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19 février 2016

L’Obscure Souffrance

Laure Conan (Félicité Angers), L’Obscure souffrance, Québec, L’Action sociale, 1919, 115 pages. (Le texte est d’abord paru dans la Revue canadienne en 1915 et 1919)

En plus de L'Obscure souffrance qui occupe les 75 premières pages,  le recueil contient une seconde partie intitulée « Aux Canadiennes ».

L’Obscure Souffrance
Ce journal intime, qui pourrait être en partie celui  de l’auteure, est dédié « à toutes celles qui souffrent ». Il s’étale sur 10 mois, de mai 18… à mars 18... Conan raconte les malheurs d’une jeune femme qui est piégée dans une vie qui ne mène nulle part. Il y a 10 ans passés, elle  a promis, à sa mère, sur son lit de mort, de prendre soin de son père. Or ce dernier est un alcoolique violent (rien à voir avec le père de l’auteure) et, en plus, il s’est remarié avec une femme qu’elle déteste. Il gâche à ce point sa vie qu’elle en  vient à souhaiter sa mort. Elle voudrait bien s’investir dans un projet stimulant, mais elle n’en a guère la possibilité. « Si je pouvais me réfugier dans un travail absorbant. Une application quelconque de l’esprit me serait une distraction salutaire. Mais non. Il faut être aux misérables tâches quotidiennes qui me répugnent jusqu’à la nausée. » (p. 13)

Son journal raconte sa lutte quotidienne contre le désespoir et sa révolte mal contenue, et la culpabilité qui s’ensuit. Même ses principes religieux sont rudement mis à l’épreuve : « Un jour du mois de mars dernier, malgré un temps affreux, j’étais allée de bonne heure à la messe. Le cœur plein de tristesse et d’âcreté, je m’en revenais, et le dégoût de la vie s’augmentait de la révolte contre Dieu dans mon âme. J’étais horriblement tentée de blasphémer. » (p. 21)

Pourtant, elle n’a qu’une issue et c’est son confesseur qui la lui dicte : elle doit accepter cette vie et réaliser que c’est le chemin tracé par Dieu pour elle : « Seigneur Jésus, Dieu de mon amour, je m’abandonne à toutes vos volontés. Délivrez-moi de la crainte de souffrir. Arrachez-moi aux pauvres et vains désirs du bonheur de la terre, à tous les riens de cette vie qui sera si vite passée. Donnez-moi l’intelligence du mystère de la croix. C’est avec confiance que je vais à ma tâche. La souffrance est une semence que vous bénissez. » (p. 76)

Ce que je déplore, c’est que le lecteur n’a droit qu’aux épanchements désespérés. Presque rien ne transpire du quotidien et de son environnement; les personnages qui composent sa vie sont à peine esquissés. En quoi est-elle si terrible ce père alcoolique, on peut le deviner mais on ne le verra pas. Ne restent que les lamentations d’une femme malheureuse.


Aux Canadiennes
J’ignore la petite histoire de cette deuxième partie du recueil. Ce n’est pas un récit mais un long plaidoyer contre l’alcool. Les chiffres qu’elle fournit sont étonnants (peut-on vraiment s’y fier?) : « Le Canada n’a pas une population de huit millions et il s’y consomme annuellement pour $125,000,000 de liqueurs enivrantes. La seule province de Québec dépense pour les spiritueux $25,000,000, somme cinq fois supérieure à son revenu annuel. » (p. 84)

Le but de ce discours (c’aurait pu être une conférence), c’est d’engager les femmes dans la lutte contre l’alcool. Et pour ce, ses arguments font appel aux vertus et rôles qu’on attribuait à la femme à l’époque. D’ailleurs, c’est probablement ce qui est le plus intéressant dans ce texte, car on perçoit la conception qu’on se faisait des femmes :

« Les autorités religieuses et d’éminents laïques déploient un zèle admirable. Mais, soyez-en sûres, on ne gagnera pas la bataille sans vous. Les sociétés de tempérance n’ont chance de durer que si vous vous en mêlez. Si vous n’usez de votre influence, les engagements seront bientôt violés ; les sociétés s’affaibliront, se désuniront ; et oublieux de leurs promesses, les associés retourneront à leurs égoïstes habitudes, sans songer aux faibles qu’il faut aider, à la jeunesse qu’il faut protéger, qu’il faut préserver. L’Église n’a point d’auxiliaires qui puissent vous être comparés. C’est l’amour qui nourrit l’esprit de lutte et de vaillance ; c’est l’amour qui rend l’espoir invincible. » (p. 85)

« C’est la femme qui fait les coutumes, les usages, les modes et les mœurs. » (p. 86)

« Ce que vous pouvez, Mesdames... mais vous pouvez tout... Si vous n’avez pas l’autorité, vous avez le charme, — l’influence souveraine, irrésistible, et vos devoirs sont le fondement de la vie sociale comme de la vie humaine. À vous sont dévolus les soins de santé, d’hospitalité, tout le détail des choses domestiques. Vous êtes les gardiennes, les reines du foyer. Au nom de ceux que vous devez préserver, que vous devez défendre, que ce foyer — source de la vie nationale — ne soit pas une école d’intempérance, mais que la sobriété y soit en honneur... que les enfants y fassent le glorieux apprentissage des vertus chrétiennes, que la jeunesse n’y puise pas le goût des spiritueux... que les buveurs n’y trouvent jamais l’occasion de satisfaire leur passion. » (p. 89)

« C’est la femme qui est l’âme du foyer, c’est elle qui communique et ranime les sentiments mobiles éternels des actions — c’est elle qui entretient au foyer le feu céleste. La femme a le devoir de sanctifier la vie de famille, elle a le devoir d’ennoblir les rapports sociaux.» (p. 93) 


Laure Conan sur Laurentiana

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