Damase Potvin, Le Français, Montréal, Édouard Garand, 1925, 346 p.
L’action se situe vers 1920. Le veuf Jean-Baptiste Morel vit seul avec sa fille Marguerite sur une terre du quatrième rang à Ville-Marie, au Témiscaminque. Son fils unique a été tué à la guerre et sa femme en est morte de chagrin. Sur cette terre de deuxième génération, se pose le sempiternel problème de la transmission du bien paternel.
Marguerite, quelque peu instruite, a plusieurs prétendants qu’elle repousse, dont certains que Jean-Baptiste agréerait bien volontiers comme successeur sur sa terre. Un jour, lors d’une tempête de neige, ils recueillent un Français, perdu et à moitié mort de froid, du nom de Léon Lambert. Ils le soignent, ils l’hébergent et, bientôt, celui-ci devient l’homme engagé, rôle dans lequel il révèle un grand amour de la terre (il est le fils d’un fermier français), une capacité de travail hors norme et des qualités de cœur qui touchent Marguerite, ce que son père ne voit pas d’un bon œil. Pour lui, il est étranger, tout Français qu’il fût. Jean-Baptiste voudrait que sa fille épouse Jacques Duval, le fils d’un riche fermier voisin, bien considéré au village. Or ce Jacques, qui est amoureux de Marguerite et qui lui fait une cour assidue, n’aime pas la terre. Il ne rêve que de la ville, ce dont il s’ouvre à Marguerite. Celle-ci le ménage, mais lui fait comprendre qu’il n’y a pas d’avenir pour eux, elle qui rêve de poursuivre la tradition paternelle et de reprendre la terre de son père avec son Français. Après un dur hiver dans les chantiers, Jacques part pour la ville. Le père Jean-Baptiste Morel, voyant s’éloigner cette relève, après bien des hésitations, finit par se faire une idée et permet à sa Marguerite d’épouser le Français.
Dans un épilogue qui nous mène trois ans plus tard, on voit Jean-Baptiste, maintenant grand-père, qui marche dans un champ de blé avec son petit-fils. Ils rencontrent André Duval qui avoue que son fils exilé, le Jacques que Jean-Baptiste voulait comme gendre, est bien malheureux en ville, qu’il est toujours malade et que sa femme est bien dépensière…
Comme toujours, pour Potvin la transmission du bien paternel est lié au devoir de la survivance nationale. Comme toujours, le discours contre la ville et l’américanisme est virulent. Cependant, dans ce roman, Potvin ajoute des éléments originaux à la thématique terroiriste : ici, l’étranger est un Français, ce qui introduit les thèmes du mariage mixte, de la filiation avec nos ancêtres français et même de l’intégration des nouveaux arrivants. Par ailleurs, c’est la fille contre le père qui a raison; c’est elle qui, par esprit d’ouverture, sait voir en Lambert un digne successeur de son père.
Potvin pratiquait l’intertextualité avant le temps. Deux passages du Français (la mort du vieux cheval et la mort d’un homme dans une tempête de neige) vont être repris dans La Baie et La Rivière-à-Mars. Par ailleurs, n’a-t-on pas l’impression de relire Maria Chapdelaine dans le passage suivant : « Il avait fait son devoir surtout envers sa fille et envers sa terre; et il partirait, ayant su garder l'une et l'autre. Et il ne croyait pas avoir démérité de son pays, de sa jeune patrie à qui il avait donné deux fils nouveaux; l'un, ce petit dont la menotte douce et chaude tremble dans sa main rude et calleuse, et l'autre... l'autre!... À trois siècles de distance, il est venu continuer dans la Petite France d'Amérique l'oeuvre féconde des aïeux. Il avait apporté, du fond de la France moderne la même « parlure », la même foi, le même amour ardent de la terre, la même endurance, les mêmes prières, les mêmes espoirs et les mêmes chants, les mêmes angoisses et les mêmes joies, le même bon sens, le même franc rire, les mêmes qualités spirituelles de la race française s'épandant abondamment, librement partout où on leur fait place, et qui étaient les qualités de ceux qui sont venus autrefois et qui ont semé là-bas, sur le riche et fécond promontoire de Québec, le premier blé laurentien… » ***Extrait« C'est bon, c'est bon », fit-il, après quelques secondes. « Jacques Duval est tout ce que tu viens de dire qu'il est. Mais c'est un gas de chez nous, quand même, lui !... On connaît ses parents, lui!... C'est l’garçon d'un habitant qu'est le plus aisé de la paroisse. Son père pourrait être maire d'la place, s'il voulait... C'est quelque chose, ça, quoi !... »
Et Jean-Baptiste Morel, d'un geste de triomphe, tira d'une poche de sa veste, sa pipe qu'il alla bourrer de tabac dans une boîte placée sur une tablette de la pièce et qu'il alluma en claquant goulûment de la langue et ces lèvres. Marguerite, pendant ce temps, avait riposté :
« Oui, je ne dis pas, tout cela, c'est quelque chose; mais à quoi tout cela servira-t-il à Jacques Duval s'il s'en va dans les villes ? Il ne sera plus rien de rien alors... Et moi, si j'étais sa femme, qu'est-ce que je deviendrais dans ces villes ?. . . Faut pas croire, vous savez, père, que nous appartiendrons tout de suite a la bourgeoisie dans les villes ! » ajouta, malicieusement, la jeune fille.
