23 octobre 2007

La Métisse


Jean
Féron, La Métisse, Montréal, Edouard Garand, 1926 (?), 214 p. (Coll. Roman canadien) (1re édition : 1923)

On est à Bremner au Manitoba en 1914. Héraldine Lecours, une Métisse d’une trentaine d’années, a perdu son poste d’institutrice après avoir enseigné le français. Elle est devenue servante et travaille chez Malcolm MacSon, un Écossais brutal, veuf trois fois, et père de trois enfants. Il a eu une fille, Esther, avec sa seconde femme, et un garçon et une fille avec sa dernière épouse, une Française. Il faut dire que MacSon est raciste, qu’il déteste les Français et surtout les Métis. Il s’occupe très peu de ses deux enfants d’ascendance française de six et quatre ans, qui considèrent Héraldine comme leur mère. Celle-ci leur parle en français, les aime comme ses enfants et leur enseigne la religion catholique, ce que MacSon abhorre. Les voisins des MacSon, ce sont des Français : François Lorrain et sa mère octogénaire. Lorrain, célibataire d’une quarantaine d’années, visite MacSon, même si leur lien est assez tendu pour des raisons de nationalité. En fait, Lorrain courtise la jeune Esther et celle-ci répond à sa cour, ce dont ne se rend pas compte l’Écossais.

La situation se complique quand Lorrain administre une raclée à MacSon en train de brutaliser la Métisse. Elle évolue encore quand MacSon surprend la Métisse à enseigner la religion catholique à ses enfants et qu‘il la jette à la porte. Elle est recueillie par les Lorrain. D’ailleurs François découvre cette femme qui lui fait oublier Esther. Mais la Métisse ne le voit pas : elle est inconsolable, pleurant la perte de ses enfants. Chez les MacSon, depuis son départ, tout va mal, à commencer par les deux petits qui dépérissent. MacSon a engagé un Suédois, ivrogne et vulgaire, pour l’aider dans ses récoltes. Ce dernier a fleuré la bonne affaire : il veut épouser la fille de MacSon, espérant hériter de la terre à moyen terme. Par ailleurs, il convainc MacSon d’épouser la Métisse.

Leur plan ne fonctionne pas. Le Suédois, pour plaire à MacSon, lui propose de le débarrasser du Français. Ils veulent le faire périr dans l’incendie de sa maison. Mais Ésther entend la conversation et avertit François qui les attend avec un fusil. Un coup de feu atteint le Suédois et, plutôt que de le secourir, l’Écossais fuit. Pour se venger, le Suédois, avant de mourir, accuse MacSon de l'avoir tué. Grâce au Français et à Esther, Macson est innocenté. Esther tombe malade et meurt. Son père boit de plus en plus. Et puis un jour, on le retrouve mort, transpercé par une fourche. Suicide ou accident? La Métisse se retrouve seule avec les deux enfants MacSon. Le Français la demande en mariage, mais elle refuse, du moins pour l’instant, voulant se consacrer entièrement aux deux enfants.

Ce roman a eu un grand succès populaire si j’en juge par mon édition : le tirage du roman aurait atteint le quinzième mille, trois ans après sa parution. C’est facile à comprendre : les éléments classiques du roman populaire sont mis en œuvre. Un homme brutal, méchant, et une femme courageuse, complètement sans défense, prête à tout endurer par amour des enfants. Le bourreau et la victime. La méchanceté et la bonté. On peut aussi y voir le symbole de la lutte des Métis contre l’oppresseur anglais. David contre Goliath. Disons, en plus, qu’il est plein de rebondissements, souvent annoncés à l’avance, qui tiennent le lecteur dans l’expectative. Féron utilise un style plutôt fleuri qui nous semble d’une autre époque, surtout dans les descriptions. Le travail d’édition du roman laisse à désirer : mots mal employés, fautes de français, coquilles. Il se lit encore très bien.

