19 avril 2019

Cœur magnanime

Rose Monge, Cœur magnanime suivi de Une œuvre d’artiste, Âme de prêtre et diverses poésies, Montréal, Chez l’auteure, 1908, 203 pages. (Préface d’Alphonse Leclaire)

J’ai rarement lu un livre baignant autant dans une religiosité morbide. La religion est associée à la souffrance, à l’abandon, à la résignation, à l’abnégation, au sacrifice, à l’effacement, au déni de soi. Comme si les voies de la religion devaient passer par une forme de masochisme pour qu’elles puissent avoir de la valeur, s’éclairer.

Le recueil compte une longue nouvelle, trois courtes et sept poèmes. Je ne m’attarderai pas aux poèmes qui n’ajoutent rien aux récits.

En introduction, Alphonse Leclaire écrit : « …en l’écrivant notre jeune et délicate romancière a voulu faire un acte de réparation ; elle a voulu faire oublier cet écrivain qui, en retour de notre hospitalité nous paya jadis d’esquisses satiriques et qui, sous prétexte d’écrire un roman vécu, mit au jour un simple pamphlet où les qualités littéraires étaient loin de racheter la malveillance des intentions. » Qui est cet écrivain si peu reconnaissant qui n’est pas nommé? C’est probablement Charles ab der Halden (Études de littérature canadienne-française, Paris, Rudeval, 1904 et Nouvelles Études de littérature canadienne-française, Paris, Rudeval, 1907).

Cœur Magnanime 
Au retour de France, Monsieur et Madame Solier ont adopté un enfant (Rodrigue) dont les parents sont morts tragiquement lors de la traversée. Ils ont déjà une petite fille Anne-Marie. Les deux enfants deviennent inséparables et, devenus plus vieux, amoureux. Quand Rodrigue doit aller parfaire ses études de médecine à Paris, il promet à Anne-Marie l’amour éternel avant son départ; pourtant, il tombe amoureux d’Odile, la jeune fille de 18 ans de ses logeurs et il l’épouse. Le mariage dure peu puisqu’il meurt lors d’une épidémie de typhoïde. Avant de mourir (lire l’extrait), il demande à sa jeune femme enceinte de venir rejoindre Anne-Marie au Canada. Elle meurt peu de temps après avoir mis au monde une petite fille prénommée Carmen. Et les parents d’Anne-Marie meurent aussi.  Le temps s’accélère, Carmen a 16 ans et elle entre chez les carmélites. Elle finit par convaincre sa mère d’en faire autant.

Le frère adoptif qui épouse sa sœur, c’était quand même dérangeant : Monge a choisi un personnage de substitution (Odile) qui ne fera que passer dans le roman. L’enfant de Rodrigue deviendra l'enfant de sa demi-soeur après la mort de sa mère. Mélodramatique et larmoyant, presque insupportable. « Nous savons, nous chrétiens, que Dieu ne nous éprouve jamais au-delà de nos forces, et qu’il proportionne toujours la croix à la faiblesse de nos épaules. Anne-Marie était une vaillante : Dieu la traitait comme telle. Il burinait sa grande âme, comme Il forme les saints, à l’école de la douleur et du sacrifice. Après chaque nouvelle épreuve la courageuse jeune fille se redressait plus virile et plus généreuse encore. À ceux qui la plaignaient sur sa triste et précoce solitude elle répondait avec une angélique douceur : mais je ne suis pas complètement seule ; Dieu ne chemine-t-Il pas avec nous ? »

Une œuvre d’artiste
Un couple vit heureux jusqu’à ce que le mari épouse les thèses des francs-maçons. En voulant détruire une croix, il meurt quand elle lui tombe dessus. Sa femme meurt aussi bientôt et leur fils est recueilli par un vieil oncle qui est potier. L’enfant se révèle très habile, et un sculpteur célèbre le prend sous son aile. Il étudie et, au faîte de son art, il crée une magnifique croix qu’il destine à son village natal. Le crime de son père étant racheté, il entre en religion.

La rançon
Le père de la jeune Marie-Louise est devenu alcoolique depuis que sa femme est morte et qu’il est venu en ville. La jeune fille est remise dans le droit chemin de la religion catholique par une religieuse. Marie-Louise promet de donner sa vie pour sauver son père. Et sa promesse arrive malgré elle : elle est frappée par une bouteille d’alcool qui était destinée à son père. Sur son lit de mort, elle lui fait promettre de retourner à la campagne et de cesser de boire. Ses vœux seront exaucés.

Une âme de Prêtre
Un prêtre, ancien militaire, arrive dans une paroisse du sud de la France où la pratique religieuse  laisse à désirer. Il réussit par son zèle à gagner tout le monde, sauf deux « brebis galeuses ».  C’est en sauvant le fils de l’une d’elle d’un chien atteint de la rage qu’il vaincra ses deux derniers récalcitrants. Sauf qu’il y laissera sa peau.

Les poèmes ont pour titre : Amour, À un petit Oiseau, L’appel Divin, Cœur de Mère, Petit Jean, Résignation et Le Rayon.

Extrait
« Rassemblant ce qui lui restait de force, il se souleva et appelant sa jeune femme, il la serra une fois encore contre son cœur qui allait bientôt cesser de battre.

« Ma petite Odile — lui dit-il — faisons généreusement notre sacrifice. Courbons-nous chrétiennement sous la main qui nous flagelle. Dieu qui venait de nous unir et qui déjà brise nos liens, nous réunira bientôt dans sa sainte demeure. Ne nous révoltons point contre Sa volonté ; elle est toujours subordonnée à son immense amour. Il ne nous éprouve aussi cruellement aujourd’hui que pour nous récompenser plus magnifiquement demain… Je ne te dis donc pas adieu, ma bien-aimée ; mais : au revoir… Cependant je m’en irai plus tranquille, si tu voulais me promettre d’aller trouver Anne-Marie dès que je ne serai plus. Tes parents sont, eux aussi, au terme de leur route, tu seras seule en ce monde : auprès de ma sœur la solitude te sera moins amère. En elle tu auras l’amie la plus sûre et la plus fidèle ; en toute confiance tu pourras te reposer sur ce cœur si bon et si généreux. » Comme la pauvre jeune femme lui répondait, d’une voix pleine de sanglots : « Je partirai. » « Oh ! merci — ajouta-t-il en l’étreignant une dernière fois — merci ma petite Odile ; à présent je puis mourir ! »
C’était une scène poignante, dont longtemps je me souviendrai, que ces tristes épanchements entre ces deux époux, nouvellement unis et dont l’un s’en allait

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