LIVRES À VENDRE

27 avril 2009

La vie tourmentée de Michelle Rôbal

Adrienne Maillet, La vie tourmentée de Michelle Rôbal, Montréal, Chez l'auteure, 1947, 239 pages.


« C’est le 22 octobre 1934 que j’ai connu Michelle Rôbal. » Et encore : « Je n’ai rien inventé de cette histoire, mon lecteur peut en être assuré. » Adrienne Maillet dédie son livre à son héroïne. Cette dernière était même au courant des projets de l’auteure et lui aurait demandé d’attendre son décès avant de publier son livre. Le mot « roman » n’apparait nulle part. Disons donc qu’il s’agit d’un récit.

Enfant pas très belle mais intelligente, Michelle n’est pas aimée de sa mère qui lui préfère son frère et sa sœur Ruth. Son père, par contre, apprécie sa vivacité. Dès qu’elle est en âge scolaire, on l’enferme dans un pensionnat où elle brille par son intelligence. Sa mère l’en sort à 17 ans : elle lui jette dans les bras son amant pour couvrir son adultère. Cet homme est pris à son propre piège et tombe amoureux de Michelle. Quand celle-ci découvre la supercherie, elle le répudie. Elle quitte sa ville de province pour Montréal, devenant étudiante à l’hôpital Victoria. Elle confie ses malheurs à un ami, Serge, qui devient son amoureux. Elle se livre pieds et poings liés à cet homme contrôlant. Il la convainc de rentrer chez elle en attendant qu’il rompe avec sa fiancée Lorraine. Mais il ne peut briser ses engagements et il épouse Lorraine. Michelle, abandonnée et blessée, retourne à Montréal, cette fois-ci dans un hôpital catholique. Elle perd la foi, fait deux crises cardiaques, vient près de mourir bien entendu. Un curé réussit non seulement à la ramener dans le droit chemin, mais à la persuader de rentrer au cloitre. Là, on veut exploiter ses talents de musicienne. Elle tombe amoureuse du professeur qui l’initie à l’orgue. Elle réussit quand même à rompre avec lui. Une violente grippe se répand dans le prieuré, elle s’active auprès des malades, l’attrape et en meurt sans avoir prononcé ses vœux perpétuels.

Je me suis donné comme règle de ne jamais ridiculiser les livres que je blogue. Ici, disons que c’est difficile de trouver la moindre qualité à ce récit qui évolue de petits coups de théâtre en rebondissements dans un climat mélodramatique trop fortement appuyé. Alors si, comme Adrienne Maillet nous le dit dans son avant-propos, toute cette histoire est vraie, on ne peut que plaindre cette pauvre fille, tout en notant que ses déboires sous la plume d’Adrienne Maillet ne nous émeuvent en rien.

Extrait
Un jour, Serge voit Mme Rôbal et Ruth se diriger, en auto, vers la ville. Il saisit cette occasion unique pour courir voir Michelle sans témoin. Les deux amis passent une heure délicieuse à causer intimement. Afin de tranquilliser Serge, la convalescente lui répète sur tous les tons qu'elle se sent beaucoup mieux, même prête à reprendre son service à l'hôpital.
Toujours tourmentée par la pensée que son Serge ne pratique plus sa Religion, Michelle ne laisse pas s'achever ce tête-à-tête sans s'efforcer de remettre le bien-aimé sur la bonne voie. Elle veut d'abord connaître le motif qui l'a poussé à abandonner le chemin de l'église.
— Ce sont les railleries de ma femme. Elle n'admet pas que je puisse m'approcher des Sacrements, assister à la messe, en un mot, être un chrétien pratiquant et demeurer votre fidèle ami. Alors, pour mettre fin à ses moqueries, j'ai cessé de prier et d'aller à l'église. Je ne m'en porte pas plus mal, veuillez m'en croire.
— Oh ! Serge, soyez sérieux. On ne néglige pas ses devoirs religieux pour se soustraire à des taquineries. Si vous saviez combien je souffre depuis que papa m'a appris votre abandon de notre Religion, vous vous empresseriez de me soulager en redevenant le grand chrétien que j'ai connu. Pensez-y bien: c'est grâce à votre exemple si je suis restée bonne. Celui que vous me donnez actuellement pourrait m'être funeste. Prenez garde !
— Je ne sais plus de quel côté me tourner, tant la vie m'est lourde à supporter.
— Tournez-vous du bon côté, vers le Bon Dieu, vous ne vous tromperez sûrement pas. Au nom de notre amour, je vous en supplie, promettez-moi de reprendre vos pratiques religieuses au plus tôt !
Serge; ne se targuant pas d'être un esprit fort, lui répond, le sourire aux lèvres:
— Je les reprendrai le jour où votre santé vous permettra de vous rendre à l'église.
— C'est juré?
— Sur mon honneur.
Une semaine avant Noël, Michelle a pu aller à l'église. Serge ne songe donc pas à se faire tirer l'oreille, lorsque commence un triduum préparatoire à cette grande fête; il en suit tous les exercices.
À la messe de minuit, il s'approche de la Sainte Table avec Michelle, ils communient côte à côte; Lorraine est à Montréal dans sa famille, où elle passe les fêtes. (p. 142-143)

23 avril 2009

Images et Proses

Rina Lasnier, Images et Proses, Saint-Jean, Les éditions du Richelieu, 1941, 118 pages.
(Illustré de 24 photographies dont 23 de Jarvi)


C’est le premier recueil de Rina Lasnier J’aurais envie de dire : ce n’est pas encore du Rina Lasnier, et pourtant… Si le style n'a pas l’ampleur qu’il atteindra dans Mémoire sans jours, il me semble que la thématique lyrique et spirituelle qui sera la sienne est déjà bien présente. Le recueil compte deux parties. La deuxième est constituée d’un long poème religieux « Chemin de croix », dont je ne parlerai pas dans ma critique.

On a accolé à Rina Lasnier, comme on le fera aux Garneau, Grandbois ou Hébert, l’appellation de « poète de la solitude ». Et, de fait, il est facile de retrouver chez Lasnier les mêmes sentiments de refrènement, d’empêchement, d’impuissance, de retranchement, bien présents chez les trois autres poètes de la solitude. Images et proses ne dit que cela.

