LIVRES À VENDRE

29 avril 2016

Le grand sépulcre blanc

Émile Lavoie, Le grand sépulcre blanc, Montréal, Edouard Garand, 1925, 72 pages (Illustrations d’Albert Fournier) (Coll. Le roman canadien)

Fin de juillet 1910. Le gouvernement canadien, constatant que des bateaux américains et d’autres nations fréquentent ses eaux territoriales du Nord, pour y chasser les baleines et commercer avec les Inuits, décide d’envoyer une mission pour asseoir sa souveraineté sur la région.  En plus d’obliger les bateaux étrangers à détenir un permis de pêche (voir ce site), le rôle de la mission est de cartographier la région de la terre de Baffin. C’est ainsi que  Théodore Maltais, un ingénieur civil, est inséré dans l’équipe en tant qu’expert scientifique, dans ce  périple qui doit durer un an. Il doit faire des relevés géographiques, topographiques, météorologiques.  En plus, de sa propre initiative, il va tenir un journal qui contient beaucoup d’observations sur la flore, la faune et même sur les us et coutumes des Inuits : la religion, la sexualité, l’hygiène, la nourriture, les vêtements, les habitations...  Voilà pour l’aspect documentaire du roman, aspect si développé qu’on n’a plus  l’impression, parfois,  d’être dans un roman. Le fascicule contient quelques illustrations pour aider le lecteur à comprendre tout cela.

Pour donner un caractère romanesque à cet ensemble qui pourrait sembler rébarbatif au lecteur de « romans populaires » des éditions  Garand, l’auteur Émile Lavoie a imaginé plusieurs petites séquences où le danger guette notre héros : escalade d’une montagne, rupture soudaine des glaces, rencontre de bêtes sauvages, manque de nourriture, blessure… Mais, surtout, il a enrobé le tout d’une histoire sentimentale entre Theodore et une Inuit du nom de Pacca, dont le grand-père adoptif ainsi qu’un de ses oncles avaient du sang blanc dans les veines. Ils ont participé à son éducation, ce qui explique qu’elle parle français, qu’elle soit plus éduquée que ses congénères. Theodore en est si follement amoureux qu’il décide de l’épouser et de passer outre aux exigences de sa mission, malgré ses engagements. Bref, il ne veut pas rentrer au terme de sa mission. Deux ans plus tard, ayant perdu sa femme et son fils dans un accident sur les glaces, il rentre au pays. Il ira finir ses jours dans un monastère en Espagne.

Émile Lavoie est un scientifique. Il est clair qu’il veut avant tout faire œuvre pédagogique dans son roman. Il est parfois difficile de le suivre lorsqu’il écrit sur la géographie des lieux, même s’il nous fournit une carte. Il est plus accessible lorsqu’il parle du quotidien des Inuits. Il veut transmettre beaucoup d’informations et parfois, les moyens employés ne sont pas tellement « romanesques ». Pendant deux chapitres (12-13), il ne se passe à peu près rien, sinon une longue discussion entre le héros et le chef du village qui décrit le mode de vie de sa communauté. Les Inuits sont présentés sous un jour très sympathique. Même leurs mœurs sexuelles et religieuses trouvent grâce aux yeux de l’auteur, ce qui est remarquable pour l’époque. Émile Lavoie écrit bien, mais le travail d’éditeur de Garand est, comme d’habitude, de piètre qualité : au moins 300 fautes et une ponctuation dans les dialogues plutôt désastreuse.  

Qui est Émile Lavoie?
Théodore-Émile Lavoie est né le  17 décembre 1881 à Nouvelle (Bonaventure). Il a épousé Germaine Leclerc, le 8 janvier 1912, à L’Islet.  Émile Lavoie était l’ingénieur civil, responsable des questions scientifiques lors de l’expédition dans l’Arctique du capitaine J. E. Bernier, du 7 juillet 1910 au 24 septembre 1911. On trouve même des lettres et des carnets dont il est l’auteur dans les Fonds d’archives du célèbre navigateur  (Fonds J. E. Bernier). La question qui se pose bien entendu : jusqu’à quel point cette histoire est-elle autobiographique, d’autant plus que l’auteur ne s’en cache pas, puisque dans le texte il ajoute parfois des commentaires qui authentifient certains événements ?

