Pierre Baillargeon, Les médisances de Claude Perrin,
Montréal, Parizeau 1945, 197 pages.
Claude Perrin (le nom d’emprunt
de Baillargeon) est déménagé avec sa fille à Saint-Larron. Il n’a plus que quelques
mois à vivre et il écrit ce qu’il refuse d’appeler autobiographie, confession,
mémoires, ou journal intime. Il préfère le terme « portrait ». Son récit alterne entre le passé et le présent : il raconte aussi bien son parcours scolaire
difficile que la visite de M. le Curé, alerté d’apprendre qu’un nouveau
paroissien s’est installé dans sa paroisse. Et il philosophe : « Vieillir,
c’est voir tomber une à une les barrières de la famille, de la société, de la
religion, mais toujours trop tard. »; « Ce que l’on a pleinement
vécu, avec son cœur et son intelligence, on l’oublie. Quel moyen de s’en
souvenir ? Être heureux, c’est s’oublier, c’est être vide... Il n’y a que des
paradis perdus. »
Baillargeon est très critique du
système scolaire, surtout de l’ancien cours classique. Il s’en prend aux
enseignants qui, selon lui, sont tout au plus capables d’enseigner des extraits
des grands auteurs puisqu’ils ne les ont jamais lus. Les étudiants n’apprennent
pas à penser mais à mémoriser et à régurgiter. À la fin de ses études, il ne
sait trop quel métier choisir. Écrire est la seule chose qui l’intéresse, mais
il entre en médecine, études qu’il abandonne trois ans plus tard. Il se marie sans trop
savoir pourquoi, continue d’habiter chez sa mère malgré que cette dernière,
veuve, essaie de le pousser hors du nid, essaie d’écrire sans grand succès.
Finalement, il devient traducteur, et quand il hérite d’un bon montant à la
mort de sa mère, il abandonne sa femme (c’est plutôt elle qui l’abandonne), il voyage.
Et nous voilà revenu au début : il va bientôt mourir.
On ne peut pas dire que cette
autobiographie (lui-même finit par employer ce mot) nous rend le personnage
sympathique. Baillargeon donne trop souvent l’impression de défendre un
parcours qu’il juge lui-même décevant. On lit quelqu’un qui manque d’humilité (« Il
y a pis que d’être sous-estimé, c’est être modeste ») qui veut justifier le
« vide de [s]a vie ». Et Baillargeon pérore et pérore encore, se
lance dans des argumentations abstraites à propos de lui-même, de l’écriture,
du travail, du style (« Hélas! Le problème du style, c’est un problème de
temps perdu, donc une question de pain quotidien »)... Il finit par avouer
que la maxime est son genre littéraire préféré (voir l’extrait). Il n’aime pas
raconter, il décrit peu, son esprit étant plutôt abstrait si bien qu’on en
apprend peu sur sa « vraie vie ». De son propre aveu, il est porté
sur la digression. J’ajouterais que certaines phrases sont syntaxiquement indéfendables.
Extraits
Je ne sais pas parler de la vie.
La vie m’a fait trop de mal. Je n’ai fait que rendre des coups. Me montrer
terrible : façon de me protéger. Trop sensible, j’ai été irritable. L’épigramme
m’est naturelle. L’expression, impossible presque comme prêter le flanc. Perce,
dans tout ce que j’ai fait, l’instinct de conservation. Trop d’impressions
aussi. Ma mémoire, ma conscience pêle-mêle. Il est facile de s’exprimer à ceux
qui ont peu d’idées et qui ne sont capables que d’une impression à la fois :
leur vie logique et simple s’enregistre comme un disque; suffit d’une petite
pointe et de quelques tours pour la raconter d’un bout à l’autre.
Je répugne à raconter des
histoires. Elles sont toutes navrantes comme la vie. Elles sont toutes trop
longues comme la vie.
La vie du roman, sa principale
qualité, c’est la tienne que tu perds à le lire.
La maxime seule est morale. Elle
seule a pour excuse sa brièveté. Elle seule enfin veut être le dernier mot.
Sa tournure
constitue la meilleure des preuves possible; il n’en est pas besoin d’autres;
tout ce qui allongerait la maxime l’affaiblirait. Resserrée extrêmement dans
une phrase, elle n’en est que plus énergique.
(p. 181-182)
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