1 mars 2007

La Terre

Ernest Choquette, La Terre, Montréal, Beauchemin, 1916, 289 p.

Le docteur Duvert, veuf, habite avec sa fille Jacqueline le village de Saint-Hilaire. Un jour, il est appelé chez Lucas de Beaumont, descendant d’une vieille famille paysanne, au chevet d'un enfant malade. Ce Lucas est un alcoolique qui mène la vie dure à sa femme. Ses vieux parents retraités et son frère Yves habitent au village. Ce dernier s'est fait instruire et travaille dans une usine de Beloeil pour les Anglais. Il est amoureux de Jacqueline et elle l’aime aussi, mais ils n’osent pas s’avouer leurs sentiments, l’un et l’autre les croyant sans retour.

Un jour, on demande d’urgence le Dr Duvert auprès de la mère de Beaumont qui est très malade. Le docteur étant absent, Jacqueline prépare le médicament et le confie au docteur Léon Verneuil. Il se rend au chevet de la vieille, mais ne réussit pas à la sauver. Ce docteur est amoureux de Jacqueline. Pour forcer l’amour qu’elle lui refuse, il utilise un stratagème sordide : il prétend qu’elle a fait une erreur de posologie et qu’elle est responsable de la mort de madame de Beaumont. Il consent à passer le tout sous silence si elle l’accepte comme amoureux.

Yves, jeune ingénieur brillant, a découvert un nouvel explosif qui pourrait lui ouvrir bien des portes. Il essaie de faire reconnaître sa découverte, mais est trahi par ses patrons anglais qui lui volent son secret et déposent un brevet. Dégoûté de ce monde, il se porte volontaire pour la guerre des Boers.

Pendant son année d’absence, un drame se produit. Le jeune fils de Lucas est malade. Ce dernier demande au docteur Verneuil de venir le soigner, ce qu’il refuse de faire. Fou de rage, Lucas le tue et s’enfuit aux États-Unis. De retour de guerre, Yves, inspiré par les Boers qui se battaient pour conserver leurs terres, voit d’un nouvel œil la terre paternelle que son vieux père a entretenue tant bien que mal depuis la fuite de Lucas. Après bien des détours, Jacqueline (dont le secret n’est partagé que par son père) et lui finissent par s’avouer leur amour. Yves, qui a rejeté toutes ambitions commerciales et techniques, déjà populaire auprès des autres habitants en raison de son instruction, décide de reprendre la terre et de s’investir dans sa communauté terrienne.

Ernest Choquette
Comme c’est le cas dans beaucoup de ces romans, l’intrigue doit servir la thèse de l’agriculturisme. Choquette s’inscrit dans la longue lignée des défenseurs aveugles de l’idéologie de conservation. Il affirme clairement que les Canadiens français ne sont pas de taille à rivaliser avec les Anglais dans les affaires, que leur mission en ce bas monde, c’est de cultiver le sol. « Enracinez-vous donc dans le sol, dans ce sol que vos ancêtres ont ouvert, que vos pères ont cultivé et dont le sein généreux offre à notre race la seule aisance et la seule force désirables. Une autre race s'agite dans le domaine des affaires. Trois siècles de trafic, de négoce, pendant lesquels elle a constamment dominé malgré sa faiblesse numérique, nous convainquent de son invincible supériorité naturelle sur ce terrain. Il n'y a pas à entrer en lutte contre elle. » Tout comme Gérin-Lajoie, il souhaite qu’on instruise ces agriculteurs.

Il emploie des ressorts dramatiques dignes du roman populaire pour faire évoluer l’intrigue : les amoureux de classe sociale différente, le chantage, le meurtre, le bon et le méchant docteur… Pourtant, ce même Choquette nous explique la faiblesse des œuvres « canadiennes » par la pauvreté des ressorts dramatiques disponibles : « […] l'écrivain canadien doit commencer par écarter de son esprit toutes les thèses fécondes et fines susceptibles de reposer sur le divorce, l'adultère, les liaisons libres, vu que rien n'existe suffisamment de cela dans nos mœurs pour en tirer parti avec vérité dans un livre. Il est pareillement tenu de se priver des situations intéressantes qu'il pourrait songer à faire naître des crises religieuses et sociales, des conflits entre l’élément laïque et clérical, entre la libre-pensée et l'orthodoxie, car cela aussi manquerait d'à-propos... N'as-tu jamais réfléchi là-dessus? » Et le docteur Duvert souriait narquoisement en arpentant la pièce... Il reprit : « Mais en face de quelles maigres données se trouverait-il de plus s'il désirait sonder notre âme militaire, analyser nos guerres et nos révolutions dans le dessein d'en faire surgir quelque émotion puissante... Nous n'avons pas d'histoire depuis un siècle... Rien non plus à extraire d’original et de fort des mœurs ou opinions publiques de ce pays, où les débats se livrent sur les chiffres, rarement sur les idées; […] Ici, les conflits sociaux tiennent dans un fait divers.» […] « Laisse-moi aller jusqu'au fond de la question... Pas de théâtre non plus, pas de peinture, pas d'institut, pas de prix littéraires, pas de musées, pas de laboratoires, pas de salles d'armes, pas de bibliothèques publiques, pas de Légion d'honneur, pas de duel, pas de conscription militaire, pas d'école de marine; par conséquent, pas de comédien pour personnage de livre, pas de peintre, pas d'artiste, pas d'immortel, pas d'hommes de lettres de carrière, pas de décoré, pas d'homme d'épée, pas de conscrit, pas de marin, rien, rien... »

L’intrigue est mal conçue : pourquoi avoir fait de Lucas un meurtrier? L'auteur devait s'en débarrasser : alors, pourquoi pas un déserteur? Était-il vraiment nécessaire d’introduire le deuxième docteur si c’était pour le faire disparaître de façon aussi invraisemblable? Ne complique-t-on pas inutilement l’histoire d’amour? ***½


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