On trouve aussi des informations sur Émile Lavoie dans le Fonds de l’ordre Jacques-Cartier déposé à l’Université d’Ottawa. En 1952, en tant que co-fondateur de l’ordre, il a eu droit à une courte biographie. En voici le résumé :

Il a étudié au  St-Joseph's College, à Watertown, chez  les Pères Capucins à Ottawa et au collège de Rimouski. Il a travaillé un temps avant de reprendre ses études en génie civil entre 1905 et 1910. Il a suivi un « cours spécialisé en magnétisme terrestre et en météorologie à l'Université de Toronto ».  En I9I0-I911, il a accompagné l’expédition du capitaine Bernier dans l’Arctique. Il explore les iles Baffin, Bylot, North-Devon,  Cornwallis et fait le relevé des côtes inexplorées, ce qu’il décrit dans son roman.  Il explore aussi  la côte du Labrador, le détroit et la baie d’Hudson, la baie James et l’estuaire des rivières Rupert et Nattaway. À son retour au pays, il devient fonctionnaire aux Travaux publics, à Ottawa. Il va être l’un des principaux animateurs de l’ordre Jacques Cartier, une société secrète vouée à la défense du français,  fondée en 1926. En 1942, retraité, il s’établit à L’Islet. Une station météorologique porte son nom dans le Grand Nord.

Lire le roman (Édition corrigée)



26 avril 2016

Les éditions Édouard Garand


Logo qui apparaît sur la page de titre
S’inspirant de certains éditeurs français (Flammarion, Fayard, Calmann-Levy), qui connaissent beaucoup de succès en publiant des romans de gare, Édouard Garand crée au Québec la première maison d’édition vouée presque entièrement à la littérature populaire. Ne se contentant pas de choisir des manuscrits et d’imprimer des livres, il va en assurer la diffusion, notamment au moyen d’abonnement, mais aussi en librairie, en kiosque et en  s’assurant que ses livres fassent partie des récompenses de fin d’année dans les écoles. Garand va développer trois collections littéraires : « Le roman canadien», « Le théâtre canadien » et « Le récit canadien », cette dernière étant beaucoup plus modeste. Il va publier d’autres livres, entre autres la deuxième édition d’Émile Nelligan et son œuvre, en 1925. Il va également œuvrer dans les domaines musicaux et cinématographiques. L’éditeur ferme ses portes en 1948.


La collection « Le roman canadien »
La collection « Le roman canadien » demeure la plus grande réussite de Garand. L’iris bleu de Jules Larivière sera le premier titre de la collection qui en comptera 78.  Les romans, vendus 25¢, sont imprimés sur deux colonnes, sur du papier de piètre qualité, dans des fascicules aux couvertures aguichantes, presque toutes signées Albert Fournier. À partir de 1925, on trouve à la fin des fascicules le supplément « La vie canadienne », contenant critiques littéraires, poèmes, contes, extraits de romans à venir, etc., et publicités. Garand paie ses auteurs 50$ par  manuscrit. L’éditeur-homme d’affaires va jusqu’à publier 12 nouveaux fascicules en 1926. Le tirage, plus modeste au début, va grimper jusqu’à 13000 exemplaires. L’éditeur cesse sa production en 1931 : il essaiera vainement de la relancer dans les années 40 en ajoutant quatre fascicules à la collection.

Exemple de publicité
Garand affiche ses couleurs patriotiques en utilisant comme logo une image des patriotes dont la légende « Pour la race » est empruntée à l’abbé Groulx. Pour promouvoir ses romans, il n’hésite pas à faire vibrer la corde nationaliste de ses lecteurs et lectrices : n’est-on pas dans l’obligation morale d’encourager la littérature nationale ? Autre argument commercial qui milite en faveur de ses livres : un comité de lecture, comprenant au moins un curé, s’assure du caractère moral de l’entreprise, sans compter que quelques romans sont écrits par des religieux.

Les auteurs, dont certains vont devenir les vedettes de la maison Garand (Jean Féron, Ubald Paquin, Adèle Bourgeois), publient souvent leurs premières œuvres dans cette collection. Les sujets ne sont pas aussi simplistes qu’on pourrait le penser. Il y a les traditionnels romans sentimentaux et  d’aventures mais il y a aussi des romans historiques assez exigeants tout compte fait, ne serait-ce en raison des développements historiques qui passent par la description plutôt que par le récit. On peut aussi lire un roman sur le développement économique comme Gaston Chambrun,  un roman presque scientifique comme Le grand sépulcre blanc, un roman utopique comme L’impératrice de l’Ungava, un roman policier comme Le trésor de Bigot. 