Sa solitude, on ne lui a pas imposée; au contraire, elle la revendique : « Laissez-moi mon chemin détourné de vos maisons et de vos villages joyeux […] / ma descente où s’épanouit pour moi seul la grande fleur bleue du ciel… » On ne peut pas dire pour autant qu’elle y consent. Assise à sa fenêtre, elle attend, elle ne sait plus si c’est le retour de l’amant ou simplement la venue d’un poème : « le lucide regard de la fenêtre où passent des sources de larmes, où tanguent des nuages à la dérive, / ces carreaux de lumière, nuancés des couleurs du temps, mieux qu’un vitrail te racontent la joie de la Création. » On comprend l’inconfort de sa position. Ainsi elle ne peut étouffer complètement le sentiment amoureux : « Il est des soirs où le cœur sent ramper autour de lui tant de solitude que l’ombre de l’amour suffit à le rassurer… » Et elle s’interroge à savoir si elle trouvera le repos de l’âme : « Mon cœur résonne comme une forêt libre... / reprendrons-nous la sagesse des jours sans amour? »

Même si une certaine spiritualité vient la consoler : « Que je vois loin sur le champ ce soir! J’ai aimé si fidèlement que Dieu m’a donné une joie plus lumineuse que la neige », les regrets, les doutes l’assaillent sans cesse. En se coupant du réel, en accentuant ainsi son isolement, sa solitude n’est-elle pas devenue une prison? « Pourquoi chercher si loin l’émerveillement d’aujourd’hui et la joie de demain, quand le grain de blé porte la gloire de la terre et le mystère de l’amour. » Elle sait qu’il lui faudrait rompre les entraves (la spiritualité, la création) qui l’empêchent désormais de se libérer : « Entre Vous et moi, il y a l’embûche de ma ferveur / Ma vie est un arbre aux multiples désirs, où palpite une colombe; / si ma vie délivrait l’âme captive, je saurais l’ampleur de mon essor… l’infini / Seigneur… déliez mes liens. »

Que vaut une vie, même liée à la transcendance, si elle n’irradie pas sur le monde qui l’entoure? « L’île bienheureuse, où s’éteint parfois un tourbillon d’oiseaux, appareillera bientôt. » L’arbre sans oiseaux est inutile : « ses feuilles savent encore chanter sous les doigts du vent, mais en détruisant le silence on détruit aussi la chanson… et les oiseaux ».

Ne faut-il pas revenir au réel? « La parole qui chassa l’homme du paradis le fiança à la terre pour toujours. » Et elle adresse cette requête à l’amoureux : « Reviens… tu as faussé ta vie en accordant ton désir au désir des villes. » (Voir l’extrait) Comment dompter la passion qui remue le corps jusqu’à l’exaspération ? « je connais ma soif, le vent ne peut violenter mon cœur fugace et me détourner de ma voie exaspérée; / je cours apprendre si la profondeur de la mer me désire comme je la désire. » Cet appel tardif, cet appel dans le vide ne reçoit aucune réponse : « tu me refuses de devenir la table porteuse de pain et de joie, le lit rempli de songes; / tu me greffes deux bras morts, deux roues sous lesquelles surgissent la pierre de trébuchement et l’ornière sournoise ».

Finalement, au terme de cette démarche, faite de doutes, de regrets, de remises en question, d’avances et de reculs, elle comprend qu’il lui faut revenir aux idéaux qu’elle s’était donnés (l’art et la spiritualité) : « Heureux les rêves lentement recueillis en poésie ». L’oiseau aux « ailes brisées » peut toujours espérer être recueilli par les « mains tendues de l’Oiseleur » : « Il t’emportera si haut que tu ne verras plus le cercle étroit de la terre. »

Rina Lasnier a souvent reproché aux critiques de faire une lecture trop religieuse de son œuvre. Elle l’a dit et redit : elle n’est pas une mystique, même si le spirituel est très important pour elle. Dans ma lecture, j'ai essayé de saisir la composition d’ensemble, de suivre le fil conducteur. On lui a souvent reproché son hermétisme : c’est vrai qu’il faut interpréter, essayer de bien lire un certain nombre de symboles récurrents (l’oiseau, la neige, l’arbre). Les vers sont longs, les articulations logiques entre les strophes très réduites et les images nombreuses, mais il n’empêche qu’un recueil comme Images et Proses demeure très accessible.

Certes, le recueil est inégal. Rina Lasnier ne réussit pas à évacuer complètement la vieille tradition de la poésie québécoise : on y retrouve de vagues relents de la littérature du terroir. Mais on y trouve aussi le questionnement spirituel propre aux artistes de La Relève. Peut-être que le « Chemin de croix » qui clôt le recueil n’aurait pas dû en faire partie. Cependant, jamais n'avait-on vu un vers qui ait cette ampleur, qui déborde de la ligne, « décorsetté » pour tout dire. Déjà la prose envahit cette poésie. Sur cet aspect, elle prolonge Garneau, met de côté la poésie perçue comme un chant, encore si présente chez la première Anne Hébert. Il y a hors de tout doute une modernité dans ce premier recueil de Lasnier. J’ai bien aimé et je me promets de replonger dans cette œuvre que j’ai négligée.


LA MAISON
Reviens... tu as faussé ta vie en accordant ton désir au désir de la ville;
je veille sans feu ni lumière et mes vitres, où jaillissaient des sources de clarté, se brisent en silence;
reviens, une maison vide est une coquille morte, la tristesse la remplit sans la combler;
as-tu oublié le rythme des berceaux, semblable au rythme des moissons inclinées sous le vent?
la qualité du jour épars sur le pré? la douce résistance de la tige qui vibre quand on l'arrache du sol?
le vol de tes regards me caressait mieux qu'un effleurement d'aile;
rien ne s'efface, ni les ors des blés, ni l'étoile de ta joie, excepté le chemin de tes pas;
j'envoie au devant de toi le vent avec l'odeur des phlox et les bêlements éperdus des brebis;
j'ai fermé les yeux sur ta désertion, abritant ma solitude derrière les volets.
Voici le vent... et si, d'un geste brusque, il vient de m'arracher à ma nuit, c'est que là-bas pointe l'aube de ton retour. (pages 75-76)

19 avril 2009

Propos canadiens

Camille Roy, Propos canadiens, Québec, L’Action sociale, 1912, 323 pages.


Propos canadiens, c’est un recueil d’essais que Camille Roy fait paraître en 1912. Il est divisé en cinq chapitres : Propos rustiques, Propos de morale, Propos patriotiques, Propos scolaires et Propos littéraires Je ne reviendrai pas sur Propos rustiques, puisque l’auteur a repris ce chapitre dans un autre livre que j’ai blogué. La plupart de ces textes ont été écrits pour les journaux et les autres, à l’occasion d’une conférence ou encore d’un événement spécial. Ce qui est intéressant, ce n’est pas la circonstance, mais le discours de Camille Roy, les valeurs qu'il défend, le regard qu’il porte sur la société canadienne-française du début du siècle. Tout religieux qu’il soit, il était quand même l’un des intellectuels de pointe, du moins si on considère l’énorme influence qu’il a eue sur la vie littéraire. Il aurait été fastidieux de résumer chacun de ces textes. J’ai plutôt essayé d’en extraire un court passage qui les résume bien, bref de laisser la parole à l’auteur. J’ai laissé en blanc quelques chapitres (nil) qui n’avaient pas d’intérêt.

