Bédard Luc & J.-Albert Foisy, Plus qu’elle-même, Québec, s.e., 1921,
244 pages. (En appendice, p.
223-244 : La question ontarienne; quelques documents)
L’action commence en 1917 à Fall-River, Massachussetts. Wallace Reed, un
jeune industriel, avant de partir à la guerre, demande en mariage Marie-Claire
Lemay, sa secrétaire. Il est protestant, elle est catholique. Pendant que son
futur mari joue au héros en Europe, Marie-Claire, pour s’occuper, trouve un
poste d’enseignante chez les Sœurs. Celles-ci déplorent son projet de mariage
avec un Anglais. Elles font tant et tant vibrer sa corde nationaliste que la jeune fille accepte un poste de professeur
de français en Ontario. L’Association canadienne-française d’éducation cherche
des professeurs bilingues pour contrer le règlement 17. Sa famille, en partie
anglicisée, n’est pas contente de son
projet. Son père, sûr qu’elle reviendra bientôt, consent à son départ.
Après un
pèlerinage à Québec et à Montréal, elle débarque à Ottawa. L’Association
canadienne-française lui propose un poste d’institutrice dans une nouvelle paroisse
majoritairement francophone du nom de Bue-Hill (!). Tout va bien jusqu’à ce
qu’un inspecteur lui rende visite : il l’intime de respecter le règlement
17, soit de donner son enseignement seulement en anglais. On menace de la
destituer. La population et la jeune femme résistent mais c’est surtout
L’Association canadienne-française d’éducation qui mène la lutte sur le plan
juridique. Finalement le règlement 17 est abrogé et l’école française de
Blue-Hill peut reprendre une vie normale. Comme la guerre est finie, Wallace
revient couronné de gloire. Il vient rencontrer sa fiancée à Blue-Hill.
Celle-ci est partagée entre ses deux amours : Wallace et sa mission dans
sa nouvelle communauté. Finalement, elle décide de rester et de continuer sa
mission.
C’est un roman à thèse dans lequel on explique beaucoup mais on raconte
peu. À part de l’héroïne, les personnages sont à peine esquissées. Il y a très
peu d’interaction entre les deux personnages principaux qui, la plupart du
temps, échangent des lettres. Par ailleurs, il semble plutôt incongru qu’il
faille passer par le Massachusetts pour parler du problème des écoles
françaises en Ontario.
On a oublié trop facilement toutes ces communautés hors Québec qui ont
dû lutter pour leur survivance. Le roman nous fait vivre de l’intérieur le
problème des écoles françaises en dehors du Québec. Il nous donne aussi un aperçu
de la communauté canadienne-française de Fall-River : « Regarde
Fall-River, pour ne prendre que cet exemple-là: les Canadiens-français qui y
étaient jadis 10,000, y sont aujourd’hui 45,000. Ils y ont leurs paroisses
florissantes, leurs communautés et leurs écoles prospères, leurs collèges,
leurs sociétés d’hommes, de femmes et de jeunes gens, pleines de vie, d’élan et
d’activité. Et partout il en est de même, les hommes politiques
franco-américains se sont affirmés supérieurs dans la Nouvelle-Angleterre, les
Pothier, les Dubuquc, les Archambeault sont réputés: dans la magistrature, ils
se font remarquer aussi, et jusqu’à la cour supérieure. » (p. 106-107)
Le Canadien français exilé vit un problème identitaire, de façon encore plus
aiguë pour ceux de la seconde génération, comme l’exprime le frère de l’héroïne :
« —Nous ne sommes pas des Canadiens-Français. Nous sommes des
Franco-Américains. Il y a aujourd’hui autant de différence entre nous et les
habitants de Québec, qu’il y en a entre Québec et la France. Nous appartenons à
la race américaine et la langue française dans notre nationalité n’est qu’un
accident plus ou moins apparent. Tandis que les Canadiens sont les vassaux de
l’Angleterre, nous sommes les citoyens libres d’un pays libre. Pendant qu’ils
se débattent dans les entraves du “colonialisme”, nous jouissons des
prérogatives de la souveraineté nationale. Notre avenir est ici, nos intérêts sont
différents; il n’y a plus, pour nous rattacher au Canada, que des souvenirs
pénibles. » (p. 101)
Marie-Claire va lui rétorquer ceci : « Tu aurais raison, Francis,
s’il s’agissait de la nationalité au sens légal, c’est-à-dire du pays dont le
gouvernement nous administre, mais ce n’est pas cela que j’entends. Pour moi le
mot patrie a un sens plus large et plus vrai. La Patrie, vois-tu, c’est la
terre que l’on aime comme on aime une mère; c’est le pays en qui s’incarnent
notre idéal et nos aspirations, celui où vit notre cœur parce que notre âme y a
été formée par des générations qui nous ont précédé et qui ont légué le
meilleur de la leur. Or, ce pays-là, pour nous, c’est le Canada, et c’est parce
que nous portons en nous cette âme faite à l’image de celle de nos aïeux que
nous formons, ici, comme un peuple à part, qui contribue, sans doute, à la vie
nationale, qui en assume les charges comme il en retire les avantages, mais
qui, malgré tout, est une race différente. »
Ce n’est pas un grand
roman mais les amoureux de la « petite histoire » y trouveront leur
compte.
Lire le roman sur Internet archive
Le Guide français de Fall-River
Mass. (1909, 862 pages)
Sur le Règlement
17 : Wikipedia
Sur J-Albert
Foisy, voir le DOLQ.
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