Pour en savoir plus
Stéphanie Danaux, L’iconographie d’une littérature
Jacques Michon, L’édition littéraire au Québec
Marie-Claude Gagnon, « Les éditions Édouard Garand et la culture populaire »

Voir la liste des 78 titres sur Wikisource.



22 avril 2016

La petite maîtresse d’école

Marie-Anne Perreault (madame Elphège Croff), La petite maîtresse d’école, Montréal, Édouard Garand, 1928, 46 pages. (Coll. Le roman canadien no 56)

Marthe Dubreuil est engagée pour faire l’école dans un rang de Boisjoli. Cela constitue un événement pour le petit hameau de recevoir une nouvelle maîtresse d’école. Quelques familles se disputent son attention : les Audet, les Latulippe... C’est à qui la recevra en premier chez soi. 

La « nouvelle maîtresse » est vite adoptée par les enfants et les « jeunesses » du rang, la plupart filles et fils de cultivateurs. Il y a surtout Raymond Latulippe, un beau gars un peu sauvage qu’aucune fille n’a su dompter jusqu’ici, qui a un béguin pour elle. Et il lui plait bien, mais les choses se gâtent pendant les fêtes de fin d’année. Le fils des Audet, un futur docteur, a invité la jeune maîtresse d’école, invitation qu’elle n’a pas pu refuser. Raymond la boude et il pense même partir et abandonner ses vieux parents et la terre qui lui est destinée. Grâce à une intervention de la vieille tante Charmine, les tourtereaux finissent par joindre à nouveau leurs ailes…

Le récit sentimental occupe l’essentiel du roman. En toile de fond se joue le drame du roman de la terre : qui va assurer la relève ? Certains passages (la tire de la Sainte-Catherine, la corvée des fèves, un mariage à l’ancienne) ancrent davantage le roman dans l’idéologie du terroir. C’est léger, mais non sans charme. 

On y trouve quelques jolies expressions : 

- Tu peux la remercier, notre maîtresse sans cela tu aurais « fumé »... répondit un des jeunes.
- La brunante était répandue sur le petit bois et le « serein » tombait...
- Des tartes à la Fayette 
- En attendant la bonne tire qui fait déjà des « cheveux »
- Dansons au moins les confitures, demandent les jeunes. 
- Le vendeur de plomb ou « tourner l’écuelle » amuse toujours les joueurs. Pendant plusieurs heures, nos jeunes se divertirent à ces jeux, de temps en temps on passait la tire ou une ronde de vin du pays. 

Je ne sais pas, même avec le contexte, ce que sont : une tarte à la Fayette, danser les confitures et les jeux « le vendeur de plomb » et « tourner l’écuelle ». Vous le savez?

Sur Marie-Anne Perreault (Mme E. Croff)

Madame Elphège Croff (1896-1974)


Marie-Anne Perreault est née à Rivière-Ouelle, le 12 août 1896 et est décédée le 2 février 1974 à Rimouski. L’essentiel de sa vie s’est passé à Price, tout près de Matane.

À l'âge de 17 ans,  elle vient à Price pour enseigner à l'école du village. Elle aurait acquis son diplôme à Saint-Pascal de Kamouraska. Combien d’années dure ce premier séjour à Price? On l’ignore.

Ce qu’on sait, c’est qu’elle a déménagé à Québec puisque dès 1924 elle écrit des articles dans L'Apôtre (revue publiée à Québec de 1924 à 1931) et à partir de 1926, elle signe la rubrique « Foyer » de L’Action catholique sous le pseudonyme de Jeanne Le Franc. Elle tient aussi la page féminine dans L'Écho du Bas Saint-Laurent de Rimouski en 1926. Cette même année et à Québec, elle épouse Elphège Croft (1886-1972) qu’elle avait connu lors de son séjour à Price et qui était veuf depuis 1917. Ils n’auront pas d’enfant. 

