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15 février 2008

Les beaux jours viendront...

Charles-Henri Beaupray,
Les beaux jours viendront…, Montréal, Éditions Presses sociales, 1942, 241 pages (Illustré de 13 gravures de Louis-Philippe Langlois) (1re édition : 1941)


Pour commencer, il serait bon de lire la biographie d’Henri Beaupré.

Marcel Desbiens vient de terminer ses études classiques. Sa mère, veuve d’un ouvrier tué dans une usine de sciage, a peiné dur et c’est avec déception qu’elle apprend que son fils ne sera ni prêtre, ni médecin, ni avocat. Marcel a choisi d’ajouter un an de sciences sociales à son curriculum avant de revenir dans son village et de mettre ses nouvelles connaissances au service de ses concitoyens. Il a développé une vision sociale dont l’idée maîtresse est qu’il faut « restaurer » la société canadienne-française : « Si notre monde actuel s’écroule, c’est parce qu’il y a eu une fissure entre la culture de l’homme et la civilisation. Ce sera leur tâche à ces jeunes de redonner un jour une âme humaine à cette civilisation… »

Il revient donc à Montcourt, un village fictif sur la Rive-Sud du Saint-Laurent. Il compte bien mettre en pratique les théories que l’université lui a apprises. Pour lui, tout passe par l’ « union », la « coopération ». Dans son village, un gros employeur tient à la merci les ouvriers. D’ailleurs, c’est dans cette usine, la Compagnie Garrick and Lawson, que son père a perdu la vie. Il s’y fait engager. Malgré son instruction, il commence au pied de l’échelle. Il démontre une telle ardeur au travail que rapidement il gagne l’estime des ouvriers. Il essaie de monter un syndicat et, à l’extérieur de son travail, il lance l’idée d’une Caisse populaire. Ses entreprises réussissent, ce que le propriétaire, Garrick, voit d’un mauvais œil.

Plus encore, après bien des détours, il se permet même de jouer dans les plates-bandes amoureuses de son patron ; il courtise la secrétaire que Garrick a engagée parce qu’il la convoitait. Pour le punir, Garrick l’expédie dans un camp de bûcherons pour l’hiver. Là-bas, encore une fois, il s’avère un vrai leader, un meneur d’hommes.

Garrick, excédé par les syndicats et les autres associations (J.O.C.), décide de frapper un grand coup : il met à la porte toutes les « têtes fortes », dont leur leader Marcel. Les ouvriers ripostent en déclarant la grève. Le tout se solde au bout de trois semaines par la réembauche de tout le monde, sauf Marcel. Après une période de chômage, il est engagé par le marchand général de la place. C’est un vieux monsieur proche de sa retraite, en conflit avec Garrick. Il réussit à transformer le magasin en coopérative et c’est un succès. N’en restant pas là, Marcel se met en frais d’acheter une usine de sciage abandonnée. Il emprunte de l’argent et offre une partie des parts aux ouvriers. C’est encore un succès. Il finit même par acheter Garrick, par devenir maire, puis député et… bien entendu il a épousé la jolie secrétaire de Garrick.

                              
Disons au départ que le roman est dédié à Georges-Henri Lévesque et préfacé par Lionel Groulx. Au plan des idées, le roman est intéressant ; il reflète une certaine époque, une certaine vision du nationalisme canadien-français. Pour Beaupray, si on veut conserver notre langue et notre culture (il ne parle pour ainsi dire pas de religion), il faut d’abord reprendre en main l’économie. Pour ce faire, il n’est pas encore question d’intervention de l’état! Il faut commencer à la base même, dans les régions, dans chacun des petits villages. C’est par l’union et la coopération que les « petits » Canadiens français pourront y parvenir.

Si les idées sont intéressantes, on ne peut en dire autant du roman d’un point de vue esthétique. On dirait d’ailleurs que tout ce qui ne touche pas aux idées intéresse plus ou moins Beaupray. Entre autres, le développement psychologique des personnages est d’une superficialité inqualifiable. La trame événementielle avance par bonds et se conclut dans la précipitation. L’histoire d’amour est particulièrement mauvaise. 

