Cécile Chabot, Vitrail, Montréal, Éd. Bernard Valiquette / Éd. ACF, 1940, 127 pages (Préface d’Émile Coderre) (Illustrations de l'auteure) (1re édition : 1939, 116 pages)
Le recueil est dédié à sa mère et à son père « parce qu’ils [lui] ont donné la joie de vivre ». Émile Coderre écrit dans la préface : « A la mélancolie habituelle des vers féminins, au désenchantement des amours refoulées ou trompées si admirablement chantées par ses compagnes, la jeune poétesse substitue le plus souvent une chanson délirante d'amour heureux. Cet immense amour qui consume toute son âme, elle le chante sur trois modes: l'amour divin qui va jusqu'au mysticisme, l'amour simplement humain dont elle redoute les jeux mystérieux, enfin, l'amour immense de la nature. Pour elle, l'amour, c'est la chanson de toute la vie, c'est la vie elle-même. »
Au début du recueil, comme l’annonce Coderre, on pourrait croire que la poésie de Cécile Chabot n’est qu’élan vers la vie, volonté de dépassement, recherche de la joie et de la beauté : « Mon cœur a sa verrière où s’irise et flamboie / La grisaille des jours. Et tout m’est une joie ». Ou encore : « Oui! C’est le même entrain fougueux et rajeuni / Qui m’emporte sans cesse au seuil de l’infini ». Cette exubérance nous vaut quelques passages d’amour mystique tout empreint de sensualité. Dans « La dernière nuit », celle du Christ, elle écrit : « Sur tes pieds de Bon Dieu, j’ose coller mes lèvres / Et d’avance j’y bois la sanglante liqueur [...] J’enroule mes cheveux à chacun de tes membres, / Pour qu’ils ne soient pas nus, livrés à tous les coups [...] Puis dans ton cœur ouvert je cache mon amour, / Pour qu’il monte vers toi jusqu’au calvaire. »
Paradoxalement, ce surplus de joie, c’est ce qui fait souffrir la poète, comme si le bonheur était suspect : « Pour être le jardin où fleurira ce lis / Et capter le soleil dont je serai la voie, / Il faut que des sillons soient ouverts en mon cœur / Et que l’on creuse en lui des blessures profondes, / D’où mon amour pour toi rejaillira vainqueur. » On pourrait même avancer que la poète recherche le doute et la souffrance, gages de toute âme épurée : « Il faut que mon cerveau crépite sous la flamme / Des doutes révulsifs [...] Que ma chair et mon sang, que mes yeux et mes mains, / s’épurent dans l’angoisse... » Elle croit que le malheur peut nourrir sa poésie! « Et que j’éprouve en moi l’amère volupté / De mourir, si mon œuvre en doit être plus belle! »
À partir du milieu du recueil, contrairement à ce qu’en dit Coderre, Chabot se penche à son tour sur le « désenchantement des amours refoulées ou trompées ». De façon un peu naïve – ou trop prudente -, la poète aborde « l’amour humain » par l’intermédiaire de la nature. Dans sa « Suite sylvestre », qui contient trois poèmes, on lit en filigrane l’histoire d’une fille, libre en amour, qui s’est « laissée surprendre et [...] attirer dehors » par le vent, qu’elle a trompé avec un érable dont le vent s’est vengé : « C’était mon bien-aimé, le roi de ma forêt. / Mais un désir jaloux te mordit avec rage / Et tu l’assassinas à larges coups de fouets. » On trouve un autre triangle amoureux dans l’histoire des « Trois saules » : « Pendant que tous les trois, sur le bord de l’Étang, / Vous vous penchiez si bas que le bout de vos branches / Courait au sein de l’eau comme un filet de sang, / L’Hiver vous a surpris et ses longues mains blanches / Vous a paralysés dans ce geste d’amour. » Amour réel, imaginé? Petite fable?
Les derniers poèmes traitent encore et encore de l’amour, cette fois-ci de façon moins obscure : « Et malgré cette soif brûlant comme du feu / La chair de ma poitrine et le sang de mes veines / Et malgré cette faim grugeant comme un cancer... » La poète, souvent submergée par la volupté, prête à s’abandonner, finit toujours par résister à l’amour : « Demain j’aurai repris mon cœur et ma raison ».
