Il n’a pas de nom, seulement des surnoms. Il est tantôt Venant, le Survenant, « Fend-le-vent », tantôt le « Grand-Dieu-des-routes », le « beau faiseux d’almanach », le « beau marle ». Privé de nom véritable, il s’impose pourtant avec force à ce petit milieu fermé. Il trouble hommes et femmes, force tout un chacun à prendre conscience de ses valeurs, à mesurer son adhésion à un mode de vie séculaire.
Que sait-on de lui ? Lui-même laisse filtrer peu de choses. Un de ses ancêtres était un Petit dit Beauchemin, ce qui l’apparente peut-être à Didace. Il a beaucoup voyagé, il a déjà travaillé dans les chantiers du Maine, il parle l’anglais, il a eu quelques aventures amoureuses ou une aventure déterminante, il est croyant comme en témoigne le petit crucifix qu’il porte. On constate aussi qu’il est très fort, qu’il manie le verbe avec une telle facilité qu’il en impose à tout le monde et même à Didace, qu’il aime bien faire la fête, qu’il est plutôt porté sur la bouteille.
Que pense-t-on de lui ? C’est sans doute Didace qui le tient en plus haute estime : « Son regard de chasseur qui portait loin, bien au-delà de la vision ordinaire, pénétra au plus profond du cœur de l’étranger comme pour en arracher le secret. Sous l’assaut, le Survenant ne broncha pas d’un cil, ce qui plut infiniment à Didace. » Assez rapidement, Didace découvre qu’il partage beaucoup de valeurs avec le Survenant : curiosité, exaltation de la force physique, bon conteur, chasseur émérite, refus d’une certaine rigidité… L’amitié entre les deux grandit tant et si bien que Didace en vient à le considérer comme son fils lorsqu’il se bat avec Odilon. On découvre même, à la fin du roman, lorsque Didace va consulter le curé à propos de son mariage, que l’idée du Survenant a préséance sur celle du prêtre.
Béatrice Picard et Jean Coutu Angélina et le Survenant dans le téléroman |
Bien entendu, il faut accorder une attention spéciale au portrait que l’auteure nous présente à travers les yeux d’Angélina. C’est une femme amoureuse qui regarde, à n’en pas douter. Pour elle, le Survenant est un personnage hors du commun, plus grand que nature. Il porte la tête « pareil à un chêne », sa chevelure est « pire qu’un feu de forêt » et tranche sur « le rideau de ciel pur », son rire s'échappe « en cascades comme l'eau impatiente d'une source », résonne « de partout, aussi sonore que la Pèlerine », sa main ressemble à une étoile. Ces comparaisons, empruntées à la nature et au règne céleste, hissent le personnage au rang des héros, des demi-dieux.
On ne peut pas dire que le Survenant soit un nomade sans appel. Il est tenté de s’intégrer à ce milieu. Son amour pour Angélina semble sincère : « Angélina embellissait. L'amour la transfigurait. Il ne l'avait pas remarqué auparavant. Cette fille farouche et pure [...] lui rappela soudain le raisin sauvage qu'il avait cueilli le soir de son arrivée au Chenal. Avant de frapper à la porte des Beauchemin, il avait vu une vigne chargée de raisin noir [...] L'âpreté du fruit lui avait d'abord fait rejeter au loin la première grappe, puis peu à peu il s'était mis à en manger, y prenant goût et sans parvenir à s'en rassasier. » Alphonsine a sa tasse, Amable sa berceuse, le père son fauteuil. Lui, il se fabrique une chaise, symbole d'enracinement. D'ailleurs, celle-ci jouera un rôle dramatique à la fin du récit : exaspéré d’entendre les habitants du Chenal déjà médire sur l'Acayenne qu'ils n'ont jamais vue, il se désolidarise du groupe. « Soudainement il sentit le besoin de détacher sa chaise du rond familier. » Dès lors, on peut comprendre qu'il va partir.
