeux soleils qui envahissent le vent
     comme une marée dévorante de blé.
Nos yeux rivières glissant dans la brise
Confiant les urnes des mains broyées.
Voir ce texte de Paul Chanel Malenfant

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