I- PROPOS DE MORALE
La femme ou Réflexions sur les « Bloomer Girls »
Quelques jeunes Américaines, les « Bloomer Girls », viennent offrir une exhibition de leur habileté au baseball : « Mais tous ces exploits virils ne sont que des épisodes dans la vie de la femme chrétienne. Et le christianisme a vraiment tracé à la femme un autre rôle, qui lui doit être habituel. Et la femme chrétienne, mieux encore que la païenne, est la gardienne et l’ange du foyer. C’est à elle qu’incombe le devoir de régler l’ordre de la maison, et de vaquer aux soins du ménage. Quelle qu’elle soit, duchesse, bourgeoise ou roturière, elle doit connaître le chemin de la cuisine et celui de la dépense; elle est l’intendante du gouvernement domestique. Et si elle a des filles à élever, à former, à préparer à la vie, la femme chrétienne a le devoir de leur apprendre leur métier de maîtresse de maison, de les initier à l’art de pétrir, et de les habituer à ne pas considérer le stade, les champs de « base-ball », ou seulement la rue comme la voie large et libre où se peut engager leur vie. Elle doit en faire toujours des jeunes filles instruites, discrètes, pratiques, aimables, vertueuses, et jamais des « bloomer girls ». (p. 79)

Cartes postales
« Oui, il y a dans telles vitrines de tels libraires catholiques de Québec, des cartes postales, c’est-à-dire des images, des scènes, des tableaux, des nudités, des démarches, des gestes, des actions qui sont un défi jeté à la morale publique. Il y a là des poèmes complets de la galanterie la plus saugrenue, de la passion la plus indiscrète et la plus suggestive, poèmes lascifs que vous pourriez voir se développer en plusieurs chants, c’est-à-dire en des séries assorties de cartes postales, qu’un honnête père de famille ne voudrait pas laisser sur la table de travail de son jeune fils ou de sa jeune fille. » (p. 88)

Leçons de la rue
« Sur le trottoir de la rue Notre-Dame-des-Anges, une femme était assise, accroupie, et baveuse, à moitié consciente de son ivresse malpropre, et incapable de continuer sa route. Elle pouvait avoir cinquante ans. Elle portait le costume négligé et pauvre des femmes de son espèce. Une chevelure en désordre mal cachée sous un large chapeau de paille, l’œil éteint et morne, le visage abêti. Une ruine écroulée sur un mauvais trottoir: un reste de vie humaine sous des haillons sales. » (p. 92)

Première leçon d’un moineau
« Mais l’esprit de l’homme et son cœur ont besoin, pour s’étendre à la mesure de leurs humaines ambitions, pour s’élever à la hauteur de leurs surnaturelles destinées, de soumettre à la loi du travail, à la contrainte de la discipline, à l’influence des maîtres et des livres leurs fragiles énergies. » (p. 106)

Idéal de jeunesse
« L’Association catholique des jeunes, c’est évidemment, et on la devine sans peine, un groupement des forces les plus neuves et les plus saines qu’il y ait aujourd’hui parmi nous et autour de nous. » (p. 110)

Une âme de jeune
Article écrit à l’occasion du décès de Jules Vallerand : « Dans ses articles sur la crise religieuse chez les jeunes, il proposait, avec raison, comme dérivatif à tant de passions ardentes qui sollicitent la volonté du jeune homme, la mortification, l’esprit de sacrifice, la culture de l’art, et les œuvres d’action sociale catholique. C’est tout un programme de vie que nous rappelons à tous ceux qui ont été tristes de le voir trop tôt mourir. » (p. 123)

Lectures des jeunes gens
« Il y a longtemps, mes amis, que l’on travaille à la bibliothèque du doute, de l’indifférence ou même de l’hostilité en matière religieuse. […] des écrivains railleurs ou démolisseurs de la foi catholique, d’autres ont passé, Voltaire et les encyclopédistes, et Michelet et Renan, et Taine, Berthelot, et leurs disciples, plus ou moins grands et plus ou moins petits, qui ont usé leurs forces et leurs talents à violenter notre nature avide de croyance religieuse, et à nier l’évidence de notre besoin de Dieu. Vous savez quel mal ils ont fait, Voltaire surtout et les encyclopédistes, à notre société canadienne au commencement et jusqu’au milieu de l’autre siècle, alors que l’on vit s’adonner à la lecture assidue de ces philosophes les meilleurs esprits de notre monde politique et littéraire.» (p. 127-128)


II- PROPOS PATRIOTIQUES

Pensées pour le 24 juin
Publié aussi dans Propos rustiques.

Pour la langue française
Allocution prononcée devant la Société du parler français : « Cette œuvre, vous me permettrez de le rappeler ici, consiste surtout à étudier la langue que nous parlons, et celle que nous écrivons; elle se préoccupe d’en rechercher les origines, les transformations et la valeur; elle prétend encore à révéler avec le langage des foules et celui des écrivains toute l’âme canadienne qui s’y enferme et qui y transparaît; elle souhaite de découvrir, dans le parler populaire et dans la langue écrite, le tour d’esprit et quelque chose de la vie elle- même de nos gens; elle veut voir s’y peindre ou s’y refléter les mœurs caractéristiques, pittoresques, et les habitudes intellectuelles de la race. » (p. 152 )

Pour l’extension de la langue française
« De toutes les langues romanes, la langue française, qui a déjà joui dans le passé d’une universalité si hautement reconnue, paraît s’imposer davantage aux chercheurs d’un parler international. Ne se recommande-t-elle pas encore par cette beauté, cette clarté, et cette souplesse qui ont fait sa fortune? Elle est de plus essentiellement analytique. » (p. 159-160)

Québec, ville française
« Au reste, la fidélité est une vertu française, et Québec s’est toujours honoré de l’avoir soigneusement cultivée. Fidélité au roi de France, aussi longtemps que la France régna sur les bords du Saint-Laurent; fidélité au roi d’Angleterre, depuis le jour où l’Angleterre eut la bonne fortune de nous compter pour ses libres citoyens. Alors même que d’autres, sur cette terre française de la province de Québec, trouvaient bien dur le joug du vainqueur, et, dans un geste de folle et noble impatience, essayaient de le briser sur le dos de leurs compatriotes anglais, Québec plus calme et plus politique, plus sage et plus capable d’attendre l’heure des utiles revendications, refusait de s’associer aux paysans armés qui s’en allaient mourir sans espoir dans les champs de Saint-Denis, de Saint-Charles et de Saint-Eustache. Québec restait fidèle au drapeau; et ce ne fut pas par indifférence ou par paresse, mais plutôt par loyauté et pour le noble dessein de mieux servir la fortune de ses destinées françaises. » (p. 167)

Le couronnement du roi
À l’occasion du couronnement de Georges V, en 1911 : « C’est Dieu qui donne aux rois la puissance, et c’est Dieu qui leur donne aussi la sagesse. Toute autorité vient de Celui qui règne dans les cieux, et à qui seul appartient la gloire, la vraie grandeur, l’unique indépendance. S’il est permis aux hommes de désigner l’élu, celui qui sera parmi eux le chef ou le roi, les hommes ne peuvent conférer à cet élu ce qu’ils ne possèdent pas eux-mêmes, le droit de commander à autrui, et d’imposer aux peuples la règle de leurs devoirs.» (p. 176-177)


III- PROPOS SCOLAIRES

À l’école primaire

« On n’écrit guère aujourd’hui sur l’école primaire sans parler de ce mal, et sans charger tout le monde d’y trouver un remède. » (p. 190) « Les programmes et les méthodes sont ce qu’il importe le plus de réviser et de redresser. De quoi s’occupent d’ailleurs, ou paraissent s’inquiéter beaucoup ceux-là qui sont sans doute les plus compétents en ces matières, parce qu’ils sont du métier, je veux dire les instituteurs eux-mêmes, et quelques inspecteurs, et les directeurs de nos Écoles Normales. » (p. 191)