Sa philosophie pourrait tenir en trois points. Premièrement, il faut éviter la routine et rester disponible pour l'inconnu, quel qu'il soit, comme le souligne le passage le plus célèbre du roman, « l'hymne à la route » : « Vous autres, vous savez pas ce que c'est d'aimer à voir du pays, de se lever avec le jour, un beau matin, pour filer fin seul, le pas léger, le cœur allège, tout son avoir sur le dos ». Deuxièmement, il faut se soustraire aux contraintes du milieu : « S’il reste, c'est la maison, la sécurité, l'économie en tout et partout, la petite terre de vingt-sept arpents, neuf perches, et le souci constant des gros sous [...] Puis la contrainte et les questions [...] L'étouffement, l'enlisement. » Troisièmement, on doit s'engager ne serait-ce que dans l'éphémère : il sera fidèle et loyal à Didace et Angélina durant son passage au Chenal du Moine : « rien qu’un survenant... rien qu’un survenant... mais je respecte votre maison... je respecte le père Didace... »
Force de la nature, bon agriculteur, chasseur émérite, deux fois marguillier, ancien conseiller, et pourtant il n’est pas sûr d’avoir répondu entièrement aux attentes des Beauchemin qui l’ont précédé au Chenal du Moine. Malgré son amitié pour le Survenant, jamais il ne remet en question les traditions, son mode de vie hérité des générations qui l’ont précédé au Chenal du Moine. « Le malheureux qui porte dans son cœur un ennui naturel, s'il croit trouver toujours plus loin sur les routes un remède à sa peine, c'est pour rien qu'il quitte sa maison, son pays, et qu'il erre de place en place. Partout, jusqu'à la tombe, il emportera avec soi son ennui. »
Il incarne le père, l’autorité. D’ailleurs, on l’appelle le « père » Didace, titre qui n’est pas dévolu aux Pierre-Côme Provençal et David Desmarais. Il dirige de main de maître la maison et la terre. N’est-ce pas lui qui invite le Survenant à table et qui, plus tard, lui permet de rester ? N’est-ce pas lui qui donne le départ quand vient le temps d’aller travailler ? Pourtant, il est un père frustré. Certes, il a fait fructifier le patrimoine familial, mais il n’a pas assuré la lignée. Et du même coup, il a l’impression d’avoir manqué à son devoir. C’est son obsession à assurer la pérennité des Beauchemin qui explique en partie la sévérité de « Didace, fils de Didace ». D’ailleurs, malgré ses soixante ans bien « sonnés », il n’a pas encore « passé la main » à son fils. Et sa bru, « sans même un petit dans les bras, après trois années de ménage », n’est pas vaillante et n’a guère d’affinités avec le monde rural. Voilà ce qui explique qu’il finit par considérer le Survenant comme son fils, fait particulièrement évident quand ce dernier se bat contre Odilon Provençal lors de la soirée du jour de l’An : « Le vieux se mirait secrètement dans le Survenant. Ah! Qu’il eût aimé retrouver en son fils Amable-Didace un tel prolongement de lui-même! » Voilà aussi ce qui dicte en partie sa décision d’épouser l’Acayenne. Ne pourrait-il pas, à la place de son fils, de nouveau être père ? Du fait même n’usurpe-t-il pas la paternité de son fils ?
Mais un « vrai » Beauchemin n’est pas qu’un paysan rivé aux travaux champêtres. Déjà son nom est une invitation au départ. De plus, la terre n'exerce pas sur Didace cette souveraineté qu'elle a sur les autres terriens du roman. Par exemple, il la délaisse pour aller à Sorel ou encore à la chasse. Le fusil, symbole de l'ancien coureur de bois, est « à l'honneur dans la maison ». On peut même voir en lui un délinquant : il braconne au vu et au su du garde-chasse, il encourage pour ainsi dire le Survenant à boire, il l’accompagne dans ses virées à Sorel, il épouse une étrangère envers et contre tous.
En somme, c’est un personnage qui incarne cette dualité, celle des premiers Canadiens : à la fois nomade et sédentaire, partisan de l’idéologie de conservation plus par conditionnement que par adhésion sentie.
