8 février 2019

Épîtres, satires, chansons, épigrammes et autres pièces de vers

Michel Bibaud, Épîtres, satires, chansons, épigrammes et autres pièces de vers, Montréal, L’Imprimerie de la Minerve (Ludger Duvernay), 1830, 178 pages.

Nous tenons le premier recueil de poésie publié au Canada français. Compte tenu de sa date de parution, on se serait attendu à de la poésie romantique, mais non Bibaud est tout sauf romantique. On y trouve bien un poème patriotique sur Iberville, mais c’est à peu près tout. « Ma muse ignorera ces nobles épithètes, / Ces grands mots si communs chez tous nos grands poètes : / Me bornant à parler et raison et bon-sens, / Je saurai me passer de ces vains ornemens: / Non, je ne serai point de ces auteurs frivoles, / Qui mesurent les sons et pèsent les paroles. / Malheur à tout rimeur qui de la sorte écrit, / Au pays canadien, où l’on n’a pas l’esprit / Tourné, si je m’en crois, du côté de la grâce ». Belle excuse, tout de même!

Comme presque tous nos auteurs du XIXe et du début du XXe siècle le feront après lui, Bibaud commence par s’excuser de nous imposer ses poèmes. Et, pour être sûr que nos attentes ne seront pas élevées, il prend bien soin de préciser qu’il est « plus rimeur que poète », ce qu’on ne lui contestera pas : « Je livre au lecteur / Mon œuvre chétive, / Fruit d'un lourd cerveau, / Qu'à coups de marteau / Il faut que j'active. » Il faut dire que la plupart de ces poèmes (ces coups de marteau!) étaient destinés aux journaux, ce qui explique que plusieurs donnent dans l’argumentation et nous semblent d’inspiration bien prosaïque. Certains poèmes sont datés, ce qui nous permet de comprendre que le recueil a été écrit sur une longue période. Par l’esprit, Bibaud appartient au XVIIe siècle : faire œuvre utile tout en distrayant, voilà son objectif. D’ailleurs, il cite volontiers Boileau, Molière, les auteurs grecs et latins.

Le recueil est très varié. On y trouve des poèmes de 10 pages (Satires et Épitres), des poèmes très courts (Épigrammes), beaucoup d’œuvres de circonstances (Étrennes), des poèmes qui ont des récepteurs très ciblés mais pas toujours nommés (dans les Épitres et ailleurs, les personnes sont souvent désignées par leurs initiales), des poèmes moralisateurs (dans les Satires, il attaque l’avarice, l’envie, la paresse et l’ignorance; dans les Épitres, il défend la modération et la tolérance), des éloges (aux femmes, aux Autochtones), une défense de la langue française, des poèmes engagés (contre les « unionaires », c’est-à-dire ceux qui voulaient unir le Bas et le Haut Canada pour étouffer le poids politique des francophones, ce qui peut surprendre puisque Bibaud est connu pour ses prises de position contre les Rebelles de 1837)… Il ne faudrait pas croire pour autant que le style est toujours sérieux. Le ton est parfois amusé (poème sur les plaisirs de l’alcool, couplets à ajouter à des chansons, « bons-mots », jeux avec des rimes impossibles). Bibaud est un homme d’esprit comme on disait à l’époque. Il peut « causer brillamment » peu importe le sujet qu’il aborde. 

On est surpris de constater qu’il s’y trouve beaucoup de notes de bas de page. Cette poésie est très référentielle et, malgré les notes, beaucoup de détails nous échappent, à moins de connaître d’assez près les débats publics des années 1820. Par exemple, dans le poème « Les orateurs », qui sont ces gens qui débattent sur l’union des deux Canadas? Disons-le, il nous manque une édition critique de notre premier recueil de poésie.

LE DÉLIBÉRÉ (exemple d’épigramme)

Un jour, fatigué des débats
De la journée ou de la veille,
Le juge sur le banc sommeille:
« Chut ! paix ! silence, ou parlez bas, »
Dit Bord, sérieux, à l’oreille
D'un confrère faisant fracas;
« Parlez bas, vous dis-je, confrère;
« C’est le devoir ; ne troublons pas
« Le juge, quand il délibère.

LE BEAU SEXE (extrait)

Plus le beau sexe est vulnérable,
Plus il doit être ménagé :
Honni soit l’homme misérable
Par lequel il est outragé, 
Ou d’actions, ou de paroles :
Honni soit ces croches esprits,
Qui, faisant les malins, les drôles,
Le lardonnent dans leurs écrits.


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