« Oui, mais l'autre, celui qu't'as nommé, tantôt. Marguerite, est-ce qu'il l'est, lui, de la bourgeoisie ?... On connaît pas même sa famille. C'est un enfant trouvé; on sait rien de rien de lui... C'est un étranger, un étranger ! »
Cette idée fixe était plantée comme un clou dans son cerveau douloureux.
Marguerite, piquée au vif, répondit d'abondance aux dernières remarques de son père et entreprit la défense de l'émigré : Hé, quoi ! il était facile d'obtenir des renseignements sur la famille de Léon Lambert comme l'on en avait eus sur lui-même. Il ne venait pas de l'autre monde, en somme. Il n'était pas un gas de chez nous, c'est vrai ; mais devait-on, à cause de cela, le tenir pour un vagabond ? Il n'est pas un Canadien !... Mais de qui donc descendons-nous, nous, les Canadiens ? Quel est donc le sang qui coule dans nos veines ? N'est-ce pas du sang de France ? Voilà deux siècles, les habitants de la Nouvelle-France n'étaient-ils pas des Français, comme Léon Lambert ? Et ceux-là ne sont-ils pas nos ancêtres ? Voyons, il n'y a pas cent ans, des Écossais, des Anglais, des Irlandais, qui sont venus s'établir chez nous ne sont-ils pas, aujourd'hui, des Canadiens-Français, malgré leur nom ?... Ne peut-on tenir le vieux Joe Smith dont la terre est au bout du rang pour un pur Canadien ? Et pourtant, ses ancêtres étaient des Anglais d'Angleterre. Léon Lambert, un étranger pour nous, allons donc! autant dire que le grand-père Morel était un Anglais. (p. 84-85)
Damase Potvin sur Laurentiana
Contes et croquis
L’Appel de la terre
La Baie
La Rivière-à-Mars
La Robe noire
Le Français
Le Roman d’un roman
Restons chez nous
Sur la Grand’route)
L’action se situe vers 1920. Le veuf Jean-Baptiste Morel vit seul avec sa fille Marguerite sur une terre du quatrième rang à Ville-Marie, au Témiscaminque. Son fils unique a été tué à la guerre et sa femme en est morte de chagrin. Sur cette terre de deuxième génération, se pose le sempiternel problème de la transmission du bien paternel.
Marguerite, quelque peu instruite, a plusieurs prétendants qu’elle repousse, dont certains que Jean-Baptiste agréerait bien volontiers comme successeur sur sa terre. Un jour, lors d’une tempête de neige, ils recueillent un Français, perdu et à moitié mort de froid, du nom de Léon Lambert. Ils le soignent, ils l’hébergent et, bientôt, celui-ci devient l’homme engagé, rôle dans lequel il révèle un grand amour de la terre (il est le fils d’un fermier français), une capacité de travail hors norme et des qualités de cœur qui touchent Marguerite, ce que son père ne voit pas d’un bon œil. Pour lui, il est étranger, tout Français qu’il fût. Jean-Baptiste voudrait que sa fille épouse Jacques Duval, le fils d’un riche fermier voisin, bien considéré au village. Or ce Jacques, qui est amoureux de Marguerite et qui lui fait une cour assidue, n’aime pas la terre. Il ne rêve que de la ville, ce dont il s’ouvre à Marguerite. Celle-ci le ménage, mais lui fait comprendre qu’il n’y a pas d’avenir pour eux, elle qui rêve de poursuivre la tradition paternelle et de reprendre la terre de son père avec son Français. Après un dur hiver dans les chantiers, Jacques part pour la ville. Le père Jean-Baptiste Morel, voyant s’éloigner cette relève, après bien des hésitations, finit par se faire une idée et permet à sa Marguerite d’épouser le Français.
Dans un épilogue qui nous mène trois ans plus tard, on voit Jean-Baptiste, maintenant grand-père, qui marche dans un champ de blé avec son petit-fils. Ils rencontrent André Duval qui avoue que son fils exilé, le Jacques que Jean-Baptiste voulait comme gendre, est bien malheureux en ville, qu’il est toujours malade et que sa femme est bien dépensière…
Comme toujours, pour Potvin la transmission du bien paternel est lié au devoir de la survivance nationale. Comme toujours, le discours contre la ville et l’américanisme est virulent. Cependant, dans ce roman, Potvin ajoute des éléments originaux à la thématique terroiriste : ici, l’étranger est un Français, ce qui introduit les thèmes du mariage mixte, de la filiation avec nos ancêtres français et même de l’intégration des nouveaux arrivants. Par ailleurs, c’est la fille contre le père qui a raison; c’est elle qui, par esprit d’ouverture, sait voir en Lambert un digne successeur de son père.