Jean Féron (pseudonyme de Joseph-Marc-Octave Lebel, 1881-1955) va connaître beaucoup de succès dans les années 20. Il est l’auteur vedette de la maison Edouard-Garand, un éditeur de littérature populaire qui, dans sa meilleure année, soit 1931, fera paraître 31 titres. Garand publie des essais, du théâtre et des romans.  Certains sont imprimés sur deux colonnes dans des fascicules d’une soixantaine de pages, avec des titres et des illustrations aguichantes. On y trouve même quelques encarts publicitaires. Avec La Métisse, Garand inaugurait  une nouvelle collection dans laquelle il offrait en format livre les fascicules qui avaient connu le plus de succès (voir la quatrième de couverture).

Édition de 1923 dans la collection
«Le roman canadien»
Extrait
Cette femme, que nous venons d'entrevoir, se détache en une silhouette singulière. Sa vue frappe de suite l'étranger; il la regarde attentivement comme avec une sorte de crainte mystérieuse. Cette physionomie imprévue semble l'étonner d'abord, le fasciner ensuite. Car cette femme ne ressemble à aucune autre femme par l'expression de sa figure. Elle apparaît comme une créature étrange et étrangère à ce monde. Elle repousse et attire tout à la fois. Il s'en dégage comme un fluide inconnu, mystérieux, qui inquiète. Ce n'est pas un monstre de laideur, ce n'est pas une beauté éclatante. Ses yeux très noirs attachent, mais leur éclat, allié à l'expression vague, sinon froide, de ses traits, écarte. Ni méchanceté, ni hauteur, ni mépris; mais un quelque chose d'incertain qui semble dire : "Ne m'approchez pas ! "Néanmoins, dès qu'on est devenu familier avec cette figure immobile, ces grands yeux étincelants, immobiles aussi, qui vous regardent avec une fixité singulière, cette figure très ovale, très brune, presque cuivrée, aux traits raidis, avec des lèvres toujours pâles, sèches, qui se serrent l'une sur l'autre... figure qu'on croirait sculptée dans un bloc de bronze... On finit par découvrir, jaillissant des yeux arrondis, certains effluves si doux, si pleins de bonté, de compassion, de fidélité, qu'on en demeure tout impressionné. Et, plus tard, lorsque les deux lèvres minces et blêmes s'écartent légèrement pour exprimer un sourire, ce sourire a une grâce, il revêt un charme, il ébauche une caresse, qui efface de suite l'impression peu sympathique du premier abord.


Lorsque, tout à l'heure, nous avons dit "une jeune femme", nous n'avons pas voulu faire entendre qu'elle fût la maîtresse de la maison, c'est-à-dire la femme du fermier. Ce n'est qu'une servante, une pauvre domestique de ferme, une femme à tout faire.


Héraldine Lecours est une orpheline issue de parents métis. Son père, Canadien de la province de Québec, venu dans sa jeunesse au Manitoba pour s'établir, avait épousé à Winnipeg une métisse. Unique infant de ce mariage, elle avait été placée dès l'âge de dix ans dans un pensionnat où elle avait reçu une sérieuse éducation. A dix-huit ans elle perdait son père, à vingt ans, sa mère, et le jeune fille, sans argent, sans bien aucun, se fit institutrice pour subvenir à son existence. Durant huit ans elle fit la classe aux petits enfants de sa race. Malgré les statuts scolaires qui prohibaient l'enseignement de la langue française, elle apprit à ses petits l'histoire de leur pays et ne cessa les instruire dans leur langue maternelle, ne consacrant à la langue anglaise que peu de temps. À diverses reprises des inspecteurs d’écoles lui donnèrent des avertissements sérieux; elle n’y prit garde. Enfin, elle fut menacée de destitution. C’est alors qu’elle répondit fièrement :


- C’est à des petits Canadiens français que je fais la classe, et non à des sauvages! Elle fut destituée. (p. 10-12)

Lire sur Jean Féron
Voir aussi l'article de Maurice Lemire dans le DOLQ

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