À propos des écoles séparées
« Qu’on ne s’y trompe pas, les provinces de l’Ouest pourront avoir de bonnes écoles, même si ces écoles sont confessionnelles, comme elles pourront en avoir de fort médiocres même si elles sont neutres. Que les gouvernements fournissent à ces écoles des secours suffisants, et catholiques comme protestants s’empresseront, leurs intérêts même les y engagent, de les faire aussi parfaites que possible. Le mérite réel des écoles, au point de vue pédagogique, ne peut s’identifier avec leur qualité d’écoles confessionnelles ou neutres. » (p. 208-209)

Notre enseignement secondaire
« Par la force des choses, d’abord, et peut-être un peu par indifférence ensuite, on n’a pu donner à la formation des maîtres toute l’attention qu’elle requiert. Nous avons longtemps vécu sur nos seules traditions, et des générations de professeurs se sont successivement passé le flambeau, sans qu’on ait pu le raviver à une autre lumière, au foyer d’une autre vie intellectuelle plus ardente et plus intense. » (p. 217)

Comment écrivent vos fils et vos filles?
« On sait que les écoliers ont devancé, pour l’orthographe, la commission de la réforme. Ils se chargent eux-mêmes de supprimer les lettres inutiles, et d’écrire au son. Ils défigurent ainsi les mots que l’on est accoutumé de voir avec leurs organes traditionnels, et ils horripilent leurs vieux professeurs. » (p. 226)

Pour le grec et le latin
Nil


IV- PROPOS LITTÉRAIRES

Impressions académiques
Nil

Journalisme décadent
« Notre journalisme quotidien est en décadence. Et quand nous affirmons ceci, nous voulons surtout désigner les grands journaux à douze, seize, vingt-quatre et trente-six pages. » […] « Et pourquoi est-il décadent? Parce qu’il a trop de pages et trop d’images; et parce qu’ayant tant de pages et tant d’images, il ne peut remplir ses colonnes que d’une prose médiocre, et couvrir sa double ou triple façade que de dessins d’une valeur artistique très contestable. » (p. 278-279)

Mgr Laflamme
Nil

Chez les Français du Canada
Nil

Les Arpents de neige
Nil
 

16 avril 2009

Propos rustiques

Camille Roy, Propos rustiques, Montréal, Beauchemin, 1924, 121 pages. (Collection Dollard) (1re édition : 1913)

La plupart des textes qui composent ce recueil sont parus dans Propos canadiens. La plupart ont été écrits pour des journaux, d’où leur intérêt très variable. Le recueil contient un texte célèbre « Le vieux hangar » (texte qui a inspiré les Rivard, Groulx...), plusieurs autres liés au souvenirs de l'auteur et quelques écrits de circonstances.

Le vieux hangar
Le vieux hangar, qui a longtemps servi de fournil et de maison d’été, pleure son abandon depuis que les propriétaires ont construit une cuisine d’été attenante à la maison. Lui qui fut témoin de l’histoire de cette famille, le voici « condamné ».

Un journal au foyer
D’abord, de façon un peu étonnante, Roy proclame que « le journal est une force, et la plus grande qui soit en nos modernes sociétés ». Roy raconte que voici 25 ans (donc à la fin du XIXe siècle), dans les campagnes, les gens se réunissaient chez un abonné pour entendre lire le journal. Il dénonce le « jaunisme » de plus en plus présent dans les journaux de son époque.

Leçon des vacances
Les vacances ont beaucoup à apprendre à un écolier. D’abord, elles lui font découvrir la valeur de son travail : s’il a bien bossé durant l’année scolaire, il profitera, le cœur léger, de ce moment de repos. Par ailleurs, ces vacances sont l’occasion de s’approcher de la nature, d’en retirer des leçons de vie.

Vieilles cloches, vieilles églises
À l’occasion de l’érection d’un nouveau temple à Saint-Vallier, Roy en profite pour nous raconter l’importance de l’église pour les gens de la campagne. Lieu de dévotion, mais aussi lieu de rencontres sociales. « Ce fut, en effet, pour la paroisse de Saint-Vallier, un grand deuil et une grande joie que la journée du quinze novembre dernier. On y fermait un vieux temple tout usé et décrépi, et l’on y ouvrait un sanctuaire neuf, rayonnant de l'éclat, de la grâce d'une fraîche parure. La vieille église était abandonnée, là, près du rivage, où depuis deux cents ans, modeste et un peu solitaire, elle gardait la terre et les flots ; et une église nouvelle, fixée au cœur du village, imposante, monumentale, riche, vraiment digne des généreux paroissiens qui l'ont élevée, appelait, accueillait en sa nef large, pleine de lumière, ceinturée d'élégantes colonnes et voûtée de caissons dorés, la foule qui y devra désormais s'agenouiller et prier. // Mais les choses vieilles qui s'en vont, ont des charmes irrésistibles, de secrètes attirances ; elles nous sont plus chères que les choses »

L’esprit paroissial
Les paroissiens de Saint-Denis-de-Kamouraska fêtent les 25 ans de leur curé, Camille Brochu. L’auteur vante l’esprit paroissial de cette petite communauté.

Dans les Bois-Francs
S’inspirant d’un petit livre écrit par un prêtre colonisateur, Trois souvenirs (1852) de l’abbé Charles Trudelle, Roy raconte les débuts de Plessisville, autrefois nommé Somerset. Il décrit surtout le terrible marécage que les colons devaient traverser pour s’y rendre, marécage qui en aurait englouti plus d’un.

Noël rustique
Roy raconte sa première messe de Minuit. Cette année-là, la paroisse de Berthier avait renoncé à ses « modestes traditions » et s’était payé « le luxe des plus extravagants progrès ». L’église remisait les chandelles et accueillait les lampes à pétrole et un harmonium qui accompagnerait les chants rituels. L’auteur déplore que la venue des lampes à pétrole va tuer une ancienne tradition : la quête des chandelles. Un peu avant Noël, les jeunes gens battaient la campagne et ramassaient des chandelles pour la messe de Minuit. Du même coup, les jeunes hommes en profitaient pour « goûter aux croquignoles que préparait pour Noël et le jour de l’an la jeune fille de la maison ».

Pensées pour le 24 juin
Il semble que l’élan patriotique entourant la Saint-Jean-Baptiste soit en baisse. Roy propose un programme pour le ressusciter. « Persuadons d'abord le Canadien des campagnes qu'il doit prendre congé ce jour-là. Invitons-le ensuite à assister à une grand'messe qui sera chantée à neuf ou dix heures, tout comme le dimanche, et rappelons-lui bien au sermon que nos origines nationales sont essentiellement religieuses, que notre histoire est toute pénétrée de christianisme, que nous avons le grave devoir de garder la vertu et la foi des aïeux, et que nous serions coupables du crime de lèse-patrie le jour où nous voudrions nous éloigner du prêtre et de l'autel. »

Petit livre inégal, très peu littéraire. Roy devient intéressant quand il raconte ses propres souvenirs, moments trop rares, hélas! Si vous vous intéressez à la « petite histoire », peut-être y trouverez-vous quelques objets dignes d’intérêt. Sinon…

Camille Roy sur Laurentiana

13 avril 2009

Dans la brise du terroir


Alphonse Désilets, Dans la brise du terroir, Québec, Chez l’auteur, 1922, 149 pages.