Potvin pratiquait l’intertextualité avant le temps. Deux passages du Français (la mort du vieux cheval et la mort d’un homme dans une tempête de neige) vont être repris dans La Baie et La Rivière-à-Mars. Par ailleurs, n’a-t-on pas l’impression de relire Maria Chapdelaine dans le passage suivant : « Il avait fait son devoir surtout envers sa fille et envers sa terre; et il partirait, ayant su garder l'une et l'autre. Et il ne croyait pas avoir démérité de son pays, de sa jeune patrie à qui il avait donné deux fils nouveaux; l'un, ce petit dont la menotte douce et chaude tremble dans sa main rude et calleuse, et l'autre... l'autre!... À trois siècles de distance, il est venu continuer dans la Petite France d'Amérique l'oeuvre féconde des aïeux. Il avait apporté, du fond de la France moderne la même « parlure », la même foi, le même amour ardent de la terre, la même endurance, les mêmes prières, les mêmes espoirs et les mêmes chants, les mêmes angoisses et les mêmes joies, le même bon sens, le même franc rire, les mêmes qualités spirituelles de la race française s'épandant abondamment, librement partout où on leur fait place, et qui étaient les qualités de ceux qui sont venus autrefois et qui ont semé là-bas, sur le riche et fécond promontoire de Québec, le premier blé laurentien… » ***Extrait« C'est bon, c'est bon », fit-il, après quelques secondes. « Jacques Duval est tout ce que tu viens de dire qu'il est. Mais c'est un gas de chez nous, quand même, lui !... On connaît ses parents, lui!... C'est l’garçon d'un habitant qu'est le plus aisé de la paroisse. Son père pourrait être maire d'la place, s'il voulait... C'est quelque chose, ça, quoi !... »
Et Jean-Baptiste Morel, d'un geste de triomphe, tira d'une poche de sa veste, sa pipe qu'il alla bourrer de tabac dans une boîte placée sur une tablette de la pièce et qu'il alluma en claquant goulûment de la langue et ces lèvres. Marguerite, pendant ce temps, avait riposté :
« Oui, je ne dis pas, tout cela, c'est quelque chose; mais à quoi tout cela servira-t-il à Jacques Duval s'il s'en va dans les villes ? Il ne sera plus rien de rien alors... Et moi, si j'étais sa femme, qu'est-ce que je deviendrais dans ces villes ?. . . Faut pas croire, vous savez, père, que nous appartiendrons tout de suite a la bourgeoisie dans les villes ! » ajouta, malicieusement, la jeune fille.
« Oui, mais l'autre, celui qu't'as nommé, tantôt. Marguerite, est-ce qu'il l'est, lui, de la bourgeoisie ?... On connaît pas même sa famille. C'est un enfant trouvé; on sait rien de rien de lui... C'est un étranger, un étranger ! »
Cette idée fixe était plantée comme un clou dans son cerveau douloureux.
Marguerite, piquée au vif, répondit d'abondance aux dernières remarques de son père et entreprit la défense de l'émigré : Hé, quoi ! il était facile d'obtenir des renseignements sur la famille de Léon Lambert comme l'on en avait eus sur lui-même. Il ne venait pas de l'autre monde, en somme. Il n'était pas un gas de chez nous, c'est vrai ; mais devait-on, à cause de cela, le tenir pour un vagabond ? Il n'est pas un Canadien !... Mais de qui donc descendons-nous, nous, les Canadiens ? Quel est donc le sang qui coule dans nos veines ? N'est-ce pas du sang de France ? Voilà deux siècles, les habitants de la Nouvelle-France n'étaient-ils pas des Français, comme Léon Lambert ? Et ceux-là ne sont-ils pas nos ancêtres ? Voyons, il n'y a pas cent ans, des Écossais, des Anglais, des Irlandais, qui sont venus s'établir chez nous ne sont-ils pas, aujourd'hui, des Canadiens-Français, malgré leur nom ?... Ne peut-on tenir le vieux Joe Smith dont la terre est au bout du rang pour un pur Canadien ? Et pourtant, ses ancêtres étaient des Anglais d'Angleterre. Léon Lambert, un étranger pour nous, allons donc! autant dire que le grand-père Morel était un Anglais. (p. 84-85)
Damase Potvin sur Laurentiana
Contes et croquis
L’Appel de la terre
La Baie
La Rivière-à-Mars
La Robe noire
Le Français
Le Roman d’un roman
Restons chez nous
Sur la Grand’route)
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