Utilisant son nom nom de femme mariée, en le transformant légèrement, elle publie cinq livres. En 1927, elle fait paraître un recueil de ses chroniques : Les heures brèves aux presses de l'Action Sociale. Puis, coup sur coup, elle signe trois romans dans la populaire collection d’Édouard Garand, « Le roman canadien » : L'Enjôleuse (1928), La Petite Maîtresse d'école (1929) et Celle qui revient (1930). On trouve un compte rendu de ces quatre œuvres dans le DOLQ. Enfin, en 1931, elle publie une monographie sur Rivière-Ouelle (Nos ancêtres à l’œuvre à Rivière-Ouelle, Albert Lévesque, 1931), dont des pages sur la pêche aux marsouins, presque disparue à l'époque. Rappelons qu’elle est née à Rivière-Ouelle.

Quand le couple revient-il à Price? On n’en est pas sûr. Selon la tradition orale de l’endroit, elle aurait ouvert une école commerciale sur la rue de la Gare à Price, en 1929. Cette école, L’Institut Croft, ne sera incorporée qu’en 1962 et fermera ses portes en 1967-68, probablement en raison du développement du réseau scolaire public. On sait aussi qu’elle a fondé Le Cercle des fermières de l’endroit en 1939. À son décès, elle a légué des biens à la fabrique, et aussi à ses anciens élèves. Qui a hérité de ses écrits littéraires? On ne le sait pas… jusqu’à maintenant, du moins.

La presque totalité de ces informations est tirée de la revue Le Reflet (Vol. 10 Nos 1 & 2, juin 2001), organe du Comité du patrimoine de Price. Les articles sont signés : Janine Corriveau et Anita Langlois. Monsieur Fabien Boucher nous a transmis ces articles.

(à venir : son roman La petite maîtresse d'école)

15 avril 2016

L'héritage maudit

Frère Gilles,  L'héritage maudit : nouvelle canadienne,  Montréal, La Tempérance, 1919, 64 pages. 

« Ebrii gignunt Ebrios » (Plutarque) :  un ivrogne en engendre un autre, cite le Frère Gilles en exergue. Et il conseille aux mamans de mettre ce livre entre les mains de leur fille.

Céline Larrivée vit seule sur la ferme avec son vieux père, son frère, qui devait hériter du bien paternel, étant décédé. Plusieurs garçons lui tournent autour, mais c’est Cyprien Lachance qui lui tombe dans l’œil. Et quand son père meurt subitement, c’est lui qu’elle engage comme fermier. Or son père ainsi que sa tante l’ont mis en garde contre Cyprien qui a la réputation d’être un buveur.  

Céline l'épouse quand même et les malheurs ne tardent pas à venir : il est un mauvais fermier et la terre périclite. Il se rend de plus en plus souvent à Montréal où il fait la noce avec son frère. Finalement, il décide d'y déménager sa famille (3 enfants). En ville, c’est la débandade complète. Il boit, devient violent, la famille manque de tout. Dans une de ses colères, il bouscule sa fille aînée qui en meurt. Au sortir d’une de ses beuveries, il se bat, est grièvement blessé et, incapable de se laisser soigner sans boire, il succombe à ses blessures. Ne reste plus à Céline et à ses deux enfants qu'à rentrer au bercail. Le fermier qui loue sa terre, et qui est depuis toujours amoureux d’elle, est prêt à libérer la maison. Le curé, mis au courant de tout cela, nous apprend que Cyprien avait un père alcoolique qui lui avait transmis cet héritage maudit. « Aux chantiers, s'était réveillée en lui cette soif latente de la boisson qu'il avait héritée de son père; il a tout sacrifié pour assouvir cette soif de damné. Vous étiez ici à son mariage. Vous avez vu les progrès du mal, et vous en voyez aujourd'hui les conséquences funestes. C'est lui qui a reçu l'héritage maudit. »

C’est un roman du terroir, ce dont ne rend pas compte le résumé. La transmission du bien paternel, l’idéalisation du paysan qui collabore avec Dieu, l’aspect formateur et vivifiant du travail agricole, la perpétuation de l'héritage des ancêtres, la ville mauvaise sont tous des thèmes classiques qu’on retrouve dans ce petit roman. « Il dit les joies pures dont la terre avait fleuri son existence, en échange de ses soins mercenaires. Devant elle, il ne voyait ni maître ni serviteur, car après tout, la terre n'appartient qu'à Dieu. Il se reconnaissait le gérant de cette infime portion confiée à ses soins pour ce peu de temps qu'est la vie. Comme il avait reçu cette terre de ses ancêtres, de même il devait la rendre à ses enfants. Si, pour remplir ses devoirs envers elle, il avait besoin d'aides, il ne voyait pour tous qu'un même devoir dans un même intérêt et un même amour. Et d'un geste large, embrassant tout le bien : Voilà, après Dieu, dit-il, celui que nous servons! »