Tout comme Georges Bouchard, Alphonse Désilets était agronome. Les deux furent même les fondateurs du Cercle des fermières en 1915. Désilets a publié, sous le pseudonyme de Jacquelin, Les Heures poétiques; puis, sous son nom : Mon Pays, mes Amours (1913), Au pays des érables (1925), Pour la terre et le foyer (1926).

C’est un poète du terroir. Voici les cinq parties de son recueil :

I- SUR LA ROUTE ENCHANTEE
Petits poèmes d’amour d’inspiration moyenâgeuse. C’est très simple, très lyrique, très chantant. Cantilènes, pastorales, villanelles, ritournelles se succèdent. Dans le premier poème du recueil, il évoque « ces temps heureux » où « jongleurs, ménestrels et harpistes / Vendaient leurs couplets gais ou tristes / Pour un sourire et des gâteaux ». La « route enchantée », c’est celle des amoureux, séparés momentanément, qui rêvent d’unir leur destinée : « Et chaque matin, ma chérie, / Chaque matin qu’il fera beau, / Nous partirons dans la prairie, / Les pieds dans nos petits sabots!... »

II- À LA GLOIRE DU SOL
Dans des poèmes typiques du terroir, Désilets se fait le chantre de la nature rurale, mais plus encore de la vie à la campagne, du travail aux champs. Dans un long poème, « La genèse du pain », il en décrit toutes les étapes de fabrication , en plus d'en faire le symbole de la fierté canadienne-française. « Le pain des anciens jours, le pain bis, le pain noir, / Était plus savoureux à l’antique misère / Et portait les vertus fécondes de la terre / Dans le sang de la race attachée au terroir. » Les femmes ou plutôt les fermières ne sont pas en reste. « Elle a l’allure agile et fière / Sous les sourires du matin » L’exaltation du passé et du sentiment religieux font aussi partie de l’équation. « O semeur de blé pur, vers le firmament bleu / Élève ton front noble et ton âme superbe! / Et, dans l’or rutilant de la première gerbe, / Offre au ciel ton cantique en remerciant Dieu. » Les deux derniers poèmes sont dédiés au couple Marie Rollet-Louis Hébert, la mère et le père de la nation.

III- LE BONHEUR CHEZ SOI
Rien de mieux que les bonheurs domestiques! Les joies que procurent les jeunes enfants, la complicité du couple, le souvenir des vieux parents et de « l’aïeule vénérée » (la France), voilà quelques-uns des bonheurs de la vie de famille. « Ma petite fille a les yeux / Des violettes printanières » Dans « Vouloir », il nous offre même la recette des couples heureux : « Vouloir, avec amour, d’une volonté tendre / Qui pardonne un oubli septante fois sept fois; / Vouloir, malgré l’orgueil qui nous blesse parfois, / Taire un mot qui bondit, le rayer, puis attendre... »

IV- SOUS-BOIS ET MARINES
Désilets dépeint quelques coins de la Gaspésie, probablement captés lors d’un voyage. Les « payses » gaspésiennes semblent l’avoir impressionné : « De Mont-Louis à la Nouvelle, / Elles ont toutes les yeux doux / Les payses de par chez vous!... » Ou encore : « J’ai rempli tout mon cœur de ta grave beauté, / O payse de marins à robustes poitrines ». Il évoque aussi la vie des pêcheurs, les dangers de la mer : « La mer est méchante au large ». La partie consacrée au « sous-bois » est plus mince. L’automne et les feuilles mortes sont des motifs récurrents : « Les feuilles mortes sont les rêves / Qu’ont faits les arbres autrefois » [...] « Car, les feuilles n’ont plus d’espoir; / L’été menteur s’est moqué d’elles. / Elles gisent dans l’humus noir; / Les feuilles mortes n’ont plus d’ailes. »

V- ÉLEVATIONS ET RECUEILLEMENTS
« Nous sommes nés d’un siècle où le repos n’attend / Que le lutteur dont l’âme aux durs combats s’anime. » Sont mises de l’avant toutes les actions qui invitent au dépassement : et cela va de l’orgueil humain qui a inventé l’avion, en passant par les « retraitants » qui s’enrichissent de « force neuve », jusqu’à la lecture Nelligan dont « les grands rêves de l’amour / Ne s’éteignent pas sans retour, / Puisque leur source est éternelle. » Les recueillements ont trait aux peines de la vie, grandes et petites : la mort d’une amie, la peine des enfants, l’absence de l’amoureuse, les plus chers souvenirs du passé, comme ceux liés à la fête de Noël.

Le dernier poème « Jasante-ballade » est un rappel du début du recueil : « Nous sommes les doux ciseleurs / De guirlandes et d’étincelles / Qui parsemons chansons et fleurs / Sur les sentes universelles. / Nous berçons toutes les douleurs, / Nous égayons toutes les fêtes; / Car nous sommes vos bateleurs, / O Notre-Dame des Poètes! »

Renouveau
A présent qu'il fait beau dehors et qu'il fait bon,
Laisse entrer le printemps joyeux à pleine porte ;
Écarte le volet et les rideaux, de sorte
Que la lumière ardente éclaire la maison.

Le soleil rajeunit les âmes et les choses :
Les matins sont plus clairs et les soirs moins brumeux
Le laboureur espère et le terroir s'émeut
Et l'amour refleurit avec les lauriers-roses.

Si les pleurs ont tendu leurs voiles sur tes yeux,
Si la Nuit, de son aile, effleura ton front pâle,
Comme un rayon jailli d'une aurore pascale
Laisse renaître en toi l'espoir délicieux.

Laisse chanter ton âme et savoure à l'envie
Les présents que t'apporte le printemps vermeil :
Voici l'herbe, les fleurs, les oiseaux, le soleil
Qui chantent l'immortel cantique de la Vie!
(Page 69)

10 avril 2009

La Chanson du paysan

Ulric Gingras, La Chanson du paysan, Québec, L’Action sociale, 1917, 173 pages.


L’auteur n’a que 23 ans lorsqu’il publie ce recueil. « Pardon, mes vers, pardon, si, dans mon ignorance, / Je vous ai faits d’un peu des choses du terroir. » Ce sont les deux premiers vers du recueil. Le ton humble, caractéristique des poètes de l’époque, et le thème sont annoncés clairement. « Frères, je suis celui qui passe et vous ressemble, / Celui dont l’art a pris toute l’âme à vingt ans; / Venez, rapprochez-vous, consolons-nous ensemble, / Comme moi par le cœur vous êtes paysans! »

Le recueil, préfacé par Louis-Joseph Doucet, ne compte aucune division, les poèmes succèdent aux poèmes, un peu à la va comme je te pousse. Pourtant, à y regarder de près, ils auraient pu être regroupés en trois parties.

