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22 février 2019

Mena'sen


Oscar Massé, Mena’sen, Québec, Typographie Dussault & Proulx, 1922, 123 pages.

Oscar Massé (1880-1949) propose une version originale de la légende sherbrookoise « Le rocher au pin solitaire ». Il l'a rebaptisée de son nom abénaquis : « Mena’sen ». (Voir Wikipedia pour la version traditionnelle)

On est en 1704.  La France et l’Angleterre sont en conflit  (Guerre de succession d’Espagne). Le gouverneur Vaudreuil accepte qu’on mène un raid contre les « Bastonnais », pour solidifier la frontière. On choisit d'attaquer Deerfield, une petite ville du Massachusetts. En plein mois de février, la troupe canadienne, qui compte plusieurs Abénakis dans ses rangs, entame sa marche en suivant la rivière Saint-François, puis d’autres affluents et chemins empruntés par les coureurs des bois. On surprend les habitants de Deerfield en pleine nuit et les Abénakis les massacrent de la façon la plus ignoble. Les Canadiens, sous le commandant d’Hertel de Rouville (1668-1722), mènent une guerre plus classique et s’emparent d’un certain nombre de prisonniers qu’ils pourront échanger éventuellement. Sur les 112 captifs, une cinquantaine seront ramenés vivants, dont Robert Gardner et Alice Morton. Massé nous avait présenté ces deux jeunes personnes, très sympathiques, au tout début. Les otages sont parqués sur l'Île du feu, pour ainsi dire dans la réserve des Abénakis qui deviennent leurs gardiens. Alors que les Abénakis célèbrent la Fête des aïeux, Gardner et Morton décident de fuir en empruntant la Saint-François. Ils réussissent à échapper à leurs poursuivants, mais la jeune fille, bientôt épuisée, meurt. Pour éviter que les bêtes sauvages s’emparent de son corps, Gardner l’enterre sur un rocher qui pointe dans la Saint-François : Mena’sen. Et il plante le petit pin, qui deviendra des centaines d’années plus tard une attraction touristique. Quant à Robert Gardner, épuisé, il se laisse pour ainsi dire couler. Ainsi va la légende du « Rocher au pin solitaire», telle que raconté par Oscar Massé. (Sur internet, on trouve une description, sans doute plus véridique, de la route suivie et de la bataille de Deerfield.)

Tous les commentateurs — et Massé lui-même — admettent que cette histoire aurait pu être mieux racontée. L’auteur a un style très fleuri, utilise beaucoup d’archaïsmes : « Aux branches des pins rameux où pisotent les étourneaux pendent, en festons plus ou moins symétriques, des bandes d’escarlatine. » Mais ce qui est problématique, c’est la structure du récit. Certains chapitres sont consacrés à des personnages qu’on ne revoit plus par la suite. D'autres sont des essais sur les Autochtones, d’autres encore, des tableaux de la nature ou des morceaux d’histoire.  Autrement dit, les différents éléments qui composent habituellement un récit historique sont mal liés entre eux.

Deux remarques supplémentaires : premièrement, il n’est pas fréquent que les héros d’un récit historique canadien-français soient des « Américains », ce qui est le cas dans Mena'sen. Le motif des amants réunis dans la mort en fait des personnages très sympathiques. Deuxièmement, concernant les Abénakis, Massé souffle le chaud et le froid : il souligne leur nature cruelle, revancharde mais, en même temps, il admet que les Européens les manipulent, les détruisent. Du même souffle, il développe toute une théorie concernant l’incompatibilité entre la nature et la culture : « …ne dirait-on pas que c’est la civilisation qui a, non pas transformé ou européanisé́, mais supprimé ou fait disparaître le peau-rouge ? Il y a peut-être plus de vrai — tout paradoxal que cela semble — que de boutade dans cette idée que la civilisation et la nature sont incompatibles! »


Extrait
« Quelle est cette masse informe qui saille du milieu du fleuve ? Ne dirait-on pas un monstre aquatique, quelque tarasque tapie au fond du fleuve et dont la crête émerge ?
C’est Mena’sen, le redoutable dieu terme que, suivant la mythologie abénaquise, il faut, avant de passer outre, propitier par quelque sacrifice expiatoire. On dirait, en effet, dans la plaine liquide, un dolmen qui appète une victime.

Il y a, dans ce rocher qui troue la surface calme des eaux, quelque chose d’insolent qui menace et défie. Mena’sen a l’air rébarbatif, méchant, sinistre. Cette effervescence de vie qui l’entoure, ces effluves printaniers qui flottent dans l’air l’exaspèrent. Cette exubérance est contumélie qui le nargue. Le flot l’effleure de sa caresse mièvre sans l’émouvoir.

Il semble émaner de Mena’sen quelque fluide mystérieux et toxique qui sature l’âme de trémeur. L’absconse goétie du sked-8a8asino abonde en maléfices sataniques: peut-être Mena’sen dégage-t-il, par quelque envoûtement horrible, les malédictions de la tribu qui là-bas implore Ni8askichi de faire périr les fugitifs. (p. 111)

Oscar Massé sur Laurentiana
Mena’sen

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