Par contre, et c’est en cela qu’il est différent, sa thèse principale a plutôt trait à l’alcoolisme. C’est un roman à thèse, à visée morale, qui incite les jeunes filles à éviter les beaux parleurs qui fréquentent la « bebotte » : « Il semblerait même que le malheur est promis à ceux qui renient la terre, pour se prostituer à l'amour de la boisson par exemple, comme ce pauvre Cyprien. » Inutile de dire que la démonstration du Frère Gilles ne fait pas dans la dentelle : Céline trahit la mémoire de son père, est battue, met au monde un « pauvre petit être rachitique, scrofuleux », doit mendier. Pourtant, en tant que narrateur, le frère Gilles ne semble pas scandalisé qu’une religieuse incite Céline à la résignation : « Elle dit qu'elle avait le droit de pleurer pour son mari, pour ses enfants... Mais dès lors qu'il s'agit des autres, c'est debout qu'il faut souffrir... Le sacrifice est une fête entre l'âme et Dieu... elle goûterait comme II est doux, car II a tant souffert !... » Donc, si on a bien compris, « tu dois éviter les alcooliques, mais si tu en épouses un, endure ton malheur ».

Autres romans qui prêchent contre l'alcoolisme :
L'obscure Souffrance de Laure Conan
Autour d'une auberge de A. C. de Lisbois

8 avril 2016

Étincelles

Moïsette Olier (Corrine Beauchemin), Étincelles, Le Nouvelliste, Trois-Rivières, 1936, 221 pages. (Cinq linogravures pleine page d’Henri Beaulac) Le roman est d’abord paru sous le titre Cendres dans le journal Le Bien public. Étincelles en est une version remaniée.

On est au XIXe siècle. Jules Thibaud, 14 ans, travaille aux Forges du Saint-Maurice. Devenu le protégé  des propriétaires, les Maxwell, il grimpe rapidement les échelons si bien qu’à 20 ans il est contremaître. Jeune homme brillant, il n’en a que pour son travail au grand désarroi des filles. Un jour, il engage un veuf qui vit seul avec sa petite fille Reine-Marie. Comme un peu tout le monde, Jules Thibaud tombe sous le charme de l’enfant. Quand son père meurt, Jules décide de l’adopter. Toujours célibataire, il accueille aussi chez lui le vieux couple qui l’a hébergé depuis qu’il travaille aux Forges, les Morin. Les années passent, la jeune fille poursuit ses études chez les Ursulines. À vingt ans, elle est devenue une jolie fille que tous les garçons courtisent. Aucun ne trouve gré à ses yeux. Il faut dire que l’« oncle » Jules surveille de près sa filleule. Sans qu’ils puissent se l’avouer, ils sont amoureux, ce qui ne sera dit que dans la dernière scène du roman.

Je ne reviendrai pas sur l’aspect historique, sur le réalisme des descriptions, sur la présence de certaines légendes (dont la célèbre « Fontaine du diable », Alain Saint-Onge l’ayant déjà fait dans son blogue Le carnet du flâneur. Ce sont les aspects les plus intéressants du roman.

Ce qui nous trouble quand même un peu, bien que rien de déplacé ne survienne, c’est la relation presque amoureuse entre Reine-Marie et Jules alors qu’elle est encore enfant. Tout se passe comme s’il devinait que cette petite serait un jour sa femme. Mais encore une fois, il ne pose aucun geste répréhensible, les deux vieux veillent sur leur vertu et la morale est sauve. Il n’empêche que c’est un joli cas pour les amateurs de psychanalyse. Sur le plan symbolique pointent l’inceste et le complexe d’Œdipe... « Au fond de ses pensées, il essayait de se faire une image de cette lointaine Angèle [la mère décédée de Reine-Marie], dont la tendresse amoureuse avait su allumer dans le cœur de son homme une flamme aussi durable. Il lui prêtait la physionomie de petite Reine, ses yeux de braise, sa tête bouclée... et se troublait de trouver l’image si attirante. » Disons que cela passe mal à notre époque.

