Louis Fréchette, Félix Poutré, Montréal, Lemeac, 1974, 134 pages. (Collection « Théâtre canadien ») (Avant-propos de Pierre Filion) (Créée le 22 novembre 1862, à la Salle de Musique, rue Saint-Louis à Québec) (En annexe, de larges extraits de : Félix Poutré, Souvenirs d’un prisonnier d’État canadien, 1838) (1re édition : Montréal, Beauchemin, 1871)
Félix Poutré n’est pas un personnage fictif. Il a pris part à la Rébellion. Il a même écrit ses mémoires, livre qui l’a rendu célèbre et dont Louis-Honoré Fréchette s’est largement inspiré pour écrire son drame patriotique. Selon Filion, le rédacteur de l’avant-propos, le jeune Fréchette « reprend des pages entières, ne changeant qu'un mot, une tournure, un pronom, isolant des scènes ou en inversant d'autres, mais en respectant scrupuleusement la diégèse première ». Or ce Félix Poutré loin d’être un héros était un traître, ce qui ne fut divulgué qu’après sa mort en 1885. (Voir la biographie de Poutré). À ce moment, Fréchette interdit la réédition de la pièce.
La pièce débute comme un drame et se termine comme une farce. L’action a lieu en 1838, lors de la deuxième phase de la Rébellion. Lors d'une rencontre secrète, Cardinal, Duquette et d’autres patriotes discutent de la situation, de la levée des troupes et, surtout, des armes qui doivent leur parvenir des États-Unis. Cardinal confie à Félix Poutré une double tâche : « 1. organiser des comités qui deviendront des compagnies plus tard; 2. lever autant d'argent que possible pour l'achat des armes qu'il nous faut. » Or, il se trouve un traître parmi eux : Camel. Il a juré d’avoir la tête de Poutré.
Après l’échec d’Odeltown, et compte tenu que les armes qu’on leur avait promises ne sont jamais arrivées, les patriotes se sentent trahis et abandonnés par leur chef, le Docteur Côté. C’est le sauve-qui-peut général. Le traître Camel et les soldats anglais sont à leurs trousses. C’est la déception. On remet même en cause l’intégrité des têtes dirigeantes, ici le Dr Côté : « Le traître!... Écoutez-moi, mes amis, vous allez voir jusqu'où peut aller la perfidie d'un homme! Vous savez toutes les belles promesses qu'il nous avait faites... Et bien, après les désastreuses attaques d'Odeltown, je me rendis à Napierville, chez le Dr Côté, et je lui demandai si nous n'allions pas avoir des armes, et surtout des canons. Que voulez-que nous fassions, lui dis-je, sans canons, pour déloger cette canaille-là de l'église? Si nous n'avons point d'armes, mieux vaut tout abandonner. Quoiqu'il essayât de faire bonne contenance, je vis bien à son expression embarrassée qu'il n'avait rien de bon à m'apprendre, et je commençai à me douter que quelque chose n'allait pas bien. Il me dit de revenir le voir. Je le quittai assez mécontent. Nous allons voir ce que l'on va me dire ce soir, me dis-je à moi-même. Il est temps que ces bêtises-là finissent. Aller se battre contre des murs avec des balles!... Mais nous y serions encore dans deux mois... Si nous eussions eu seulement deux petits canons!... Et dire que depuis plus d'un mois on nous promet des armes! Et qu'au moment critique, il ne nous est pas encore venu un seul fusil... Et tous ces braves gens confiants et honnêtes qui sont là compromis par des fous ou des traîtres! »
Les scènes suivantes ont lieu à la prison de Montréal. Après que Cardinal et Duquette aient été pendus, Félix Poutré est à peu près sûr que sa dernière heure arrivera bientôt. Il a l’idée d’un subterfuge pour tromper tout le monde (sauf son ami Béchard à qui il se confie) : il simule la folie. Ici le drame devient comédie à cause des frasques invraisemblables de Poutré. Dans les quelques lignes qui suivent, il s’adresse à ses compagnons de cellule : « FÉLIX ─ Ah! mes drôles!... Ah! mes coquins!... Ah! mes vauriens!... (Tous se sauvent.) Bon! essayez maintenant à regimber!... Vous allez voir à qui vous avez affaire! Je vous avertis que j'ai reçu des leçons de Sa Majesté la Reine, qui n'a pas son pareil pour la boxe... Il faut que les affaires changent... je ne suis pas gouverneur pour rien, et je vais vous montrer comment un officier du gouvernement sait se faire respecter... D'abord vous allez faire l'exercice... prenez vos fusils, ho!... Allez-vous obéir? nom d'un million de biscaïens!... » Il malmène tout le monde, y compris ses geôliers, le docteur anglais qui l’examine et même monsieur le juge. Sous le couvert de cette « folie douce», il se permet de ridiculiser les Anglais. À la fin, ceux-ci n’en pouvant plus décident de le libérer.
Fréchette (ou Poutré lui-même) nous montre que la ferveur patriotique est desservie par la morgue des dirigeants (Nelson et Côté) qui sont prêts à envoyer des hommes à l’abattoir pour une cause. Par ailleurs, Fréchette dénonce la cruauté des châtiments anglais : « FÉLIX ─ Mes amis, écoutez-moi. Deux hommes irréprochables dans leur conduite personnelle, deux hommes universellement estimés et respectés, deux nobles cœurs et deux citoyens dévoués, viennent de subir le sort des criminels, des voleurs et des meurtriers! L'affreuse réalité est là devant nos yeux. Deux de nos amis viennent de nous être arrachés et d'être immolés à des vengeances de partis; car il y a si peu de crime réel dans une tentative d'insurrection, que le gouvernement anglais sera tôt ou tard obligé, par la seule force des choses et de l'opinion, de réhabiliter ces victimes d'une atrocité presque sans exemple dans l'histoire des peuples. Des exécutions pour cause purement politique sont, à tous les points de vue possibles, de vrais meurtres, des cruautés inexcusables, et le gouvernement qui les ordonne reste plus déshonoré que ceux qui les subissent. Mais consolez-vous, amis; Cardinal et Duquette, et tous ceux qui auront l'honneur de les suivre sur l'échafaud seront toujours regardés comme des martyrs de la liberté, puisqu'ils auront sacrifié leur vie à leurs convictions, et le procureur général Ogden, le véritable auteur de ces meurtres, restera pour toujours cloué au pilori de l'histoire, et voué à l'exécration publique, pendant que des monuments de sympathie et de deuil national s'élèveront à ses victimes! Mes amis, admirons le courage stoïque avec lequel nos compagnons viennent de subir le dernier supplice, et, s'il nous faut nous soumettre au même sort, jurons tous de mourir comme eux le front haut et le mot de liberté sur les lèvres. »
La pièce n'est pas sans intérêt. Dans la seconde partie, un bon comédien pourrait sans doute conquérir une salle avec les frasques de Poutré. L’aspect historique de la pièce n’est pas négligeable, ne serait-ce qu’il nous pousse à replonger dans la petite histoire de la deuxième insurrection.
Louis Fréchette sur Laurentiana
Mémoires intimes
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