La première aurait contenu tous les poèmes qui donnent dans la nostalgie et la tristesse. Gingras pleure sur les lieux de son enfance perdue : « C’est un très vieux moulin connu dès mon enfance, / Qui dérobe aux regards son toit triste et penchant » Ou encore : « Notre petit jardin, de nouveau je le vois / Repeuplé de chansons, de nids et de coups d’ailes. » Le regret de son passé, comme on le voit, se mêle au regret d’une époque, ce que représente la maison de l’aïeul : « Le bruit des printemps fous aux rythmes cadencés, / A frémi, car, là-haut, les meubles d’un autre âge / Gardent pieusement, sous leurs voiles fanées, / Le culte des aïeux comme un précieux gage. » Ou encore l’héritage des parents : « Et puisqu’il faut mourir, heureux le paysan, / Heureux celui qui sur une tombe connue, / Pour réciter encore la prière d’antan / Qui lui fut par sa mère apprise l’âme émue! »

La deuxième partie aurait contenu tous ces petits « tableaux rustiques », plutôt riants, dans lesquels Gingras exalte la nature. Bien entendu y apparaissent quelques laboureurs ou moissonneurs, mais là n’est pas l’essentiel. Le poète, à la manière de ses maîtres romantiques, certainement Lamartine, traduit ses états d’âme à travers les paysages : « Le ciel appuie une caresse sur mes yeux, / Et je vois le pin noir qui pleure sa résine, / Déposer de l’ombrage au fond du vallon creux / Que sillonne un ruisseau venu de la colline. »

Enfin, une dernière partie aurait présenté les quelques poèmes patriotiques qu’on trouve dans le recueil. « Je t’aime, ô mon pays, oui, je t’aime et t’honore! / Ta race est immortelle et ta gloire est d’airain »

En somme, les thèmes et les motifs qui les développent sont on ne peut plus convenus. Gingras y présente, sur le mode romantique, les grands thèmes du terroir, comme la nostalgie du passé, la beauté de la nature laurentienne, l’amour du pays, la douceur de la vie champêtre... C’est du terroir dans la grande tradition. On peut accorder au poète un certain sens de l’harmonie, mais rien de plus. Si le recueil n’avait été qu’une mince plaquette, peut-être lui reconnaitrions-nous encore un certain charme.

TERROIR
Comme le pin tombé du sommet des collines.
Inclinant dans la nuit son large front chenu,
Garde, malgré les heurts déchirant ses racines
Un peu du sol natal à son tronc retenu ;

Je conserve toujours dans mon âme fidèle,
Un souvenir touchant du village natal,
Le langage si doux d'une race immortelle
Et le songe divin d'un beau ciel hivernal.

Et je revois encore, au fond de ma mémoire,
Le décor émouvant de la vieille maison
Au long toit radoubé ; la route solitaire
Bien des fois parcourue aux jours de fauchaison.

Sous le charme assombri de ces riens par l'absence,
Qui s'attachent à moi pénétrant d'amitié,
Plus volontiers je meurs en trompant ma souffrance
Heureux de retourner au sol où je suis né!
(pages 3-4)

6 avril 2009

La chanson du passant


Louis-Joseph Doucet,
La chanson du passant, Montréal, Yon, 1908, 110 pages. (Préface d’Albert Ferland)

L’œuvre de Louis-Joseph Doucet est l’une des plus considérables au Québec. Il aurait publié plus d’une trentaine de recueils, surtout de la poésie. Il était le gendre de l’éditeur Joseph-Georges Yon, maison d’édition dont il a hérité. Doucet était membre de l’École littéraire de Montréal. La Chanson du passant est son premier recueil.

Pas facile de lire La Chanson du passant, recueil terriblement vieilli. Doucet est un poète romantique, mais non un poète du terroir. Son inspiration très convenue est à peu près la même que celle de Lamartine : la nature bienveillante, le temps destructeur, les souffrances humaines, l’appréhension de la mort.

Au départ, comme plusieurs poètes de son époque, il nous prévient de la modestie de ses vers : « Mes dits ne sont, hélas! Que des fagots de grève / Qui brûleront un soir pour quelque nautonier ». Malgré tout, il croit que sa « sincérité peut [le] venger un jour ».

Les Laurentides, les grands arbres (les pins, les frênes), le soleil et la lune sont les motifs développés dans les premiers poèmes du recueil. Il associe l’immensité de la nature à la genèse de l'univers : « Horizon de granit, montagnes triomphales / Quelle force inconnue a pu vous soulever? » Le questionnement va même un peu plus loin et rejoint celui des Romantiques dans le poème « Horizon » : « Je périrai dans ta poussière, / Nature, en chantant tes beautés, / Vers l’horizon, vers la lumière, / Cet espoir des éternités… » Quand il redescend de ces « hauteurs », il reprend à peu près tous les clichés romantiques. La nature est une confidente et une consolatrice : « Soirs qui repasserez sur les âmes du monde, / Donnez-moi le salut de votre paix profonde ». La nature est un témoin qui nous permet de garder la mémoire des disparus : « Et la fleur qui naîtra sur ma tombe glacée, / Gardant le souvenir de mon amour au ciel, / De la vie à la mort redira ma pensée ». La nature nous console de la fuite du temps : « Ainsi tout disparaît par les routes du monde ; / Ainsi passe et s’éteint toute lueur du front; / Notre œil garde bien peu de la vie inféconde; / Mais ce que l’on a vu, d’autres le reverront ». La nature est un miroir de nos vies : « Le ciel s’est recouvert d’ombre sans espérance, / Il semble s’attrister comme un pauvre vivant. » Etc.

Tous ces poèmes, on le devine, sont empreints de mélancolie, d’un certain pessimisme (toute beauté finit par périr). Cela est assez évident dans « La chanson du passant », le poème éponyme, une suite poétique, à la composition plutôt lâche, qui fait 37 pages! De quoi s'agit-il? Simplifions et disons que Doucet trace le bilan de son existence. Il parle de son passé, des lieux de son enfance, de son lien avec l’aïeule; il évoque ses tristesses et ses joies, ses espoirs et ses déceptions, ses anciennes occupations et ses amis perdus, ses souffrances et la mort qu’il entrevoit… Il pleure beaucoup sur lui-même, désespérant de sa situation présente et espérant, sans trop le dire, que la gloire lui vienne un jour de ses écrits. Il consacre quelques vers à son maître François Villon.

Il se permet un acrostiche et comme la fantaisie est peu fréquente dans ce recueil, je me permets de le reproduire :



ENFIN JE NE CHANTERAI PLUS

J'ai chanté les bois et la plaine,
J'ai chanté l'onde et les bateaux,
J'ai chanté la foule inhumaine,
J'ai chanté les petits oiseaux,
J'ai chanté les brumes austères
Sous les automnes disparus,
J'ai chanté des peines amères,
Enfin, je ne chanterai plus !

