Henri Gaillard de Champris, Les Héroïques et les Tristes, Québec, Le Soleil, 1924, 251 pages.
Henri Gaillard de Champris, professeur titulaire, agrégé de l'Université de France, docteur es lettres de la Sorbonne a été aussi professeur de littérature française à l'École normale Supérieure de Québec. Il a écrit plusieurs livres, la plupart des livres savants, et en a publié quelques-uns au Québec. Les Héroïques et les Tristes, composé de six nouvelles, est l’un de ceux-là.
Le secret enseveli
François Dolmer et le comte de Beaumont-Vatel brigue une chaise à l’Académie française. Dolmer est un écrivain renommé tandis que le comte table plutôt sur la puissance de son titre. Ce dernier organise une campagne de dénigrement contre son adversaire. Dolmer a en main un roman autobiographique non publié de qualité qui lui assurerait la victoire, mais il refuse de le faire paraître pour ne pas ternir l’image d’une femme aimée.
M. Albéric Variot, professeur
Albéric Variot rêve de gloire littéraire. Il travaille sur un livre qui doit le rendre célèbre. Il épouse la fille d’un épicier qui a d’autres ambitions, Le mariage bat rapidement de l’aile. Les années passent, viennent les enfants et le livre n’avance pas. Quand il meurt, l’œuvre qui aurait dû le rendre célèbre est toujours en chantier.
Le cadet
Henri de Boismorand a appris qu’Anne-Marie, la femme de son grand frère, celui–là même qui a joué le rôle du père auprès de lui, a une liaison avec le baron de Valplan. Pour protéger l’honneur de son frère, il provoque Valplan en duel et se laisse tuer : ainsi, pense-t-il, sa belle-sœur va renoncer à sa liaison et le bonheur de son frère sera sauf. (Lire l’extrait)
Un homme d’honneur
Le comte Elzéar de Pontaillac mène une vie déréglée. Il a ruiné sa famille : sa femme et sa fille vivent loin de lui. Un jour au cabaret, il mise un 500 000 francs qu’il n’a pas. Il court vers sa femme pour éponger cette dette. Celle-ci finit par aller voir un débiteur, un aristocrate qu’elle connaît bien, pour qu’il abolisse la dette, ce à quoi il consent. Le comte, au lieu de s'en réjouir, ne ressent qu'une grande humiliation et se suicide.
L’Expiation
Après avoir écrit des romans de nature à « corrompre la jeunesse », romans qui circulent toujours sous le manteau, Louis Derfeuil s’est rangé. Plus encore, un peu parce que cela servait ses intérêts, il s’est rangé du côté de la droite catholique. Il a un fils très pieux qui devient missionnaire. C’est lui qui expie pour les frasques de jeunesse de son père. Son père découvre le tout dans le journal posthume de son fils.
La mort de l’apostat
Dominique Salignac est un prêtre promis à un brillant avenir. Rapidement il découvre que dans le milieu clérical les jeux de coulisses ne sont pas toujours propres. Lui-même en est victime. Il rencontre une riche Anglo-protestante exaltée convertie au catholicisme. Poutant, il finit par quitter l’église catholique et même par fonder une famille et une nouvelle église avec elle. Sur son lit de mort, alors qu’il doute de ses choix de vie, sa femme et son fils empêchent tout curé de venir à son chevet de peur qu’il renoue avec le protestantisme.
Un peu étrange de lire des histoires aussi françaises publiées chez un éditeur québécois. De Chambris met en scène l’aristocratie et la droite catholique, bref la vieille France attachée aux valeurs les plus traditionnelles. Tous les autres ne semblent pas exister. Par moment, compte tenu de la place qu’occupe l’analyse, on se dirait chez Proust. Le tout est fort bien écrit.
Extrait
Jusqu'au dernier moment, Henri était demeuré fidèle à sa volonté de venger, par la mort de Valplan, son frère et sa famille. Il se vantait aussi que, le baron disparu, sa belle-sœur l'oublierait bientôt et pour jamais.
Puis, le matin même, à son lever, il avait pressenti la fragilité de son espoir. Si Anne-Marie aimait vraiment Valplan, cesserait-elle de l'aimer après sa mort ? Ne devinerait-elle pas, au contraire, les raisons de ce duel ? Ne se croirait-elle pas obligée de demeurer, par delà la tombe, fidèle à l'homme dont elle aurait causé la perte ? Et, alors, ne détesterait-elle pas, avec le meurtrier de son amant, celui-là même dont Henri aurait défendu la cause ?
« Ainsi, raisonnait le jeune homme, mon intervention demeurerait vaine, dangereuse même, puisqu'ayant tué l'amant, j'aurais ravivé l'amour. »
Or, s'il demeurait sensible à la joie de la vengeance, il poursuivait surtout une œuvre de réparation. Plus que contre Valplan, il voulait agir pour Philippe, et peu lui importait que l'un demeurât impuni, pourvu que l'autre fût heureux et respecté.
Un seul moyen lui restait, mettre entre les coupables un fossé de sang. S'il tuait Valplan, Anne-Marie pouvait demeurer fidèle au souvenir de son amant. Mais s'il tombait lui-même sous les coups du baron, pourrait-elle aimer encore le meurtrier de son beau-frère ?...
Il lui dirait, d'ailleurs, les raisons de sa mort volontaire. Devant son sacrifice, elle comprendrait la gravité de sa propre faute, elle discernerait son devoir et reviendrait Philippe, ne fût-ce que par pitié.
À l'idée de quitter son frère sans l'avoir revu, le jeune homme faillit faiblir. Il s'épouvanta du chagrin qu'éprouverait son aîné en se heurtant, le lendemain, à son cadavre.
Mais valait-il mieux qu'il se heurtât à la faute de sa femme ?
Henri se ressaisit donc, acheva rapidement sa toilette, déchira ses lettres de la veille, en écrivit d'autres, remit à son valet de chambre celle qu'il destinait à sa belle-sœur, et fut à Sainte-Clotilde exposer à Dieu les motifs de sa désobéissance et implorer son pardon.
Une heure plus tard, le cœur léger, le sourire aux lèvres, il partait pour la mort...