Extrait

Mes amis, écoutez-moi. L'heure est enfin venue de prendre conscience de nos valeurs, de nos besoins, et de nos droits. Oui, je dis bien: de nos valeurs, de nos besoins et de nos droits. Car vous n'ignorez tout de même pas que nous sommes des êtres humains et non des brutes qu'on conduit éternellement au bout du fouet. […]
Sous prétexte que nous sommes de pauvres ouvriers sans défense et sans grande culture, un patron n'a pas le droit d'ignorer nos valeurs. Sous prétexte qu'il y aura toujours des inégalités sociales, que le travail sera toujours pénible et que la souffrance est nécessaire, un patron n'a pas le droit de nous exploiter à son profit en violant nos droits inaliénables à la vie, à la santé et à la moralité, à la liberté d'association et de travail. […]
Comment se fera cette union? Tout simplement par des Syndicats ouvriers comme vous en avez un, mais animés d'un tout autre esprit que celui qui anime le vôtre. Ce n'est pas une invention nouvelle que les Syndicats. Il en existe, sous une forme ou sous une autre, depuis toujours. Ils sont donc légitimes et nécessaires, et les gouvernants les ont reconnus comme tels par des lois. Dans la Province de Québec nous avons en particulier la « Loi des Syndicats Professionnels » et la « Loi des Conventions Collectives.»
Est-ce à dire qu'il faille attendre que le gouvernement vienne s'occuper de nos affaires particulières? Pas du tout. L'initiative doit venir de nous-mêmes. Nos problèmes locaux, c'est à nous surtout qu'il appartient de les régler; ce n'est ni au gouvernement, ni encore moins au "Boss".
D'ailleurs est-ce que seulement il s'intéresse à vous autres, celui-là? Qu'est-ce que ça lui fait, lui, que toi Martineau, là-bas, tu n'aies pas d'argent pour faire soigner ta femme qui se meurt? Qu'est-ce que ça lui fait que le père Labonté soit obligé de vivre dans une cabane, que vous autres, Dagneau, Legros, Lévesque, Boucher, Bernier, etc., vous soyez dans l'impossibilité de vous marier parce que vous ne gagnez qu'un dollar et demi par jour? Qu'est-ce que ça lui fait que nous soyons obligés de manger des patates, du lard salé et de la mélasse trois fois par jour, que nous n'ayons pas un sou à la maison et que demain on nous mette à la porte parce que notre loyer n'est pas payé? Oui, qu'est-ce que ça lui fait, lui, pourvu qu'il ait tout le luxe et tout le confort possible, et qu'il accumule l'argent dans ses tiroirs ?
Non! l'occasion est trop belle de réclamer enfin nos droits pour que nous la laissions passer. C'est le temps de liquider le vieux « stock » comme on dit: Finis les salaires fixés arbitrairement par le « Boss » et qu'on doit accepter de gré ou de force! Finis ces renvois en masse et à tout bout de champ sans raison aucune! Fini ce chantage pour vous prendre vos filles ou vos femmes! Finie cette dictature de tous les instants!
Garrick ne veut pas entendre nos réclamations! Le moyen de le forcer: la grève. Garrick ne veut pas nous donner le salaire qui nous est dû en justice! Le moyen de l'obtenir: la grève. Garrick ne veut ni reconnaître la J.O.C., ni reconnaître notre Syndicat! Le moyen de l'y contraindre: la grève.
Mes amis! nous sommes environ cent cinquante ici. Demain matin il faut que le moulin soit fermé. Et cela jusqu'au jour où justice nous sera rendue. Mes amis! N'est-ce pas que vous en êtes tous? N'est-ce pas que vous serez tous là, que nous serons tous là, demain matin?
Marcel avait fini de parler depuis longtemps qu'on applaudissait encore à tout briser. Le soir même, après avoir tenté inutilement de voir Garrick, Sampson aidé de Marcel organisait la grève et donnait des directives à chacun. (p. 194-197
)

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