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1 septembre 2007

Au milieu, la montagne

Roger Viau, Au milieu, la montagne, Montréal, Beauchemin, 1951, 329 p.

1928 : la Crise économique. Viau raconte l'histoire de la famille Malo, mais surtout celle de Jacqueline, leur fille. Les Malo vivent dans l’est de Montréal. Florian, le père, est briqueteur. Il a perdu son travail à cause de la Crise et il est trop orgueilleux pour profiter des Secours directs. Lui et sa femme Aurélie ont cinq enfants, soit trois garçons et deux filles (un garçon et une fille vont mourir en cours de route). Ils sont si pauvres qu’ils doivent sauter des repas et ne peuvent chauffer l’appartement. Florian Malo se berce et, parfois, fait de petits travaux. Aurélie, sa femme, fait des ménages chez les riches quand on requiert ses services.

Jacqueline travaille dans de petits commerces. Nous suivons son évolution de 1929 à 1934 (de 15 à 20 ans). Elle rêve de quitter son milieu, elle qui a abandonné l’école pour aider sa famille. Elle rencontre des garçons et, un jour, sans qu’elle l’ait cherché, un jeune bourgeois d’Outremont, Gilbert Sergent. C’est le grand amour et cela dure deux ans. La famille du jeune homme va réussir, à la fin, à les séparer. Finis les rêves ! Jacqueline revient chez elle en se disant que c’est là qu’elle devra vivre.

Le roman de Viau est un autre Bonheur d’occasion, en moins bon. Les personnages sont pour ainsi dire des sosies romanesques : les deux mères tiennent la famille à bout de bras, les deux pères sont inconséquents, les jeunes filles rêvent et les amoureux rejettent la jeune fille qui pourrait nuire à leur ascension sociale. On retrouve le clivage entre l’Est et l’Ouest, le mythe de la montagne, le paupérisme des Canadiens français. L’époque n’étant pas tout à fait la même, les personnages de Viau ne trouvent pas de solution alors que les Lacasse, et surtout Florentine, verront dans la guerre une porte de sortie, un bonheur d’occasion. Le roman est bien même s’il manque à Viau le brio de l’écriture de Gabrielle Roy. ***½

Extrait

Un jeune homme, dans un virage savant, dérapa jusqu'à elle.
— May I help you?
— I fell, dit-elle en riant.
Il lui tendit la main.
— Try to turn your skis sideways.
Il l'aida à se relever et Jacqueline secoua la neige de son costume en y allant de son rire le plus clair.
— You didn't hurt yourself?
Malgré un accent anglais parfait, Jacqueline reconnut un Canadien français. Elle lui répondit cependant:
— Oh no! It just happened that I fell.
L'accent de Jacqueline était nettement français et le jeune homme hésita avant de continuer en anglais. C'est l'habitude des Canadiens français d'adresser la parole en anglais à un inconnu, même si Montréal est aux trois quarts français. Le Canadien français craint, semble-t-il, de se faire répondre sur un ton méprisant: «I don't speak French!» par un Anglo-Canadien qui croit afficher ainsi sa supériorité, puisque dans un pays bilingue, une seule langue lui suffit. Le Canadien français passe outre à l'insulte en se disant que lui, au moins, est suffisamment doué pour apprendre deux langues. Cette manie d'engager la conversation en anglais amène des scènes où l'on voit deux personnes baragouiner une langue qu'elles maîtrisent mal, et continuer à s'enferrer plutôt que d'admettre qu'elles ont fait erreur sur la nationalité de leur interlocuteur. Les ultra-nationalistes canadiens-français versent dans l'excès contraire: ils aborderont toujours quelqu'un en français, insisteront pour continuer en français, même si l'autre n'en saisit pas un mot. Ils veulent ainsi poser un geste de révolte qui dénote peut-être un complexe d'infériorité encore plus profond que celui qui pousse à parler d'abord en anglais.
Le jeune homme hésita avant de risquer en français:
— Vous ne vous êtes pas fait mal, j'espère?
— Pas du tout, j'ai juste fait un petit plongeon.
— Cela arrive aux meilleurs skieurs.
— C'est la première fois que je vais en skis cette année.
— Ça vous reviendra vite. Mais je crois que vos skis sont trop longs. C'est une erreur de penser qu'il faut de longs skis. Ils sont plus difficiles à manœuvrer.
Jacqueline pensa: «II ne se doute pas, lui, qu'on ne choisit pas, à l'Armée du Salut.» (p. 141-142)



Roger Viau (1906-1986) - BAnQ

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