Angélina est aussi un personnage de rupture. Bien sûr, on peut la camper dans son rôle de vieille fille, un peu aigrie, avare et desséchée, plus portée sur les prières que sur les plaisirs. Le portrait serait encore plus terne si on s’attarde à son physique : « Un teint cireux et une allure efflanquée la faisaient ressembler à un cierge rangé dans la commode depuis des années. » En outre, elle semble portée sur les traditions : à ce propos, la visite qu’elle fait aux Beauchemin, au début du roman, est assez significative. Elle est mécontente de trouver les Beauchemin « encabanés » avant la Toussaint : « La bru Alphonsine n'avait pas raison d'agir autrement. Si le fait de s'écouter, d'être peu dure à son corps, et gesteuse, donne à une femme le droit de déranger l'ordre des choses, autant prendre le deuil de tout. » Mais on aurait tort d’en rester à cet aspect de sa personne. Contrairement à Maria Chapdelaine, elle refuse de s'effacer comme femme pour devenir une mère. Elle renvoie tous les « bons partis » qui se présentent et leur préfère un vagabond. Tous les prétextes sont bons pour venir écouter le Survenant ; mêmes les railleries de ses soupirants éconduits ne l’arrêtent pas. Plus encore, elle sera l’instigatrice de la relation amoureuse. Elle est prête à suivre cet étranger « pas à pas comme son ombrage » et admet : « je sais pas si j'aurais eu quoi à lui refuser ». Or, dans ce milieu paysan, une femme ne s’accomplit vraiment que dans la maternité vécue dans le mariage. Notons aussi qu’elle est le seul personnage du roman qui semble avoir une vie intérieure, voire intellectuelle. Il faut voir sa capacité d’évolution, caractéristique assez rare au Chenal du Moine. N’est-ce pas cette raison qui pousse le Survenant à la choisir parmi toutes les filles du Chenal-du-Moine ? Bref, c’est une femme fortement conditionnée par son milieu, qui ne trouve pas son compte dans ce monde rude où les géraniums de collection et les livres ne sont tout au plus que des divertissements féminins.
Amable
Amable est un personnage antipathique. Héritier du bien paternel, maillon de la lignée des Beauchemin, voilà qui semble trop pour ses frêles épaules : « Amable-Didace, le sixième du nom, ne serait jamais un vrai Beauchemin, franc de bras comme de cœur, grand chasseur, gros mangeur, aussi bon à la bataille qu'à la tâche, parfois sans un sou vaillant en poche, mais avec de la fierté à en recéder à toute une paroisse. » Quand Venant arrive, tout est à l’abandon. Il est bien difficile de lui trouver des qualités. Sa faiblesse physique, sa mauvaise santé ne sauraient servir d’excuses. Non seulement il n’assume pas son ascendance Beauchemin (vaillant, fier et bon vivant), mais il ne semble porté par aucune ambition. « Toi t’es né ta vie toute gagnée, fils d’un gros habitant », lui lance le Survenant. D’une certaine manière, il est la preuve vivante du déclin d’un système qui a assez duré : tôt ou tard, l’œuvre de tant de générations, créée dans l’effort, est achevée et les descendants n’ont plus qu’à en profiter. Selon le Survenant, il est « pareil à la fourmi qui se défait de ses ailes quand elle a assuré sa vie ». Amable devient franchement antipathique dans sa guerre larvée qu’il mène au Survenant. Complètement fermé, il aime mieux se dire que le Survenant n’est qu’un « beau marle qui chante pour mieux les endormir ».
