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20 juin 2007

La Randonnée passionnée

Marie Le Franc,
La Randonnée passionnée, Montréal, Fides, collection du Nénuphar, 1961, 159 pages (1re édition : Paris, Firenczi, 1936, 248 pages) Préface d’Alfred Desrochers. Ce roman est d’abord paru sous forme de nouvelle dans Visages de Montréal (Montréal, Éditions du Zodiaque, 1934, 236 p.)


Philippe Jarl, mal marié, trois enfants, médecin, professeur d’uni, se voit offrir une excursion dans le haut Saint-Maurice. Il pense en profiter pour mener quelques études scientifiques. Il loue les services d’un guide, le métis Donat Petikwi, garde-feu du camp Wasko et garde-chasse, et s’enfonce dans la forêt pour deux semaines, couchant sous la tente, ou des abris temporaires disséminés sur le territoire, remontant des rivières, traversant des lacs. Il découvre la grande nature, sa vie mystérieuse, le combat entre les éléments naturels, mais aussi des gens : Autochtones, Métis, garde-feu isolés dans leur postes, bûcherons, travailleurs de pourvoirie.

Aux termes des deux semaines, il s’attarde au camp Wasko, rencontre le Chef Grey Héron, chef de tous les garde-feu de l’International pulp and paper, et sa fille adoptive, Dorée, la « princesse des bois » qui habitent de l’autre côté du lac Grand Manouan. Philippe se perd en forêt, gravit avec Donat et Dorée un petit mont en pleine nuit, etc.

Finalement, l’heure du départ sonne : Jarl se rend à la Tuque et de là, descend le Saint-Maurice en canot. Mais il ne rentre pas chez lui. Il décide d’aller rendre visite à son vieux père sur l’île Bonaventure. Il fait une excursion de pêche de deux jours dans la région de Miscou.

Le dernier chapitre nous ramène aussi à Bonaventure, deux ans plus tard : Jarl y habite avec sa femme et ses enfants. Le couple semble avoir retrouvé une certaine entente.

L’intrigue n’est pas très bien menée. Les informations nous parviennent au compte-goutte. Les déplacements spatiaux et l’écoulement du temps ne sont pas clairs. Trop de descriptions au début au lieu de nous camper les personnages et l’intrigue.

Histoire d’un homme à la recherche de lui-même, de ses origines et qui les découvre par le biais de l’aventure en forêt. Il apprend à voir différemment sa relation avec sa femme, sa vie familiale. La forêt le réconcilie avec son univers domestique.

Mythe de la forêt : elle est le domaine de l’aventure, des coureurs de bois, elle envoute (souvent comparée à une femme) mais en même temps elle est cruelle. C'est la grande nature indomptée, indomptable. On connaît l’amour de Marie le Franc pour la forêt laurentienne, qu’elle parcourait avec des guides. Cela transparaît dans son roman.

Si l’intrigue était mieux développée, ce serait un magnifique roman. ***½

Extrait

Le repas fini, Donat éteignit le feu, avec un soin qui rappela à Jarl qu'il était, en même temps que guide, un forestier au service de l'International Pulp & Paper : le gardien de la tour 4l, et ils reprirent la rivière.

Ou plutôt, la rivière les reprit. Le canot glissa dessus avec la facilité d'une herbe. Eux-mêmes faisaient corps avec lui. Il représentait à leurs flancs une nageoire, un aileron qui les transformait en dieux marins. A travers sa mince membrure, ils sentaient l'eau gonflée se déchirer sous son âpre caresse et se refermer silencieusement. Elle offrait aux yeux hypnotisés toutes sortes d'images, et on pouvait lire à la surface le dessin de la flore et de la faune nordiques: bouquets cireux de fleurs-fantômes, feuilles de nénuphars où rêvassent au clair de lune les crapauds-buffles. On eût dit que les semelles des mocassins qui la parcouraient à la saison des glaces y avaient laissé des empreintes flottantes, les ours de longues traînées griffues et les aurores boréales leurs reflets fugaces. Ou bien était-ce la pagaie qui dessinait toute cette fantasmagorie, y compris les miroirs brisés où l'homme voyait se refléter ses fragiles caprices ?

La forêt bannissait la femme et son image. Elle n'était que mâles suggestions, inspiratrice d'ardeurs, de joutes, de combats et de complots virils, de cruautés millénaires. De la ceinture puissante des mélèzes, les branches pendaient ainsi que des scalps, et les troncs des bouleaux étaient des torses nus d'adolescents qui prenaient conscience de leur virilité. Un pin solitaire se tenait penché sur une hauteur, les bras en avant, pareil à un skieur qui va prendre son élan dans le vide. Jarl s'identifia à lui.

Vers le soir, Donat examina longuement la rive, d'un regard où se lisait la sagacité indienne. Une pointe présenta un étroit plateau aux touffes de myrtilles. Il la choisit pour y dresser la tente.

Jarl abattit les mâts de sapin avec une force qui ne se possédait plus. Il pouvait enfin exercer le besoin de destruction et de ravage qui sommeille au fond du cœur de l'homme. Il faisait tournoyer sa hache comme si l'incendie eût couvé dans les entrailles de l'ombre. Il devenait le pionnier des forêts, l'ancêtre défricheur. De temps en temps, il levait les yeux vers les mamelons poilus des coteaux et redressait sa poitrine. Son regard rencontrait celui de l'eau, en lame acérée comme le sien. (p. 18-19)


Marie Le Franc sur Laurentiana
Hélier fils des bois

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