17 octobre 2007

De gré ou de force

Adrienne Maillet, De gré ou de force, Montréal, L’Arbre, 1948, 259 pages.


C’est la guerre. François Delval, marié depuis deux ans, a décidé de s’engager, au grand désespoir de sa femme Monique. Son ami Luc Manciny, un médecin, a décidé de faire de même. Seul son demi-frère Bruno refuse de les suivre sur cette voie. C'est donc lui qui est chargé de veiller sur Monique. Au début, François et Monique échangent beaucoup de lettres et puis un jour, François ne répond plus. Un mois passe avant que la nouvelle tombe : son avion s'est abimé dans la mer du Nord lors d’un vol de reconnaissance.

La jeune veuve est inconsolable. Sa mère et sa sœur viennent habiter chez elle pendant un certain temps. Par ailleurs, Bruno la visite au quotidien. En fait, il est amoureux de cette belle-sœur inconsolable. Pour apaiser son chagrin, il demande à Luc de la choisir comme marraine de guerre. Elle se console de cette façon. Et ainsi vont les choses pendant deux ans, jusqu’à ce que Luc rentre au pays. La raison qu’il invoque : sa santé; en fait, il est amoureux lui aussi de la veuve. Les deux prétendants et amis s’expliquent et conviennent (eh oui !) que c'est Luc qui ferait un meilleur mari. Il reste à convaincre la veuve. Elle finit par céder. Elle épouse Luc par amitié pour l’empêcher de retourner à la guerre. Le mariage est célébré. Lentement ses sentiments pour Luc se développent et cela d’autant plus qu’elle est enceinte.

Un soir que les trois devisent joyeusement, on frappe à la porte. C’est François. Il vient de passer deux ans dans les soutes d’un bateau allemand dont il est sorti indemne quand ce dernier est coulé. Monique se retrouve donc avec deux maris qu’elle aime également. La religion ayant préséance sur toute autre loi, elle est obligée de retourner à son premier mari. Le tout est convenu de façon raisonnable, sans drame. François admet que sa femme a eu raison de prendre un nouveau mari. Il est prêt à adopter l’enfant. Fou de chagrin, Luc décide qu’il lui faut quitter le Québec. Il émigre en Alberta, là où réside un oncle curé. Deux ans plus tard, il rencontre une jeune fille, l’épouse. Le couple attend des jumeaux. Malheureusement, Luc meurt dans un accident de chasse.

Le temps a passé. François et Monique ont maintenant un fils de 18 ans, Yves. Lors d’un voyage en Gaspésie, il rencontre une jeune fille, Gaétane Manciny, aussi en voyage avec ses parents, dont il tombe amoureux. Même les parents finissent par sympathiser. Leurs relations évoluent vite et au retour, les deux jeunes parlent déjà de s’épouser. Le premier à douter qu’il puisse y avoir anguille sous roche, c’est Bruno. Effectivement, il découvrent que Gaétane est la demi-sœur d’Yves (voir l’extrait).

Petit roman sans contenu qui se lit encore bien. C’est léger, léger, très léger. Les fils sont très gros, on devine assez facilement la finale, mais bon… il y a quand même un plaisir de lecture, pas du tout intellectuel, dans ce style de livre. L’écriture est efficace.

Extrait
Du regard, Monique suit, avec inquiétude, son fils dont le visage s'assombrit de plus en plus. Elle pressent ses pensées, sa douleur. Elle en souffre à mourir.
Cependant, le jeune homme finit par mieux raisonner. Il voit nettement la futilité d'une lutte contre un obstacle invincible et la sagesse d'une prompte résignation à son sort. Levant les yeux, il les porte instinctivement sur ceux de sa mère, dans lesquels il lit une navrante anxiété. Alors, il devine une partie des tortures morales qui, cette nuit, l'ont assaillie et celles qu'elle a subies autrefois, sans jamais les divulguer. Un attendrissement l'envahit, puis un remords : il rougit de son égoïsme qui l'a empêché de lui adresser un bon mot, qu'elle attend, sans doute. Il s'approche d'elle, la serre contre lui en s'écriant avec exaltation :
— Maman, ma sainte maman, comme tu as souffert sans que je m'en doute ! Si je ne t'avais aimée jusqu'ici autant qu'il soit possible d'aimer sa mère, je t'aimerais davantage à compter de cette nuit.
— Je n'espérais pas moins de toi, mon chéri, affirme Monique, qui se raidit contre son émoi.
Yves se redresse. Il regarde affectueusement François.
-— Quant à toi, papa, je ne trouve pas de mots assez expressifs pour t'exprimer ce que m'inspire ta délicatesse envers maman, ta grandeur d'âme à mon endroit.
— N'en cherche pas, mon fils. Je suis heureux de proclamer devant nos amis que jamais tu ne m'as fourni l'occasion de regretter mon plaisir de t'avoir donné mon nom.
La scène remue profondément Bruno et les époux Manciny. Elle détourne même Gaétane de son chagrin, pour un moment.
Transportée par les paroles vibrantes d'Yves, la jeune fille s'élance vers lui, les bras tendus. Soudain, une gêne la saisit, elle s'arrête et laisse tomber ses bras ; elle n'ose pas se précipiter dans ceux du jeune homme.
Yves lève les yeux sur elle, puis les abaisse aussitôt. Lui aussi se sent intimidé : les paroles d'amour qu'il lui a souvent répétées, les confidences qu'il lui a faites, les marques de tendresse qu'il lui a prodiguées, se présentent à son esprit. Il est bouleversé de savoir que ces témoignages d'affection qu'un jeune homme réserve à celle qu'il épousera soient allés à sa sœur.
Il se ressaisit. Comme il n'a rien à regretter de sa conduite, il s'approche de Gaétane, plonge ses yeux dans les siens. Un émouvant dernier regard d'amour s'échange...
« Le sacrifice des amoureux est consommé ! » Yves enlace Gaétane.
La sœur et le frère pleurent dans les bras l'un de l'autre.
FIN

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