Phonsine
Phonsine est très fragile, mal adaptée à la rudesse du monde paysan. Le récit s’ouvre sur un souper dans lequel elle se démarque des autres personnages. Contrairement aux hommes qui boivent dans des tasses de faïence, elle boit par petites lampées dans une tasse de fantaisie. Précieuse elle l’est sans doute. Le Survenant découvre qu’elle mène une double vie, qu’elle pratique des petits travaux d’aiguille, bref qu’elle n’a jamais totalement quitté le monde du couvent, de la bourgeoisie soreloise qu’elle a côtoyée sans jamais y être entièrement acceptée. D’ailleurs, comme on l’apprendra plus loin dans le roman, son statut d’orpheline et le rejet social qui en a découlé sont à l’origine de l’acquisition de cette tasse dans une kermesse à Sorel. En fait, il est facile de voir qu’elle n’a jamais véritablement adhéré aux valeurs du Chenal du Moine, qu’elle est « plutôt faite pour porter de la dentelle et de la soie que de servir les autres ». Ce milieu patriarcal, par sa stabilité, n’a comblé que son besoin maladif de sécurité. « ...elle se rasséréna comme l'oiseau, la tête blottie sous l'aile maternelle, dans la simple joie de la sécurité. » Et cet équilibre demeure précaire comme en témoigne l’annonce de l’arrivée de l’Acayenne. « Soudain, il lui vint une telle angoisse que son cœur se trouva tordu de chagrin ; elle connut une si grande détresse que son âme fut noyée de découragement. »
Pierre-Côme Provençal
Pierre-Côme Provençal est à la fois le maire, le marguillier et le garde-chasse. En plus, il s’enorgueillit de ses fils qui n’attendent que le moment venu pour prendre la relève. C’est un personnage complètement voué à son patelin qu’il dirige d’une main ferme. Il manigance pour s’attirer les votes, il essaie de pousser Odilon dans les bras d’Angélina pour obtenir la terre des Desmarais, il se permet même de lorgner la terre de Didace. Et sa femme semble l’appuyer : n’est-ce pas elle qui donne la permission de prendre une liqueur lors d’une veillée? On le craint : « Qu’est-ce que va dire Pierre-Côme Provençal ? » se demande Phonsine. Il voit d’un mauvais oeil le Survenant, non seulement parce que ce dernier incarne des valeurs diamétralement opposées aux siennes, mais aussi parce qu’il lui fait ombrage. Le Survenant tient son pouvoir non pas d’une quelconque richesse ou d’un poste social mais du charme qui émane de sa personne et de l’effet de nouveauté que représentent ses valeurs dans ce milieu. Lors des soirées, Pierre-Côme se tient à l’écart, enregistre, puis s’efforce de détruire les paroles du Survenant.
Marie-Amanda
C’est la « vraie femme d'habitant », ce que ne sont pas Phonsine et Angélina : « Les femmes de la famille Beauchemin, depuis l'ancêtre Julie, puis ses tantes, puis sa mère, puis ses sœurs, sa femme ensuite jusqu'à sa fille Marie-Amanda [...], de vraies belles pièces de femmes, fortes, les épaules carrées, toujours promptes à porter le fardeau d'une franche épaulée, ne s'essoufflant jamais [...] Elles ont toujours tenu à honneur de donner un coup de main aux hommes quand l'ouvrage commande dans les champs. Et un enfant à faire baptiser presquement à tous les ans. »
La maison est un prolongement de la femme. On la juge à sa façon d'entretenir sa maison. Depuis la mort de Mathilde, Didace fuit la maison. Quand Marie-Amanda vient aider aux préparatifs des Fêtes, « la maison recouvr[e] vraiment le don ».
La femme est un phare, une consolatrice : « Marie-Amanda ne sait pas seulement assaisonner le manger, bien tenir une maison et élever une famille. Marie-Amanda est semblable à un phare, haute, lumineuse et fidèle, toute blanche de clarté, elle se dresse au milieu de la nuit et de la tempête des êtres pour indiquer à chacun la bonne route. »
Marie-Amanda, comme l’enseignait l’Église, prêche l'amour-résignation, le sentiment d’abnégation : « Aimer, ma fille, c'est pas tant d'attendre quoi que ce soit de l'autre que de consentir à lui donner ce qu'on a de meilleur. » La « vraie » mère renonce à ses propres aspirations au profit des siens. Et de même il en va de la « vraie » femme pour son mari.
ORGANIGRAMME
Voir aussi :
Résumé du roman
Une biographie de Germaine Guèvremont
La littérature du terroir au Québec
Us et coutumes dans Le Survenant
Le lexique
Au fil des saisons
Les personnages
Les thèmes
Les coupures dans Le Survenant
Une biographie de Germaine Guèvremont
La littérature du terroir au Québec
Us et coutumes dans Le Survenant
Le lexique
Au fil des saisons
Les personnages
Les thèmes
Les coupures dans Le Survenant
Dissertation (Le Survenant)
Génial!
RépondreEffacerGénial
RépondreEffacerAnalyse très juste! Merci!
RépondreEffacerWow, beau travail. Très détaillé!
RépondreEffaceril manque Eugène Salvail dans l'organigramme, c'est le benjamin de la famille Salvail
RépondreEffacerBravo!
EffacerMerci à la personne qui a fait ce blog cela va beaucoup m'aider pour mon exposé en français.
RépondreEffacerContent que ça vous aide.
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