L’autre aspect qui mérite d’être souligné, c’est l’état d’infériorité des Canadiens français. Certes les Maxwell, qui vivent dans l’opulence et l’oisiveté, sont présentés comme de « bons boss », mais il n’empêche qu’autour d’eux, certains abusent de leur pouvoir. C’est ce que découvrira Reine-Marie lorsqu’elle travaillera lors d’une fête dans la Grande Maison. Et que dire de cette pratique : « Au cours de l’après-midi, le jeune Anglais, en quête de distraction, parut au haut-fourneau. Un ouvrier s’empressa d'accomplir le rite cher aux artisans français et resté en honneur aux Vieilles Forges. Il s'avança pour frotter les chaussures de l’étranger... »

Voir aussi :
Étincelles dans Le carnet du flâneur

Moisette Olier sur Laurentiana

Pour aller plus loin :





4 avril 2016

Mme Graveline

Comme je le disais il y a quelques jours, dans le cadre du projet Québec/Canada, des Wikisourciens bénévoles numérisent, entre autres, les romans  publiés chez Garand entre 1923 et 1944. Pour la plupart des auteurs, on trouve une courte biographie, suffisante pour déterminer si les droits sont libres ou non. Mais il y a des exceptions. Par exemple, y a-t-il quelqu'un qui sait qui est cette Madame Graveline qui n'a même pas de prénom ?


1 avril 2016

L'impératrice d'Amérique


Pierre Aldan  (Lefebvre, J. A), L'impératrice d'Amérique, Montréal, LeFebvre, 1928, 326 p. (Illustrations de Serge Lefebvre)

« Ce livre n’est pas une œuvre littéraire proprement dite ; ses auteurs n’ont pas visé à la perfection du style, au coloris des expressions, à la richesse de la langue. Ils ont travaillé à la hâte, sachant qu’ils ont devant eux une tâche longue et ardue. En effet, ce livre est le premier d’une série de douze volumes. » À ma connaissance, ce sera le seul volume qui sera publié.

Plus loin dans « l’avertissement des auteurs », Aldan, comme tout romancier historique, prétend faire œuvre « patriotique et nationale » en facilitant l’étude de l’histoire. Il avoue s’être largement inspiré de documents historiques qu’il cite. Il en aurait même reproduit certaines parties. On retrouve deux textes en appendice : un texte de l’abbé Morel sur Roberval et un extrait du voyage de Jacques Cartier.

Comme c’est souvent le cas dans le roman historique, l’histoire, l’aventure et l’amour se coudoient.  Dans le cas présent, les amoureux ont pour nom Marguerite de Magdaillan, nièce du sieur de Roberval, et Jehan de la Salle, propriétaire de chalutier et pêcheur sur les bancs de Terre-Neuve. Aldan s’est inspiré d’une histoire connue que Robert LaRoque de Roquebrune a raconté dans Canadiens d’autrefois (p. 15 et suivantes). Marguerite de Navarre s’en serait aussi inspirée. Quant à la partie historique, elle a pour sujet le voyage que La Roque de Roberval fit au Canada en 1542.

Lors de son second voyage, Jacques Cartier a ramené des autochtones, dont Donnacona, qui prétendaient qu’il y avait de l’or en Nouvelle-France. Voyant que les Espagnols avaient rapporté beaucoup de richesses d’outre-mer, Francois 1er confie à Roberval la mission de fonder une colonie chrétienne, mais surtout de rapporter l’or s’il en trouve.  Roberval a un homme de main, Noire-Fontaine (le méchant dans l’histoire). Comme il manque un bateau pour mener à bien l’expédition, Noire-Fontaine et ses hommes  s’emparent de celui de Jehan de la Salle. Pour l’essentiel, des truands et des filles de joie composent l’équipage. Mais on y trouve aussi quelques nobles, dont Marguerite de Magdaillan, nièce de Roberval. Le 16 avril 1542, Roberval et sa troupe quittent le port de La Rochelle.

Pendant la traversée, la nièce de Roberval s’aperçoit qu’on l’a trompée. Pour la convaincre de participer à l’aventure, on lui avait fait miroiter qu’elle deviendrait impératrice du Nouveau-Monde. Noire-Fontaine et Jean de la Salle sont tous les deux amoureux d’elle. Noire-fontaine va même jusqu’à l’assaillir. Jehan de la Salle réussit à l’extirper des griffes de son agresseur, même s’il est en quelque sorte prisonnier sur son propre bateau. Frustré, Noire-Fontaine jure de se venger : il convainc Roberval d’abandonner la jeune fille avec sa duègne, sur l’Ile de Brion. Un marin ivrogne doit les accompagner. Heureusement, un allié de Jean de la Salle se joint au groupe.

