Gustave Proulx, Chambre à louer, Québec, Institut littéraire de Québec, 1951, 199 pages.
Il n’y a pas d’intrigue suivie dans ce roman. Proulx met en scène une famille ouvrière, la famille Lirette, et nous raconte un peu l’histoire de chacun des membres de cette famille. Le roman s’inscrit dans la lignée du roman urbain (le réalisme social), dont les têtes de pont furent Roger Lemelin et Gabrielle Roy.
Le père est laitier. Il est complètement écrasé par sa femme Malvina, qui occupe toute la place, qui dirige la famille avec une poigne de fer. Elle recueille l’argent de tout le monde et le redistribue comme bon lui semble. Elle-même, elle ne manque jamais un bingo, espérant meubler ainsi sa cuisine. Elle protège son chouchou, son fils Méo. Lui, il est allé à la guerre. On ne sait pas quelle fut sa véritable participation. Depuis son retour, il refuse de travailler, donc ne contribue pas au pécule familial. Il se consacre à l’haltérophilie. Il a une petite amie qu’il rencontre de temps à autre. Il se paie une bataille de rue à l’occasion, question de montrer sa force. Il mourra bêtement, à la fin du récit, noyé à l’Anse-au-Foulon. Sa sœur Victoire, déjà 30 ans, mène une vie triste et sans intérêt. Pour gagner sa vie, elle lave la vaisselle dans un restaurant chinois sur la Place d’Youville. Elle est malheureuse parce que les hommes ne s’intéressent pas à elle. Un jour, elle rencontre un marin français et se donne à lui, façon de défier toutes ces gens qui ne la voient même plus, tant sa vie est terne. Elle éprouve beaucoup de culpabilité, va consulter un Franciscain qui l’encourage. À la fin du roman, elle déménage à Montréal. Enfin, le plus jeune, Henri, 15 ans, ne va plus à l’école. Il vend des journaux pour gagner sa pitance. Un jour, il fait une rencontre, l’abbé Georges Philipon, qui va changer sa vie. Ce prêtre, le fondateur de Saint-Jean-Bosco, va l’associer à son œuvre. Le jeune Henri finira par entrer chez les frères. Pourquoi le titre? La famille, pour boucler son budget, loue une chambre.
La ville de Québec est très présente dans ce roman. La famille Lirette habite le vieux Québec sur la rue Sainte-Famille. Les personnages fréquentent Place d’Youville, la rue Saint-Paul, les plaines d’Abraham, et se déplacent en tramway... L’auteur décrit aussi certains événements assez pittoresques : la parade des étudiants, un spectacle au Palais Montcalm mettant en vedette Alys Robi, une soirée dans un tripot de la rue Saint-Paul. Ce n’est pas mal écrit, ce n’est pas mal fait, mais ça manque de piquant. Il faudrait des personnages plus relevés, une intrigue suivie, une histoire pour tout dire.
Gustave Proulx est le père de Monique Proulx.
Extrait
A la suite d'une partie de la rue Saint-Jean, le Carré d'Youville présente un aspect agréable à voir. C'est une vision d'étendue pour les yeux. Les édifices se dégagent tout autour. On semble y mieux respirer. A gauche, par-dessus la tête des arbres qui courent le long des talus de gazon et se massent en profondeur pour former un sous-bois charmant, la tour du Parlement avance dans le ciel sa couronne impériale.
Le Palais Montcalm figure comme l'attrait principal du tableau, malgré la sobriété de son architecture qui rappelle quelque peu une synagogue juive. Construit pour rapporter de l'argent, il s'est avéré un bon placement pour la ville de Québec. Des artistes, des musiciens, des troupes de vaudeville, des magiciens, des vedettes exténuées d'Hollywood ont paru tour à tour dans son enceinte.
Nos talents y ont remporté des succès. On se souvient du Cow-Boy solitaire qui animait ses vocalises de sa guitare mélancolique. Après la soirée, les spectateurs se surprenaient à essayer une tyrolienne à la mode, dans un exercice de la langue pour le moins méritoire.
Il y eut, aussi, les fameuses matinées du dimanche, au temps de la guerre. Les jeunes gens dédaignaient l'appel aux armes. On eut recours aux concerts de recrutement, en s'imaginant que la musique martiale et les airs patriotiques inspireraient un esprit guerrier aux Québécois, pas militaristes pour un sou. Le dieu des batailles s'en mêla si bien, qu'il fît tomber une étoile dans le Palais Montcalm: nous eûmes le soldat Lebrun. L'apparition de ce jeune conscrit suscita de l'engouement, provoqua du délire. Sa stature, certes, n'était pas une invite à la guerre, mais il chantait tant de belles chansons! Grand-maman! Oh! oui, grand-maman, vous avez dû passer par là! En pâmoison devant la voix généreusement amplifiée par le micro, les jeunes filles devenaient amoureuses du chanteur qui profitait de sa renommée pour éditer ses mélodies à un fort tirage.
Ce soir, les Québécois avaient rempli le théâtre municipal pour entendre Alys Robi. Les collets haut montés étaient rares. C'était fête populaire.
Ferdinand et Victoire occupaient des places à la dernière rangée du parterre. Ils bénéficiaient ainsi d'une vue superbe d'ensemble qui vaut à elle seule tout un spectacle. Victoire n'en croyait pas ses yeux. Elle se réjouissait à l'extrême de se trouver parmi tout ce monde joyeux qui jasait et gesticulait sans contrainte. Elle regardait de tous les côtés, se penchant en avant, cherchant une connaissance qui la remarquerait.
