8 décembre 2006

L’homme tombé

Harry Bernard, L’homme tombé, Montréal, s.n., 1924, 173 pages


L’Homme tombé… c'est Étienne Normand, un jeune médecin idéaliste, qui abandonne un à un tous ses projets, parce qu’il est incapable de s’opposer aux ambitions frivoles de sa femme.

L’action se déroule à Saint-Hyacinthe. Étienne Normand, fils d’un riche industriel, s’amourache d’une fille de manufacture, Alberte Dumont. Tous les gens lui déconseillent de l’épouser ; il passe outre. Il déchante assez vite toutefois. Ils ont un enfant dont sa femme ne s’occupe guère. En effet, Alberte, complexée, mal adaptée au milieu bourgeois, a réalisé peu à peu que, pour s’imposer dans ce monde, elle devait user de la richesse de son mari. Ce qu’elle fait. Elle organise des bals, participe aux œuvres caritatives, force son mari à acquérir une auto, voyage jusqu’à Boston… et finit par être acceptée par les autres bourgeoises oisives qui mènent la grande vie. Son mari, lui, travaille même si l’argent hérité de son père décédé lui permettrait une retraite dorée.

Un jour vient, où la petite ville de Saint-Hyacinthe est devenue trop petite pour Alberte. Elle veut déménager à Montréal. Étienne, qui n'a jamais cessé d’acheter la paix en cédant à tous ses caprices, cède encore. Il consent à abandonner une profession qu’il aime pour se vautrer dans cette vie facile qui lui tend les bras. Il est prêt à rompre avec tous ses idéaux de jeunesse. C’est la dégénérescence morale complète.

Harry Bernard décrit la descente aux enfers d’un homme qui ne sait pas, par faiblesse, conserver une certaine éthique et ses idéaux de jeunesse. Il critique cet homme mou et cette femme vaniteuse et superficielle. Pourtant, à côté de celle-ci, qui présente une image négative de la femme, il y a la sœur et la mère du médecin qui sont des personnages féminins très dignes. Ce roman, qui décrit la déchéance de la petite bourgeoisie canadienne-française, annonce Les Demi-Civilisés de Jean-Charles Harvey ou même Poussière sur la ville d'André Langevin.. Par ailleurs, il est facile d’y voir l’influence de Lionel Groulx et de L’Action française. ***

Extrait
« C'est Alberte qui avait raison ! Elle était une nature plus simple que lui. Elle répondait normalement à ses impulsions et à ses besoins, ne les contrariait pas. Les idées, qu'est-ce que cela valait en définitive? Quoi de plus vain que l'homme et ce qui vient de l'homme ? Il n'avait pas de génie, il n'était qu'une créature humaine comme il en pullule sur les faces de la terre. Que pouvait-il, individu isolé, avec sa seule intelligence, sa volonté, son énergie ? De quel poids était-il dans l'univers ?

Il y avait son pays ! mais cette pensée ne le faisait plus vibrer comme autrefois. Il avait vécu, avait appris à pénétrer la réalité des choses et le sens des mots. Les Canadiens-français, ceux de sa race, mouraient un peu plus chaque jour. Ils se laissaient fondre et s'anéantir dans la vague saxonne qui les encerclait. L'inutilité de l'effort était de plus en plus évidente. Les traces d'une culture française devaient fatalement disparaître de ce continent d'Amérique. On pouvait retarder l'échéance, on n'y échapperait pas. Non seulement les Canadiens ses frères ne croyaient plus en l'avenir, mais ils rougissaient de leur origine. Ils étaient fiers de passer à l'ennemi, dont ils adoptaient la langue, les coutumes, la mentalité avec joie. La fierté nationale n'existait pas. Plusieurs, il est vrai, essayaient de résister à l'envahisseur; on enregistrait ça et là des sursauts de vie. Mais qu'étaient les efforts individuels comparés à la débandade de la collectivité, de toutes ces forces qu'il eût fallu coordonner dans la poursuite d'un commun idéal ?

- Peuple vaincu, concluait Etienne, peuple vaincu !

Peuple vaincu et qu'on a trop longtemps tenu sous le joug! Peuple gagné par l'éblouissement de la civilisation matérielle étalée autour de lui. Peuple abandonné à ses seules énergies, en qui l'âme latine s'efforce de survivre, harcelée par l'infiltration étrangère et résistant à cause de l'hérédité de croyance, de tradition, d'aspirations accumulées durant trois siècles de souffrance. Mais pour un Canadien qui luttait, pour un qui gardait foi en l'avenir et en la survie de la race, il y en avait cent, mille qui n'y pensaient même pas, dont l'attention ne s'était jamais arrêtée à la pensée d'une unité nationale. Le sens d'une individualité ethnique n'existait pas. On s'abandonnait progressivement à l'ambiance, on se laissait circonscrire par les influences qui nous étaient le plus manifestement nocives. La réaction était sans force. Nous mourrions avec délices, de la plus lâche des morts: celle par inanition. » (p. 160-161)

Harry Bernard sur Laurentiana

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