Il me semble que le recueil de Cécile Chabot soit du même grain que ceux de ses consœurs des années 1930 (Simone Bussières, Jovette Bernier, Alice Lemieux, Éva Senécal et Medjé Vézina). J’ajouterais à la liste : Thérèse Tardif. Chacune à sa façon témoigne de la difficulté d’aimer, en ne suivant pas l’étroit chemin tracé par la morale de l’époque.
Il existe une édition de luxe tirée à 100 exemplaires de ce recueil, dont 20 exemplaires «avec six aquarelles originales», 20 autres «avec six eaux-fortes originales" et les 40 derniers «avec une aquarelle originale [...] et six hors-textes. Claudette Hould (Répertoire des livres d'artistes au Québec) considère que Vitrail est le premier livre d'artiste publié au Québec.
On ne m’a jamais dit
On ne m'a jamais dit, comme à tant d'autres femmes,
Ces mots troublants et chauds qui fascinent les âmes;
On ne m'a pas chanté sur des airs inconnus
Ces poèmes anciens, ces serments convenus,
Aussi furtifs qu'un vent, aussi vieux que le monde.
On n'a pas comparé la nuit triste et profonde
A mes yeux grands ouverts et je n'ai pu savoir
Si le soleil parfois s'en faisait un miroir.
Mes cheveux sont-ils flous sous le feu des lumières?
Mon teint possède-t-il le rosé des bruyères?
Mon front est-il taillé dans un marbre trop beau ?
Mes sourcils aussi noirs qu'une aile de corbeau ?
Ma bouche est-elle rouge ainsi qu'une cerise?
Mon nez grec ou latin? Ai-je un pied de marquise?
Ai-je le col d'un cygne? Un velours sur ma main?
On ne me l'a pas dit. Non, jamais être humain
Pour moi n'a répété ces mensonges habiles
Que l'amour dicte à l'homme et que les cœurs dociles
Se chantent à mi-voix tout en n'y croyant pas.
Aux sauvages qui vont en étouffant leur pas
Se perdre en la forêt âpre et mystérieuse,
Ivres de liberté, de vie aventureuse,
On ne va pas offrir de la soie ou de l'or
Ou confier en paix la garde d'un trésor.
A l'être décevant, au caractère étrange,
A la fois de démon, d'enfant, de femme et d'ange,
A ce cœur indompté, farouche et trop muet
Et qui ne livre pas son intime secret,
Avec des gestes doux et des paroles vaines,
On ne va pas offrir des tendresses humaines.
Et pourtant sans comprendre au seuil de certain jour
Je sens crier en moi le nostalgique amour.
Le recueil est dédié à sa mère et à son père « parce qu’ils [lui] ont donné la joie de vivre ». Émile Coderre écrit dans la préface : « A la mélancolie habituelle des vers féminins, au désenchantement des amours refoulées ou trompées si admirablement chantées par ses compagnes, la jeune poétesse substitue le plus souvent une chanson délirante d'amour heureux. Cet immense amour qui consume toute son âme, elle le chante sur trois modes: l'amour divin qui va jusqu'au mysticisme, l'amour simplement humain dont elle redoute les jeux mystérieux, enfin, l'amour immense de la nature. Pour elle, l'amour, c'est la chanson de toute la vie, c'est la vie elle-même. »
Au début du recueil, comme l’annonce Coderre, on pourrait croire que la poésie de Cécile Chabot n’est qu’élan vers la vie, volonté de dépassement, recherche de la joie et de la beauté : « Mon cœur a sa verrière où s’irise et flamboie / La grisaille des jours. Et tout m’est une joie ». Ou encore : « Oui! C’est le même entrain fougueux et rajeuni / Qui m’emporte sans cesse au seuil de l’infini ». Cette exubérance nous vaut quelques passages d’amour mystique tout empreint de sensualité. Dans « La dernière nuit », celle du Christ, elle écrit : « Sur tes pieds de Bon Dieu, j’ose coller mes lèvres / Et d’avance j’y bois la sanglante liqueur [...] J’enroule mes cheveux à chacun de tes membres, / Pour qu’ils ne soient pas nus, livrés à tous les coups [...] Puis dans ton cœur ouvert je cache mon amour, / Pour qu’il monte vers toi jusqu’au calvaire. »
Première édition |
À partir du milieu du recueil, contrairement à ce qu’en dit Coderre, Chabot se penche à son tour sur le « désenchantement des amours refoulées ou trompées ». De façon un peu naïve – ou trop prudente -, la poète aborde « l’amour humain » par l’intermédiaire de la nature. Dans sa « Suite sylvestre », qui contient trois poèmes, on lit en filigrane l’histoire d’une fille, libre en amour, qui s’est « laissée surprendre et [...] attirer dehors » par le vent, qu’elle a trompé avec un érable dont le vent s’est vengé : « C’était mon bien-aimé, le roi de ma forêt. / Mais un désir jaloux te mordit avec rage / Et tu l’assassinas à larges coups de fouets. » On trouve un autre triangle amoureux dans l’histoire des « Trois saules » : « Pendant que tous les trois, sur le bord de l’Étang, / Vous vous penchiez si bas que le bout de vos branches / Courait au sein de l’eau comme un filet de sang, / L’Hiver vous a surpris et ses longues mains blanches / Vous a paralysés dans ce geste d’amour. » Amour réel, imaginé? Petite fable?