Le sexe faible était en majorité. Les messieurs avaient pris leurs sièges tout près de la scène, histoire de mieux contempler la chanteuse. De temps en temps, un individu se levait, toisait l'assistance d'un regard polisson, puis envoyait la main à des amis. (p. 101-103)
Il n’y a pas d’intrigue suivie dans ce roman. Proulx met en scène une famille ouvrière, la famille Lirette, et nous raconte un peu l’histoire de chacun des membres de cette famille. Le roman s’inscrit dans la lignée du roman urbain (le réalisme social), dont les têtes de pont furent Roger Lemelin et Gabrielle Roy.
Le père est laitier. Il est complètement écrasé par sa femme Malvina, qui occupe toute la place, qui dirige la famille avec une poigne de fer. Elle recueille l’argent de tout le monde et le redistribue comme bon lui semble. Elle-même, elle ne manque jamais un bingo, espérant meubler ainsi sa cuisine. Elle protège son chouchou, son fils Méo. Lui, il est allé à la guerre. On ne sait pas quelle fut sa véritable participation. Depuis son retour, il refuse de travailler, donc ne contribue pas au pécule familial. Il se consacre à l’haltérophilie. Il a une petite amie qu’il rencontre de temps à autre. Il se paie une bataille de rue à l’occasion, question de montrer sa force. Il mourra bêtement, à la fin du récit, noyé à l’Anse-au-Foulon. Sa sœur Victoire, déjà 30 ans, mène une vie triste et sans intérêt. Pour gagner sa vie, elle lave la vaisselle dans un restaurant chinois sur la Place d’Youville. Elle est malheureuse parce que les hommes ne s’intéressent pas à elle. Un jour, elle rencontre un marin français et se donne à lui, façon de défier toutes ces gens qui ne la voient même plus, tant sa vie est terne. Elle éprouve beaucoup de culpabilité, va consulter un Franciscain qui l’encourage. À la fin du roman, elle déménage à Montréal. Enfin, le plus jeune, Henri, 15 ans, ne va plus à l’école. Il vend des journaux pour gagner sa pitance. Un jour, il fait une rencontre, l’abbé Georges Philipon, qui va changer sa vie. Ce prêtre, le fondateur de Saint-Jean-Bosco, va l’associer à son œuvre. Le jeune Henri finira par entrer chez les frères. Pourquoi le titre? La famille, pour boucler son budget, loue une chambre.
La ville de Québec est très présente dans ce roman. La famille Lirette habite le vieux Québec sur la rue Sainte-Famille. Les personnages fréquentent Place d’Youville, la rue Saint-Paul, les plaines d’Abraham, et se déplacent en tramway... L’auteur décrit aussi certains événements assez pittoresques : la parade des étudiants, un spectacle au Palais Montcalm mettant en vedette Alys Robi, une soirée dans un tripot de la rue Saint-Paul. Ce n’est pas mal écrit, ce n’est pas mal fait, mais ça manque de piquant. Il faudrait des personnages plus relevés, une intrigue suivie, une histoire pour tout dire.
Gustave Proulx est le père de Monique Proulx.
Extrait
A la suite d'une partie de la rue Saint-Jean, le Carré d'Youville présente un aspect agréable à voir. C'est une vision d'étendue pour les yeux. Les édifices se dégagent tout autour. On semble y mieux respirer. A gauche, par-dessus la tête des arbres qui courent le long des talus de gazon et se massent en profondeur pour former un sous-bois charmant, la tour du Parlement avance dans le ciel sa couronne impériale.
Le Palais Montcalm figure comme l'attrait principal du tableau, malgré la sobriété de son architecture qui rappelle quelque peu une synagogue juive. Construit pour rapporter de l'argent, il s'est avéré un bon placement pour la ville de Québec. Des artistes, des musiciens, des troupes de vaudeville, des magiciens, des vedettes exténuées d'Hollywood ont paru tour à tour dans son enceinte.
Nos talents y ont remporté des succès. On se souvient du Cow-Boy solitaire qui animait ses vocalises de sa guitare mélancolique. Après la soirée, les spectateurs se surprenaient à essayer une tyrolienne à la mode, dans un exercice de la langue pour le moins méritoire.
Il y eut, aussi, les fameuses matinées du dimanche, au temps de la guerre. Les jeunes gens dédaignaient l'appel aux armes. On eut recours aux concerts de recrutement, en s'imaginant que la musique martiale et les airs patriotiques inspireraient un esprit guerrier aux Québécois, pas militaristes pour un sou. Le dieu des batailles s'en mêla si bien, qu'il fît tomber une étoile dans le Palais Montcalm: nous eûmes le soldat Lebrun. L'apparition de ce jeune conscrit suscita de l'engouement, provoqua du délire. Sa stature, certes, n'était pas une invite à la guerre, mais il chantait tant de belles chansons! Grand-maman! Oh! oui, grand-maman, vous avez dû passer par là! En pâmoison devant la voix généreusement amplifiée par le micro, les jeunes filles devenaient amoureuses du chanteur qui profitait de sa renommée pour éditer ses mélodies à un fort tirage.
Ce soir, les Québécois avaient rempli le théâtre municipal pour entendre Alys Robi. Les collets haut montés étaient rares. C'était fête populaire.
Ferdinand et Victoire occupaient des places à la dernière rangée du parterre. Ils bénéficiaient ainsi d'une vue superbe d'ensemble qui vaut à elle seule tout un spectacle. Victoire n'en croyait pas ses yeux. Elle se réjouissait à l'extrême de se trouver parmi tout ce monde joyeux qui jasait et gesticulait sans contrainte. Elle regardait de tous les côtés, se penchant en avant, cherchant une connaissance qui la remarquerait.
Le sexe faible était en majorité. Les messieurs avaient pris leurs sièges tout près de la scène, histoire de mieux contempler la chanteuse. De temps en temps, un individu se levait, toisait l'assistance d'un regard polisson, puis envoyait la main à des amis. (p. 101-103)
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