Jacques Ferron, Le Dodu, Montréal, éditions d’Orphée,
1956, 92 pages. (La Troupe de l'Errant canadien donne la première le 24 juin 1958, au Studio d'Essai du Théâtre-Club. Mise en scène: Marcel Sabourin)
Dans une interview
conservée par Radio-Canada, Ferron déclare que son théâtre n’est pas très bon.
Il dit encore que le critère ultime pour juger d’une pièce, c’est l’adhésion du
public. Plus loin, avec sa morgue habituelle, il admet qu’on écrit sur l’amour
quand on n’a rien à dire, du moins qu’on n’a pas de sujet qui vaille la peine
d’être développé.
Ils sont cinq personnages et un
corbeau qui parle. Dora et Célia viennent de se marier. Agnès, l'amie de Célia, leur a
cédé sa chambre, plus confortable, pour leur nuit de noces. Agnès a aussi un amoureux secret; il s’appelle Mouftan
et ne se sépare jamais de son épée. Et Dodu et son corbeau, les deux derniers
personnages? Ils jouent en quelque sorte
les rôles que jouaient les soubrettes et les valets dans la comédie
classique : ce sont des faire-valoir.
L’intrigue est bien mince :
Mouftan croit que Dorante a couché avec Agnès puisqu’il se trouve dans sa
chambre. Il veut « le saigner comme un cochon ». Après quelques
marivaudages, le quiproquo est levé et c’est le perroquet qui est décapité.
Enfin réunis, Agnès et Mouftan se précipitent chez le curé. Ferron ne serait
pas Ferron, s’il ne s’amusait pas des codes de la comédie, s’il ne franchissait la barrière
des niveaux de langue, tout en distribuant quelques piques ici et là. De toute
évidence Ionesco est passé par là.
Extrait
MOUFTAN -Je
t'aime, petite poupoule!
Je t'aime assez que j'en reste
bête.
AGNÈS - Je n'en doute pas. Sais-tu, Dorante, qu'il a cru
que je le trompais avec toi ?
CELIA - Si on le sait !
DORANTE - Il voulait me saigner comme un cochon,
AGNÈS - Mouftan,
tu aurais fait ça pour un moi!
MOUFTAN - Hélas!
AGNÈS - Chéri Mouftan, tu m'aimes plus que je n'osais
l'espérer!
MOUFTAN - Tonnerre de tonnerre! Je t'aime, je t'aime...
(Il dégaine.)
CÉLIA - Pour l'amour du ciel, Agnès, retiens-le!
AGNÈS - Je n'ai pas peur de sa petite piqûre. C'est un
mouton, mon tigre.
CÉLIA - Je vois, mais ne t'éloignes pas trop de lui.
AGNÈS - Comme si je pouvais m'éloigner de toi, moineau !
MOUFTAN - Ma poupoule, ma petite poupoule!
AGNÈS - Du calme, Mouftan, du calme! Ce sera demain. Pas
sur le trottoir, j'ai dit... Je te regarde, mais au juste, à qui ressembles-tu?
MOUFTAN - A qui, poupoule ?
DODU - Coute-coute-coute-cou-toute !
AGNÈS - Je l'ai : c'est à l'oiseau que tu ressembles. Où
donc est-il, celui-là ? Je ne le vois plus sur le mur. Envolé ?
DODU - II est ici.
AGNÈS - Dodu, tu t'es fait mal, mon gros!
DODU - C'est l'oiseau qui a saigné.
AGNÈS - Pouah ! il n'a plus de tête.
DODU - Ton bel amant l'a raccourci.
AGNÈS - Tu as fait ça, Mouftan !
MOUFTAN - Euh...
AGNÈS - Tant mieux!
Il m'appelait poupoule. Je t'avais d'ailleurs prévenu, Dodu : « tu le
trouveras mort, un beau matin, ton corbeau, » que j'avais dit.
DODU - II est mort.
AGNÈS - J'espère bien.
MOUFTAN - On va chez le curé, poupoule ?
AGNÈS - Oui, mon grand chéri. (Elle
embrasse Mouftan.)
CÉLIA - Ils sont heureux,
quel bonheur! (Elle embrasse Dorante.)
DODU - Hum!
AGNÈS(ne lâchant
pas Mouftan) - As-tu le rhume, Dodu ?
DODU - II est guéri, Dieu merci.
AGNÈS (même jeu)
- Tant mieux!
DODU - II est guéri, mais le vieux curé, lui, il risque
fort de mourir si vous ne cessez pas de vous embrasser.
MOUFTAN - Tant pis!
AGNÈS - Non, non, à la cérémonie d'abord ! Ailez, ouste!
Les hommes en avant, les femmes en arrière.
DODU - Je vous accompagne ; je servirai de père aux deux,
au marié et à la mariée, ce sera plus simple.
AGNÈS - Ouste, les hommes !
MOUFTAN - (à
Dorante) Quand je pense que je voulais te saigner comme un cochon! Vieux
frère, va! (Les hommes sortent.) (p. 86-90)
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