LIVRES À VENDRE

22 mai 2010

Andante

Félix Leclerc, Andante. Poèmes de Félix Leclerc, Montréal, Fides, 1945, 158 pages. (1re édition : 1944)

Il faut entendre ici « poésie » dans son acception la plus large. On trouve bien quelques poèmes en vers libres, mais surtout des récits et de la prose poétique.

L’émerveillement devant le spectacle de la nature est un thème récurrent chez Leclerc. Dans « Symphonie de septembre », le poète nous emmène chez les paysans et décrit une journée d’automne à la campagne, un peu à la manière d’Adjutor Rivard et de ses épigones. Dans « Les matins », il nous raconte le passage des saisons. « Pour briser la monotonie des jours, le bon Dieu a fait cinq sortes de matin : les matins d’or, les matins gris, les matin blancs, les matins noirs, les matins rouges ».

Plusieurs récits sont d’inspiration biblique. Leclerc reprend sans rien y changer un passage de la Bible et le raconte à sa façon. Par exemple, dans « Prière », il nous présente la guérison miraculeuse d’une femme malade depuis 12 ans. Dans « Ce vendredi-là » nous est raconté le vendredi saint à travers les difficultés d’un couple de paysans. Dans « La grande Nuit », c’est la naissance du Christ dans une étable. Dans « Le grade », la nouvelle la mieux réussie, c’est encore le vendredi saint : l’épisode de la flagellation est racontée du point de vue d’un officier récemment nommé et obligé d’exécuter cette sentence. L’épisode des Pharisiens, qui essaient de prendre le Christ en défaut, est le sujet de « Ils s’en allèrent chacun chez soi ».

Certains récits ressemblent à des contes. Dans « Le hamac dans les voiles », on se retrouve dans le milieu des pêcheurs et de la légende. Nérée emmène sa fille avec lui sur sa barge. On considère qu’elle porte bonheur aux pêcheurs. La fille grandit, devient une jeune fille séduisante qui tourne la tête des pêcheurs, surtout de Léonidas. Pour ne pas les déranger, son père lui construit un hamac dans les voiles (lire l’extrait). Ailleurs, Leclerc raconte l’amitié indéfectible entre deux bûcherons; l’histoire d’un homme qui vendait des rêves; le récit d’un jeune handicapé, consolé par un vieux marin, qui lui parle de l’albatros; l’histoire d’une jeune fille condamnée, partagée entre son frère qui lui vante la grandeur de l’éternité et son fiancé qui lui chante les beautés de la vie.

Finalement, ce sont peut-être les poèmes qui constituent la partie la plus faible du recueil. Il n’y en a que quatre ou cinq, parfois insérés dans un récit.

Extrait
« La Fabie rentra le surlendemain avec une maigre pêche et une voile déchirée.
En route, Alphée avait dit à Nérée : —Thalia nous portait chance. Pourquoi ne pas l'amener ?
— Elle est trop belle pour des morutiers comme vous autres, elle n'épousera pas Léonidas. Je la garde pour un pêcheur d'Anticoste. Je la cacherai.
Voilà quelle était la folie de Nérée. Dans les livres, il avait lu des histoires de fées qui dormaient cent ans en attendant le prince. Il disait à Léonidas :
— Voyons, réfléchis. Tu es un homme de semaine et c'est un homme de dimanche qu'il faut à Thalia, tu le sais. Quand elle passe dans les mouillures du jardin, les fleurs se courbent !
Il rêvait et rimait pendant que sa fille, Thalia l'amoureuse, se languissait, pendant que l'équipage s'ennuyait au large. Décidément elle avait jeté un sort sur la Fabie, la pêche restait petite.
— Bâtis-lui un hamac dans les voiles, si tu ne veux pas que nous la regardions, ta fille ! avait crié Alphée un soir de colère, alors que la pêche ne venait point. Il nous la faut ici dans la Fabie, entends-tu, Nérée ?
Un hamac dans les voiles !
Léonidas avait levé les yeux et tout de suite entre les deux mâts, il avait vu en esprit se balancer dans les haubans un gros hamac en toile grise, avec des glands verts qui pendaient à la tête.
Nérée s'était rais à rire en traitant ses hommes de fous ! Mais le hamac dans les voiles lui hanta le cerveau.
Il fut posé.
Nérée, le faiseur de barges, grimpa un matin dans les cordages et suspendit le hamac en toile grise.
Plusieurs curieux vinrent examiner le rêve. Le bonhomme disait aux gens :
— C'est pour l'observation, la vigie. On a vu des animaux étranges au large. Thalia sera l'étoile. Thalia nous guidera.
Et Thalia l'amoureuse, la poitrine oppressée par la joie, entra sur la Fabie, regarda sa prison qui se balançait dans le ciel et y grimpa comme vers la liberté.
L'équipage s'habitua à ne la voir qu'aux repas.
Les hommes reprirent leur gaieté, Nérée ses rimes et Léonidas qui était surveillé, pêchait du côté de l’ombre, pour observer à fleur d’eau le hamac avec sa tête de sirène que la vague essayait d’engloutir. » (p. 28-29)

Félix Leclerc sur LaurentianaAdagio
Allégro
Andante
Pieds nus dans l'aube

2 commentaires:

  1. Je vous trouve dans la Belle toile d'Armando et choisis cet article pour ma Revue du jour Motercalo Born to Be Wild

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  2. Bonjour
    Il est vrai que Félix Leclerc, pétri de religiosité, était fort conservateur sur les plans moral et artistique. Mais plus tard,des changements dans sa vie privée, puis son réveil politique à l'occasion de la crise d'Octobre, l'ont amené à ré-orienter ses valeurs.

    En cherchant quelque chose sur René Chicoine (dont je lis actuellement Un homme rue Beaubien, 1967), j'ai découvert votre excellent blogue. Bravo et merci.

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