André Pouliot, Modo Pouliotico,
Montréal, Les éditions de la file indienne, 1957, 44 pages. (Préface de
Jacques Ferron)
André Pouliot (1920-1953) était
traducteur et sculpteur. Ce petit
recueil posthume a été publié grâce à Jacques Ferron qui a écrit la préface
sans la signer (il va la signer dans la seconde édition). Ferron se contente de
présenter l’auteur sans prendre position sur la poésie de Pouliot.
Pourtant il est difficile de
lire ce recueil et de rester neutre. Pouliot va plus loin que Gauvreau dans
l’iconoclasme (sans son génie). Dans le premier poème « Le diable ce soir m’a
visité… » Pouliot reconnait en Lucifer un frère : « Je te
ressemble / Et nous allons bien ensemble. » Voilà qui promet et la suite
sera à la hauteur : « pour oublier que nous sommes / Des bêtes de
somme, / En somme / Des hommes /Qu’on assomme » […] « …faut pas s’en
faire / À la fin de toute cette affaire / Il n’y aura rien d’autre que
l’Enfer. »
« Petit poème en
cul(e) » est dédié « à la Facul-té des rectologistes patentés… ».
Inutile de commenter, le poème parle de lui-même : « Si tu recules /
Et gesticules / J’éjacule / Et macule / Ton réticule ». Jeu verbal sans
doute, mais il faudra attendre la contre-culture avant de lire des auteurs qui
parlent aussi librement de la sexualité. Pouliot ne craint pas d’utiliser le
langage le plus cru, celui qu’on entendait dans les tavernes : « Que
faisiez-vous de mon Sancho? […] / Je le bandais, ne vous déplaise / Vous
le bandiez, j’en suis fort aise / Vu que c’est moi qu’il baise / Allez vous
crosser maintenant ». Plus loin, on a droit à la « La sirène
exacerbée », à la « Suceuse-branleuse bafouée », à
« Sainte-Gonorrhée, patronne des chaudes-pisses », à « La
tribade saphistiquée ». Pas sûr que les femmes — et tout le monde — vont toujours apprécier le
regard lubrique qu’il jette sur elles, des femmes souvent réduites à leur
sexe. J’écris « souvent », parce qu’on trouve deux poèmes dédiés à des jeunes filles enfants, dont « La petite
fille qui regarde passer les pieds », qui reprend le credo de l’absurdité de
l’agitation urbaine. On trouve aussi un « Petit poème auto-matisse »,
en fait un long poème qui constitue surtout une attaque contre la
religion : « L’unique et l’inique Dieu Trine, Latrine et Endocrine /
Éternellement va se masturbant, et sa barbe / Est de sperme Éternel empesée. / Hélas! un
homme ça n’est qu’un homme / Depuis qu'Adam n’a pas digéré la pomme, / Et c’est
pour ça que nous avons des rages d’Adam / Or le Pape Pie-Pie / Qui de son coccyx
exorcise les coccinelles / Bave sur la face macérée du monde ».
Bref, en regard de son époque, ce livre est unique, pour
le meilleur et le pire. Le meilleur étant son côté iconoclaste, le pire étant
que ce même iconoclasme donne lieu à plusieurs jeux de mots tout compte fait
assez faciles.
Il y a beaucoup de commentaires dans le recueil que je possède. Le commentateur (non identifié) semble avoir bien connu Pouliot. Par exemple, on lit sur la page de garde :
« André Pouliot allait
presque tous les soirs chez le docteur Norbert Vézina alors qu’il habitait à
763 Wilder à Outremont. Les conversations duraient jusqu’au petit matin, aidées
par un verre de rhum martiniquais. Assistaient à ces réunions amicales : Stanley
Cosgrove, peintre, … Bouchard, ancien ami puis ennemi de Maurice Duplessis,
professeur à l’Université Laval; Eudore Piché, professeur de philosophie,
jésuite défroqué qui épousa Muguette, l’épouse d’André après son décès. Il est
mort lui-même d’un infarctus du myocarde. Jean-Louis Delorimier, grande gueule
et publiciste; Jacques Tétreault ami; un immigrant hindou qui avait une ?? à un
orteil et on finit par découvrir une tuberculose de l’orteil. Muguette,
première femme d’André, puis épouse, puis veuve d’Eudore Piché.
Au décès d’André, lui qui n’avait pas voulu avoir de funérailles
religieuses et qui voulait être enterré simplement, eut une messe des morts
avec diacre et sous-diacre à la cathédrale et fut ensuite reconduit au cimetière
où il repose dans le caveau de famille de Muguette… À ce sujet Eudore
disait : "Quand je pense que lorsque je mourrai je serai placé dans
le même caveau que lui, cela m’exaspère. " C’est ce qui est arrivé. »
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