J'ai chanté la moisson sereine
Dont les ors parent les coteaux,
J'ai chanté l'heure et la semaine,
Le dur labeur et le repos ;
J'ai chanté les vertes fougères
Sous les lointains cèdres touffus ;
J'ai chanté les brises légères ;
Enfin, je ne chanterai plus !

J'ai chanté la tristesse vaine
Des victimes et des bourreaux ;
J'ai chanté la main souveraine
Qui guide les humains troupeaux
J'ai chanté le beau phalanstère
Que sont les cieux pour les élus;
J'ai toujours chanté sur la terre,
Enfin, je ne chanterai plus !


Louis-Joseph Doucet sur Laurentiana
Contes rustiques et poèmes quotidiens
La Chanson du passant

Chez nous, Chez nos gens

Je viens de modifier un billet blogué le 27 février 2007. Il s'agit de Chez nous d'Adjutor Rivard. Une suite, intitulée Chez nos gens, était parue en 1918. Dans les années 1920, Rivard a fusionné ces deux oeuvres et supprimé quelques chapitres. C'est cet amalgame que j'ai blogué en 2007. Il m'a semblé qu'il était préférable de présenter séparément ces deux livres, de revenir aux éditions originales.

J'ai aussi modifié légèrement Les Rapaillages de Groulx, ici aussi à partir de l'édition originale. Malheureusement, une fausse manipulation m'a fait perdre quelques commentaires qui avaient été ajoutés au blogue. Je m'en excuse. Pour terminer, voici quelques images tirées de l'édition de 1924 de Chez nous chez nos gens. J'ignore qui est l'auteur des illustrations.

4 avril 2009

Un Homme et son péché (illustrations)


Un homme et son péché a connu plusieurs éditions, dont quelques-unes bellement illustrées. On connait davantage celle que Stanké a publiée en 1979 avec les illustrations de Jean-Paul Ladouceur. Mais il y en a eu au moins deux autres auparavant. Celle de 1935, illustrée de neuf bois de Maurice Gaudreau, je ne l'ai vue qu'en bibliothèque. Cependant, je connais bien celle de 1941 contenant 10 illustrations de Simone Aubry. Cette édition a eu plusieurs tirages. Voici la page de couverture et quelques-unes des illustrations hors-texte de cette édition :




Un homme et son péché sur Laurentiana

Un homme et son péché (édition originale)
Un homme et son péché (édition du Vieux Chêne, 1935)
Un homme et son péché (édition du Vieux Chêne, 1941)

2 avril 2009

Un homme et son péché

Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché, Montréal, Les éditions du Totem, 1933, 212 pages.

Tout Québécois d’un certain âge connaît cette histoire de Claude-Henri Grignon, du moins de nom. La plupart n’ont vu que l’adaptation télévisuelle ou le film de Binamé, tous les deux un peu édulcorés tout compte fait. On imagine mal ce à quoi ressemblait le roman publié aux éditions du Totem d’Albert Pelletier, un éditeur progressiste, celui-là même qui publia l’année suivante Les demi-civilisés. Il semble que Claude-Henri Grignon avait en tête l’écriture d’une nouvelle, ce qui expliquerait que l’intrigue soit aussi mince. Au fil du temps, Grignon a constamment modifié ou enrichi l’histoire, y ajoutant des personnages, des épisodes pour les besoins de la radio, des films, de la télévision... Ainsi ne cherchez pas dans le roman le Père Ovide, la Grand’Jaune, le père Laloge, Bidou, Basile Brochu, Jambe-de-Bois, le curé Labelle, Arthur Buies, le notaire Lepotiron, etc. 


L’intrigue originale est très simple, l’action tourne autour de cinq personnages : Séraphin et Donalda, Alexis et Bertine sa fille ainée, enfin Lamont, un emprunteur. On voit aussi un peu le curé Raudin, le docteur Cyprien et Artémise, la corpulente femme d’Alexis. Parlant de ce dernier, il a six enfants et environ quarante ans, soit le double de Donalda. Il n’est jamais allé au Colorado, il s’est contenté de faire la drave sur la Rivière-aux-Lièvres. Bref, oubliez le triangle amoureux, tel qu’on le voit dans le film de Binamé ou au début du téléroman.

L’intrigue est construite autour de deux actions. La première met en scène Séraphin dans son rôle d’usurier. En 1890, dans une paroisse du comté de Terrebonne, Séraphin Poudrier mène la vie dure aux habitants des environs. Un jour se présente chez lui un certain Lemont, un fermier qui s’est fait prendre dans une affaire de mœurs. Il aurait été surpris avec une jeune fille de 16 ans, reconnue pour aguicher les hommes, lui un homme marié, père de famille. Pour garder le silence, les parents de la jeune fille lui réclament 100$. Séraphin finit par les lui prêter, mais en retour, il exige que Lemont lui apporte ses deux vaches de race. Il lui donne trois mois pour rayer sa dette. Comme il n’y arrive pas, Séraphin garde les deux vaches.


L’autre action, la plus importante du roman, met en scène le couple Séraphin-Donalda. Très tôt, Donalda émoustilla Séraphin, le « vieux garçon » : « Il connut Donalda, enfant. Il la convoitait depuis le jour où il l'avait rencontrée dans un champ de fraises. Elle s'était assise près de lui et il avait été frappé de la blancheur de ses bras et de la fermeté de sa poitrine, si opulente pour son âge. Il l'aimait. Cela était venu d'abord par le fleuve de l'impureté dont il ne chercha jamais à découvrir la source. Puis, peu à peu, il se fit à l'idée qu'elle pourrait devenir sa femme. Quand la petite eut vingt ans, il la maria. Il en avait quarante.»


Ils ne sont mariés que depuis un an, mais déjà Séraphin regrette cette union. Il se rend compte que s’il donne libre cours à ses pulsions, il deviendra en quelque sorte l'« obligé » de Donalda, ce qui pourrait lui coûter cher : « Les troubles de la chair qu'il combattait depuis tant d'années l'envahissaient maintenant ainsi qu'une crue prodigieuse de limon. Mais Séraphin ne se laissa point attendrir comme un fol, ni par le cœur, ni par les sens. Il se rendit compte avec une précision d'usurier que s'il se laissait aller à la passion de la chair, la petite Donalda Laloge finirait par lui coûter les yeux de la tête et lui mangerait jusqu'à la dernière terre du rang. Il lutta tant et si bien, la nuit et le jour, qu'il fit de sa femme moins qu'une servante: pas autre chose qu’une bête de somme. » Il refuse de lui faire l’amour : « Une fois, une seule fois, Séraphin la posséda brutalement, mais refusa, net, de lui faire un fils qu'elle désirait avec tant d'amour de par l'hérédité la plus lointaine. / — Je n'aime pas les enfants, avait-il dit, avant de s'endormir. / Dans une autre circonstance, il s'était livré: / Tu sais, ma fille, que des enfants, ça finit par coûter cher. » Il lui mène la vie dure et elle en a peur. Peu s’en faut d’ailleurs qu’il ne la batte quand il découvre qu’elle utilise un chapeau de paille, plutôt que du pesat (paille), pour cirer le plancher. Pourquoi Donalda l’a-t-elle épousé? On l’ignore. Peut-être parce qu’elle était orpheline...