Roberval croise Cartier à Terre-Neuve et lui ordonne (il a été nommé vice-roi de la Nouvelle-France) de se joindre à son expédition. Cartier, dont les cales de ses navires sont pleines de quartz et de pyrite (l’or du Canada), s’enfuit et rentre en France. Roberval se rend à Québec à l’endroit où Cartier a hiverné. Il explore les alentours. De la Salle profite d’une expédition au Saguenay (à la recherche de l’or) pour reprendre son bateau et vole au secours de sa bien-aimée. Noire-Fontaine est tué dans l’affrontement. Jehan et Marguerite rentrent en France et se marient. Bientôt, ils sont convoqués par le roi qui est touché par le récit de leurs aventures. Il nomme Jehan chevalier et lui confie comme mission de voler au secours de Roberval, ce qui est fait en 1543. Quant à Roberval, l’hiver et le scorbut ont décimé sa troupe et c’est en oncle repentant qu’il accueille sa nièce et son « nouveau » neveu.

Les Autochtones jouent un rôle secondaire. On y voit surtout les deux fils de Donnacona qui se battent pour la succession de leur père mort en France. L’un est ami des Français et l’autre, leur ennemi. L’auteur décrit de façon très positive les liens des Autochtones avec leur environnement.

Comme Aldan l’annonce dans l’« avertissement des auteurs », il a tiré de larges extraits de documents historiques, extraits, il faut bien le dire, sans aucun lien avec l’intrigue qu’il nous sert. Ces passages (dont l’un de 23 pages) sont entre guillemets et la source apparait en note de bas de page. Peut-être que cela pourrait expliquer l’échec de son entreprise : le récit d’aventures et l’histoire amoureuse sont trop rapidement expédiés pour retenir le lecteur.

Extrait
« Les assertions de Donnacona, sur l’existence de l’or et le nombre des tribus sauvages, dans le lointain pays, étaient venues ajouter encore aux affirmations de Noire-Fontaine. Il n’en fallait pas tant pour con- vaincre l’esprit enthousiaste et léger de Roberval. Mais la question de subsides se posait. Malgré son faste, et à cause de cela même, le gentilhomme était pourri de dettes ; ses terres étaient grevées d’hypo- thèques, quelques-unes mêmes avaient pris la route de la vente aux enchères. Bref, l’aide royale était nécessaire.

Pour l’obtenir, il fallait encore supplanter Jacques Cartier qui, quelques mois auparavant, avait obtenu des lettres patentes lui donnant droit de commerce et d’autorité sur les terres de Terre-Neuve et du Canada. Le prestige de Roberval et la ruse de Noire-Fontaine suppléèrent à tout.

On représenta au roi tout l’avantage qu’il pourrait retirer, dans ses guerres avec Charles-Quint, de l’or de l’Amérique et même des robustes et infatigables guerriers peaux-rouges, stylés à l’européenne. Le roi, devant les assurances qu’on lui apporta, trop heureux de trouver ainsi le moyen de relever le trésor français et de combattre l’Espagnol avec plus de vigueur, tout en faisant plaisir à un de ses très chers sujets, se laissa facilement convaincre et, le 15 janvier 1541, Roberval recevait des lettres patentes qui le constituaient lieutenant-général de l’expédition dans la Nouvelle-France, 300 livres étaient accordées comme subsides, dont 300 livres à Roberval et le reste à Cartier, nommé pilote général.

Les lettres patentes donnaient le droit d’embarquer sur les navires, les prisonniers et détenus des îles de Sa Majesté et toutes autres personnes qui désireraient partir; ces gens devaient former le noyau la colonie.

L’esprit fertile et peu scrupuleux de Noire-Fontaine avait élaboré les plans de voyage et avait inclus au nombre des passagers Marguerite de Magdaillan, sa duègne et la jeune nièce de Donnacona. La pupille de Roberval attirait étrangement cette âme de forban par sa grande beauté virginale et surtout par les attraits de sa fortune considérable. Il espérait que, pendant le voyage, un hasard providentiel la jetterait dans ses bras, elle et ses millions. » (p. 31-32)