1 juin 2018

Modo Pouliotico



André Pouliot, Modo Pouliotico, Montréal, Les éditions de la file indienne, 1957, 44 pages. (Préface de Jacques Ferron)

André Pouliot (1920-1953) était traducteur et sculpteur.  Ce petit recueil posthume a été publié grâce à Jacques Ferron qui a écrit la préface sans la signer (il va la signer dans la seconde édition). Ferron se contente de présenter l’auteur sans prendre position sur la poésie de Pouliot.

Pourtant il est difficile de lire ce recueil et de rester neutre. Pouliot va plus loin que Gauvreau dans l’iconoclasme (sans son génie). Dans le premier poème « Le diable ce soir m’a visité… » Pouliot reconnait en Lucifer un frère : « Je te ressemble / Et nous allons bien ensemble. » Voilà qui promet et la suite sera à la hauteur : « pour oublier que nous sommes / Des bêtes de somme, / En somme / Des hommes /Qu’on assomme » […] « …faut pas s’en faire / À la fin de toute cette affaire / Il n’y aura rien d’autre que l’Enfer. »

« Petit poème en cul(e) » est dédié « à la Facul-té des rectologistes patentés… ». Inutile de commenter, le poème parle de lui-même : « Si tu recules / Et gesticules / J’éjacule / Et macule / Ton réticule ». Jeu verbal sans doute, mais il faudra attendre la contre-culture avant de lire des auteurs qui parlent aussi librement de la sexualité. Pouliot ne craint pas d’utiliser le langage le plus cru, celui qu’on entendait dans les tavernes : « Que faisiez-vous de mon Sancho?  […] / Je le bandais, ne vous déplaise / Vous le bandiez, j’en suis fort aise / Vu que c’est moi qu’il baise / Allez vous crosser maintenant ». Plus loin, on a droit à la « La sirène exacerbée », à la « Suceuse-branleuse bafouée », à « Sainte-Gonorrhée, patronne des chaudes-pisses », à « La tribade saphistiquée ». Pas sûr que les femmes — et tout le monde — vont toujours apprécier le regard lubrique qu’il jette sur elles, des femmes souvent réduites à leur sexe.  J’écris « souvent », parce qu’on trouve deux poèmes dédiés à des jeunes filles enfants, dont « La petite fille qui regarde passer les pieds », qui reprend le credo de l’absurdité de l’agitation urbaine. On trouve aussi un « Petit poème auto-matisse », en fait un long poème qui constitue surtout une attaque contre la religion : « L’unique et l’inique Dieu Trine, Latrine et Endocrine / Éternellement va se masturbant, et sa barbe  / Est de sperme Éternel empesée. / Hélas! un homme ça n’est qu’un homme / Depuis qu'Adam n’a pas digéré la pomme, / Et c’est pour ça que nous avons des rages d’Adam / Or le Pape Pie-Pie / Qui de son coccyx exorcise les coccinelles / Bave sur la face macérée du monde ».

Bref, en regard de son époque, ce livre est unique, pour le meilleur et le pire. Le meilleur étant son côté iconoclaste, le pire étant que ce même iconoclasme donne lieu à plusieurs jeux de mots tout compte fait assez faciles. 

Il y a beaucoup de commentaires dans le recueil que je possède. Le commentateur (non identifié) semble avoir bien connu Pouliot. Par exemple, on lit sur la page de garde :

« André Pouliot allait presque tous les soirs chez le docteur Norbert Vézina alors qu’il habitait à 763 Wilder à Outremont. Les conversations duraient jusqu’au petit matin, aidées par un verre de rhum martiniquais. Assistaient à ces réunions amicales : Stanley Cosgrove, peintre, … Bouchard, ancien ami puis ennemi de Maurice Duplessis, professeur à l’Université Laval; Eudore Piché, professeur de philosophie, jésuite défroqué qui épousa Muguette, l’épouse d’André après son décès. Il est mort lui-même d’un infarctus du myocarde. Jean-Louis Delorimier, grande gueule et publiciste; Jacques Tétreault ami; un immigrant hindou qui avait une ?? à un orteil et on finit par découvrir une tuberculose de l’orteil. Muguette, première femme d’André, puis épouse, puis veuve d’Eudore Piché.

Au décès d’André, lui qui n’avait pas voulu avoir de funérailles religieuses et qui voulait être enterré simplement, eut une messe des morts avec diacre et sous-diacre à la cathédrale et fut ensuite reconduit au cimetière où il repose dans le caveau de famille de Muguette… À ce sujet Eudore disait : "Quand je pense que lorsque je mourrai je serai placé dans le même caveau que lui, cela m’exaspère. " C’est ce qui est arrivé. »

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