Quand Donalda tombe malade, Séraphin n’est pas très pressé d’aller quérir le médecin. Il tarde tant et tant que la pauvre finit par succomber dans des douleurs atroces. Séraphin montre tout au plus « un léger chagrin ». Il trouve au fond du hangar une tombe qui était destinée à une autre personne : « Séraphin et Alexis déposèrent le cercueil à terre, près de la morte. Deux jeunes hommes les aidèrent à coucher dedans la pauvre Donalda. La tombe était un peu petite. Séraphin tira sur le corps en élevant la tête et les genoux. On déposa ensuite le cercueil sur les planches. [...] On mit le crucifix sur la poitrine de Donalda. Et, au milieu des sanglots et des lamentations des assistants, on ajusta le couvercle. Comme les genoux du cadavre dépassaient un peu la bière, l'avare pesa dessus et un craquement d'os se fit entendre. »


La mort de sa femme le libère en quelque sorte et laisse toute la place à son vice : « Séraphin, assis près de la table, pensait à demain, à l'argent qu'il économiserait, aux profits qu'il réaliserait, à toutes les transactions possibles et imaginables. Il en jouissait intérieurement. Sa passion, plus éloquente qu'un ciel étoile, plus prenante que l'espace, remplissait son cœur, bouchait toutes les issues, et il ne restait pas un coin pour l'image de Donalda. » Ayant repris sa vie de vieux garçon, Séraphin est heureux. : « Je vais vivre seul et à mon goût. Pauvre Donalda, c'était du bon pain, mais elle menaçait de me coûter cher. Rien que pour un an que j'ai vécu avec elle, ça m'a coûté 15$ de plus, rien que pour elle. Ça pouvait plus marcher de même ben longtemps. Moi, tout seul, il n'y a pas de danger. »


Comme il garde une forte somme d’argent et que Donalda n’est plus là pour la surveiller, la peur de se faire voler s’empare de lui, pour ne pas dire devient sa hantise. Il apporte sa bourse partout, couche avec elle. Et un jour tout bascule. Une de ses vaches, une de celles qu’il a usurpées, se retrouve dans la rivière. Comment y est-elle parvenue? Certains indices laissent penser que quelqu’un aurait brisé la clôture. Alexis vient l’aider à la sortir de ce mauvais pas. Sur le chemin du retour, Séraphin se rend compte que sa maison est en feu. Il court, se précipite, se jette dans le feu. Alexis tente en vain de l’en empêcher. Trop tard, l’avare est brulé vif. Le lendemain, on retrouve son cadavre, et dans sa main fermée, quelques grains d’avoine et une pièce d’or.


Claude-Henri Grignon
Grignon ne s’est pas embarrassé de nuances pour créer Séraphin : c’est un personnage odieux, un vicieux, un satyre, un vrai personnage de roman populaire. S’il n’y avait que son amour de l’argent et ses manœuvres déloyales pour abuser de pauvres colons… Mais le comportement du personnage est tellement scabreux que le lecteur ne peut lui réserver la moindre once de sympathie. Comment ne pas être scandalisé qu’il se permette de fantasmer sur Bertine, la fille ainée d’Alexis, pendant que sa femme agonise à l’étage : « Séraphin la regardait du coin de l'œil tout en réparant une courroie de harnais. Cette belle fille dans la maison lui apportait un air de fête qu'il ne connaissait pas. Il sentait courir dans ses veines un sang neuf et bouillant. Malgré lui, ses yeux revenaient toujours se poser sur cette croupe rebondissante de Bertine, sur ces mollets fermes et gras que la jupe trop courte laissait voir en plein, et sur la poitrine surtout, la plus belle du monde, et faisant éclater le corset trop petit. Jamais l'avare n'avait été secoué aussi fortement par le désir. La luxure, la vieille luxure qu'il combattait depuis tant d'années, reprenait donc le dessus? Elle finirait par le broyer dans ses anneaux de chair et de plaisir? »

À défaut d’avoir des relations sexuelles avec sa femme, il entretient une relation trouble avec sa bourse et les trois sacs d’avoine : rien ne lui fait plus plaisir que de monter à l’étage pour tripoter son argent, caché dans trois sacs d’avoine. Un plaisir solitaire, sexuel. Pendant que sa femme se meurt, il se permet une petite visite aux trois sacs d’avoine : « II monta ensuite à l'étage supérieur, le cœur caressé par sa passion. Les trois sacs d'avoine et la bourse se trouvaient toujours là. Excité par d'autres soucis et fou de volupté, il demeura dans la chambre secrète plus longtemps qu’il ne l'aurait voulu. »

Bien sûr, le thème central du roman, c’est l’avarice. En apparence, du moins. Quand on y regarde de plus près, on remarque que la sexualité est un thème tout aussi important. Séraphin, Lemont et même Alexis, bref tous les hommes, arrivent difficilement à contenir leurs pulsions. Laissons de côté Séraphin et considérons un peu le cas d’Alexis. Il aime beaucoup Donalda, on soupçonne même qu’il en est amoureux. Pendant la veillée funèbre, il monte à l’étage pour se reposer. Il se retrouve dans le lit de la morte et se permet ce rêve : « L'ivresse le pénétrait maintenant, ainsi qu'un air parfumé, musical. Plus léger qu’un nuage, il flottait dans l'espace sur un printemps sans fin, au-dessus de la campagne en fleurs avec Donalda à ses côtes, nu tête, qui présentait sa bouche de fraise au miel du soleil. »

S’il y une chose qui étonne, c’est que Grignon ait réussi le tour de force de faire croire à la société conservatrice de 1930 que l’avarice était le principal thème de son roman, alors que ce récit trempe de bout en bout dans une sexualité trouble. Est-ce la fin moralisatrice qui a rallié tous les critiques bien-pensants? Suffit-il que l’usurier soit puni cruellement ? Quand même... saluons l’audace! 


Il est indéniable que ce roman possède des qualités propres au roman populaire, pour ne pas dire au mélodrame : des personnages manichéens, caricaturés, un bourreau et une pauvre victime sans défense, du sexe et de l’argent, une fin moralisatrice. On peut facilement comprendre son énorme succès. Ceci étant dit, Grignon n’a ni la qualité d’écriture, encore moins le regard pénétrant des auteurs capables de faire vivre des personnages crédibles, de mettre en scène une société, de poser un regard pertinent sur le monde qui les entoure, comme le fera quelques années plus tard sa cousine Germaine Guèvremont.

Pour en savoir plus sur Claude-Henri Grignon et son œuvre, voir le site de la BANQ.
Pour une critique, voir l’étude de Louis Dantin sur la BEQ .
Pour une autre critique, voir Berthelot Brunet, page 150.

Claude-Henri Grignon sur Laurentiana
Un homme et son péché (édition originale)
Un homme et son péché (éd. du Vieux Chêne illustrée par Maurice Gaudreau, 1935)
Un homme et son péché (éd. du Vieux Chêne illustrée par Monique Aubry, 1941)

Voir aussi
Les Pays d'en haut (nouveau téléroman)