Les derniers poèmes traitent encore et encore de l’amour, cette fois-ci de façon moins obscure : « Et malgré cette soif brûlant comme du feu / La chair de ma poitrine et le sang de mes veines / Et malgré cette faim grugeant comme un cancer... » La poète, souvent submergée par la volupté, prête à s’abandonner, finit toujours par résister à l’amour : « Demain j’aurai repris mon cœur et ma raison ».
Il me semble que le recueil de Cécile Chabot soit du même grain que ceux de ses consœurs des années 1930 (Simone Bussières, Jovette Bernier, Alice Lemieux, Éva Senécal et Medjé Vézina). J’ajouterais à la liste : Thérèse Tardif. Chacune à sa façon témoigne de la difficulté d’aimer, en ne suivant pas l’étroit chemin tracé par la morale de l’époque.
Il existe une édition de luxe tirée à 100 exemplaires de ce recueil, dont 20 exemplaires «avec six aquarelles originales», 20 autres «avec six eaux-fortes originales" et les 40 derniers «avec une aquarelle originale [...] et six hors-textes. Claudette Hould (Répertoire des livres d'artistes au Québec) considère que Vitrail est le premier livre d'artiste publié au Québec.
On ne m’a jamais dit
Ces mots troublants et chauds qui fascinent les âmes;
On ne m'a pas chanté sur des airs inconnus
Ces poèmes anciens, ces serments convenus,
Aussi furtifs qu'un vent, aussi vieux que le monde.
On n'a pas comparé la nuit triste et profonde
A mes yeux grands ouverts et je n'ai pu savoir
Si le soleil parfois s'en faisait un miroir.
Mes cheveux sont-ils flous sous le feu des lumières?
Mon teint possède-t-il le rosé des bruyères?
Mon front est-il taillé dans un marbre trop beau ?
Mes sourcils aussi noirs qu'une aile de corbeau ?
Ma bouche est-elle rouge ainsi qu'une cerise?
Mon nez grec ou latin? Ai-je un pied de marquise?
Ai-je le col d'un cygne? Un velours sur ma main?
On ne me l'a pas dit. Non, jamais être humain
Pour moi n'a répété ces mensonges habiles
Que l'amour dicte à l'homme et que les cœurs dociles
Se chantent à mi-voix tout en n'y croyant pas.
Aux sauvages qui vont en étouffant leur pas
Se perdre en la forêt âpre et mystérieuse,
Ivres de liberté, de vie aventureuse,
On ne va pas offrir de la soie ou de l'or
Ou confier en paix la garde d'un trésor.
A l'être décevant, au caractère étrange,
A la fois de démon, d'enfant, de femme et d'ange,
A ce cœur indompté, farouche et trop muet
Et qui ne livre pas son intime secret,
Avec des gestes doux et des paroles vaines,
On ne va pas offrir des tendresses humaines.
Et pourtant sans comprendre au seuil de certain jour
Je sens crier en moi le nostalgique amour.
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